ING peut-elle vraiment devenir le “Spotify de la banque”?

Rik Vandenberghe, CEO d'ING Belgique, lors de la conférence du 3 octobre qui détaillait le plan de transformation passant par de grosses réductions d'effectifs, il déclarait que l'objectif du groupe était de devenir le "Spotify de la banque". © DR

La grande banque néerlandaise ING se voit en géant du Net à la Spotify. Vraie ambition numérique ou prétexte pour justifier un plan d’économies qui fait mal ? Une banque peut-elle ressembler à un site de streaming musical ? Décodage d’une comparaison qui a de quoi surprendre.

“Notre modèle, c’est Spotify. ” Lors de la conférence du 3 octobre dernier qui détaillait le plan de transformation passant par de grosses réductions d’effectifs (7.000 emplois supprimés, dont 3.000 en Belgique d’ici 2021), le patron d’ING Belgique Rik Vandenberghe déclarait que l’objectif du groupe était de devenir le ” Spotify de la banque “.

La petite phrase n’est pas passée inaperçue dans le Landerneau médiatico-bancaire. Un mois après, elle continue de susciter des commentaires en sens divers, tant le modèle d’une banque semble éloigné d’un site de streaming musical par abonnement. Le CEO de la filiale belge plaide en effet pour une manière ” agile ” de travailler, à la sauce Spotify, Netflix ou… ING aux Pays-Bas. ING qui, outre-Moerdijk, a su adopter une organisation performante, entreprenante et autogérée. Soit le modèle de Spotify.

1. Ma banque : une multitude de ” squads ” ?

Si la comparaison a de quoi surprendre, c’est d’abord parce qu’elle est poussée à l’extrême. Comme nous l’explique le consultant français et spécialiste de la transformation digitale Olivier Ezratty, ” une banque a plus de contraintes, notamment réglementaires, qu’un géant du Net et des contenus en ligne. Ces règles sont plus contraignantes que simplement distribuer du contenu comme le fait Spotify “. Par contre, reconnaît Olivier Ezratty, l’analogie présente l’intérêt de remettre en cause les méthodes de management ” traditionnelles et conservatrices ” des banques. Un avis que partage le CEO de Havas Media en Belgique Hugues Rey pour qui la phrase, sortie de son contexte, est certes un peu rude mais cependant en accord avec l’évolution probable du monde du travail dans les années à venir. ” La digitalisation bouscule les relations au travail, y compris pour un employeur normé comme une banque. Les modes de travail deviennent différents et plus flexibles. Tout n’est d’ailleurs pas négatif de ce point de vue-là : les jeunes générations sont demandeuses de plus de souplesse sur le plan professionnel. ”

© BELGAIMAGE

De fait, c’est visiblement à cette dimension liée à organisation interne d’ING en Belgique que Rik Vandenberghe songe. Exit les teams, place aux squads (brigades) ! ” Nous allons profondément changer notre manière de travailler en introduisant un modèle comprenant moins de hiérarchie, privilégiant de petites équipes mixtes (avec des responsables de produits, des informaticiens, des commerciaux, etc.), autonomes, responsabilisées “, expliquait le CEO de la filiale belge début octobre à Trends-Tendances. Une vision que ne partage néanmoins pas totalement Olivier Ezratty, dans la mesure où ” tout le monde n’est pas heureux chez Google. Qu’elle soit technologique ou pas, dès qu’une entreprise dépasse une certaine taille ses métiers se spécialisent et une hiérarchie se crée, qui devient ensuite celle des entreprises traditionnelles, dit-il.

2. Ma banque : une grosse appli ?

Autre bémol : l’interaction avec le client. A la pointe en matière de mobile banking, ING veut fermer la moitié de ses agences en Belgique pour ramener son réseau à 600 points de vente à l’horizon 2021. Objectif : devenir la banque numéro 1 au Benelux, avec 11 millions de clients en accélérant à la fois sa stratégie de transformation digitale et en important le modèle d’agences multi-canal développé aux Pays-Bas (où ING gère 8 millions de clients avec seulement 250 agences).

