ING Belgique: “Notre plan est socialement responsable”

© Franky Verdickt

A la tête d’ING Belgique depuis six mois, Erik Van Den Eynden a la lourde tâche de mener à bien la restructuration qui prévoit la suppression de 3.000 emplois au sein de la filiale belge du groupe bancaire néerlandais. Il revient notamment sur le plan de départs volontaires pour les employés de la banque âgés de 55 ans et plus.

Cela fera bientôt un an. Lundi 3 octobre 2016, Rik Vandenberghe, alors CEO d’ING Belgique, confirme ce que les rumeurs laissaient entendre depuis des semaines : ING Belgique supprime plus de 3.000 emplois dans le cadre d’un plan prévoyant la disparition de 7.000 postes à l’échelle du groupe d’ici 2021. Le personnel de la banque est sous le choc : un tiers des emplois de la filiale belge du groupe néerlandais passeront à la trappe d’ici cinq ans. Du jamais vu pour une enseigne bancaire en Belgique. La nouvelle suscite aussi l’émoi à l’extérieur. Si bien que depuis l’annonce de la mauvaise nouvelle, ING Belgique ne cesse de faire l’objet de critiques. Car l’entreprise se porte bien. Très bien même. L’an dernier, son bénéfice a progressé de 10 % pour atteindre 1,2 milliard d’euros. Et voici quelques semaines, elle a publié de solides résultats commerciaux pour la première partie de l’année (412 millions d’euros bruts). Face à ces chiffres, Erik Van Den Eynden, qui a succédé à Rik Vandenberghe en mars dernier, nous explique pourquoi un tel projet était néanmoins nécessaire.

ERIK VAN DEN EYNDEN. Ce que le groupe ING a annoncé il y a un an, ce n’est pas une restructuration mais une transformation complète de son modèle, certes avec des conséquences sociales importantes. Cela a suscité beaucoup d’incompréhension car ING est en Belgique une entreprise performante avec des clients qui sont contents. Mais l’environnement dans lequel la banque évolue aujourd’hui change profondément. C’est peut-être nouveau pour le secteur bancaire mais ce genre de burning platform a été observé avant nous dans d’autres industries.

PROFIL

Agé de 49 ans, Erik Van Den Eynden a débuté sa carrière à la BBL comme directeur d’agence dans la région d’Anvers. Son parcours au sein de la banque et du groupe ING passera ensuite par des fonctions de direction dans des domaines aussi variés que le crédit aux entreprises et l’assurance, en Belgique comme aux Pays-Bas. A Amsterdam, il s’est notamment occupé du lancement de la banque en ligne ING Direct. En mars 2017, il a succédé à Rik Vandenberghe à la tête d’ING Belgique.

Qu’entendez-vous par “burning platform” ?

Ce sont une série de facteurs externes, que j’appelle les usual suspects, qui mettent votre modèle sous pression. Il y a d’abord le comportement des clients et leurs attentes. Aujourd’hui, elles changent complètement. On ne réserve plus un hôtel via une agence de voyages mais via son smartphone sur Booking.com, l’argent cash disparaît, etc. Partout, le consommateur veut un service rapide, facile et personnalisé. Il attend la même chose de sa banque. Jusqu’ici l’automatisation a surtout touché l’industrie manufacturière. Elle impacte maintenant fortement l’industrie des services. Les algorithmes sont de plus en plus intelligents et beaucoup de tâches disparaissent. Nous le sentons très fort en tant que banque. A l’avenir, un algorithme en saura plus sur le client que le directeur d’agence. Et puis, vous avez la réglementation (MiFID 2, Bâle 4, etc.), autre usual suspect, à laquelle vous devez constamment vous adapter et qui engendre beaucoup de frais. Par ailleurs, nous payons 250 millions de taxes bancaires et 350 millions d’impôts sur les bénéfices. Bref, vous ne pouvez absorber tout cela que si vous réduisez vos coûts ailleurs.