Est-ce à dire que votre banque, et ING Belgique en particulier, pourrait un jour se résumer à une grosse application ? Il est clair en tout cas que la numérisation des services se généralise. ” Partout, on automatise ce qui peut l’être, c’est-à-dire ce qui coûte cher et qui est ingrat, situe Olivier Ezratty. C’est la même chose dans les banques. Tous les services transactionnels sont déjà numérisés. C’est le principe même du capitalisme : générer des économies d’échelle grâce à l’emprunt pour financer un nouvel outil de production. Comme le tracteur par le passé dans l’agriculture, le numérique joue aujourd’hui ce rôle, et dans les banques en particulier. Ceci dit, il faudra toujours des collaborateurs pour gérer les relations avec les clients, pour leur vendre des produits financiers ou régler leurs problèmes spécifiques. Il faudra toujours un support commercial et technique. Une partie de ces tâches pourront être réalisées par des chatbots (assistants conversationnels). Mais expliquer un produit financier rien qu’avec un site web n’est pas toujours évident. Il y aura toujours besoin d’une part de conseil pour la vente de produits financiers non triviaux. ” Aux yeux de certains toutefois, ING s’est tiré une balle dans le pied de ce point de vue-là. Jouant depuis longtemps la carte de la banque à distance et de l’usage courant, l’enseigne a beaucoup misé sur son image de ” challenger ” de la banque transactionnelle (comptes gratuits, etc.). Jusqu’à délaisser peut-être un peu trop un certain nombre d’activités plus rémunératrices liées au volet conseil auprès des clients (placements, etc.).

ING en chiffres, c’est :

– 35 millions de clients à travers le monde

– 40 pays

– 50.000 employés

– 4 milliards d’euros de bénéfice net (2015)

Spotify, en chiffres, c’est :

– 100 millions d’utilisateurs à travers le monde

– 40 millions d’abonnés payants

– 60 pays

– 1600 employés

– 173 millions de perte (2015)

3. Ma banque : une copie d’Amazon ?

Plus fondamentalement encore, il n’est pas certain que vouloir absolument copier le modèle d’un site qui a détruit l’industrie du disque soit le plus porteur en termes d’image auprès du grand public. Effectivement, ” la comparaison est malheureuse en termes de communication dans la mesure où le commun des mortels ne voit pas très bien ce que la digitalisation lui apporte, juge Hugues Rey qui rappelle que ” l’analogie est également intervenue dans un contexte social déjà difficile “, juste après l’annonce de la fermeture du site de Caterpillar à Gosselies.

Comparasion malheureuse enfin parce que plutôt que de vouloir copier Spotify ou Netflix, les banques devraient davantage s’inspirer du modèle d’Amazon, estime Olivier Ezratty : ” Au départ, Amazon s’est intéressée à un petit marché pas très rentable, la vente de livres. De fil en aiguille, l’entreprise est sortie de son métier de base pour élargir son business. Aujourd’hui, elle vend de tout, elle est un prestataire de services informatiques, elle produit même des séries télé et crée ses propres produits matériels comme des tablettes et des set-top-box pour regarder la TV. Les outils du numérique sont une force d’intégration. Les banques ont tout intérêt à s’intéresser à d’autres secteurs que la finance. Autrement dit, à aller chasser sur le territoire des autres, ce d’autant plus que d’autres acteurs, comme les opérateurs télécoms et les grands de l’Internet, sont tentés de chasser sur les leurs. ” Chasser sur le territoire des banques, c’est précisément ce que tente de faire Orange en France. Suite au rachat de la filiale bancaire de l’assureur Groupama, l’opérateur télécom prépare activement le lancement de sa banque 100 % mobile (Orange Bank). Chez nous, c’est quelque part aussi le cas de Belfius qui entend développer des solutions technologiques (services de paiement, applications mobiles, etc.) pour les vendre à d’autres à l’étranger.

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