D’accord, mais les autres grandes banques de la place (Belfius, BNP Paribas Fortis et KBC) sont confrontés aux mêmes défis que vous. Pourtant, elles ne suppriment pas 3.000 jobs d’un coup.

A nouveau, nous ne sommes pas une entreprise en restructuration mais une entreprise qui veut se transformer pour le long terme dans un secteur en pleine mutation. Parallèlement à cela, notre ambition (burning ambition) est de devenir d’ici 2021 la meilleure banque en Belgique dans nos sept segments de clientèle (particuliers, jeunes, starters, petites PME, grosses PME, grandes entreprises, écoles et universités). L’expérience du client doit être telle qu’il nous recommande à ses amis proches. Pour atteindre cet objectif, nous ne pouvions pas nous contenter de simplement faire quelques adaptations ici et là. Une transformation fondamentale était nécessaire. C’est la raison pour laquelle le groupe a notamment choisi de créer une plateforme unique pour le Benelux.

Les mauvaises langues disent que votre IT était dépassée…

Notre informatique devait en effet être renouvelée et les Pays-Bas disposaient d’une infrastructure plus moderne. Une plateforme unique pour 11 millions de clients nous fournira aussi un énorme avantage en matière de maîtrise des coûts (cybersécurité, etc.). Les besoins des clients d’ING sont grosso modo les mêmes en Belgique et aux Pays-Bas. Dans une deuxième phase, l’idée est d’élargir cette plateforme aux autres pays européens où ING est actif afin de pouvoir y accueillir 50 millions de clients.

Opérer via une plateforme informatique unique pour les Pays-Bas et la Belgique : n’est-ce pas dangereux de concevoir de telles synergies “cross border” dans un environnement aussi fluctuant, notamment au niveau technologique ?

C’est vrai, nous allons faire beaucoup de choses en même temps : réorganiser nos services centraux, intégrer Record Bank, opérer via une nouvelle plateforme informatique, etc. Mais le plan s’étale sur cinq ans. La migration vers la plateforme informatique aux Pays-Bas n’aura lieu qu’en 2019-2020. Nous devons encore bien nous préparer à ce niveau-là. Mais nos collègues néerlandais ont intégré avec succès Postbank il y a six ans. Nous ne partons pas de zéro. Par ailleurs, la technologie rend aujourd’hui possible la délocalisation de plateformes informatiques. C’est d’ailleurs ce que font les géants technologiques comme Airbnb ou Uber. Ils ont une seule plateforme qui sert pour plusieurs pays. J’ai confiance, nous allons réussir.

Nous ne sommes pas une entreprise en restructuration mais une entreprise qui veut se transformer pour le long terme dans un secteur en pleine mutation.

Le projet de transformation passe aussi par une adaptation de vos canaux de distribution ?

En juillet, notre application mobile a totalisé en moyenne 650.000 connexions par jour (pour un total de 3 millions de clients, Ndlr) et nous devrions compter 200.000 utilisateurs actifs en plus cette année. C’est aujourd’hui le canal le plus important de la banque. Mais nous devons capitaliser sur cette interaction avec les clients pour en faire un canal de vente à part entière qui fait des suggestions personnalisées aux clients. Si cela réussit, les agences pourront se concentrer sur des conseils plus complexes. Je ne pense pas qu’une banque 100 % digitale puisse offrir le meilleur service dans sept segments de clientèle différents. Notre modèle reste un modèle de banque multicanal : digital et agences, avec entre les deux une customer loyalty team de 1.300 personnes (gros call-center, Ndlr).

Avec Record Bank, vous fusionnez deux banques aux profils totalement différents. Vous ne craignez pas de perdre des clients ?

Non, les clients de Record et d’ING sont moins différents qu’on ne l’imagine. Et dans 80 % des cas, nous fusionnons dans des endroits où les deux enseignes sont présentes.

Pourquoi n’avez-vous pas vendu Record ?

Parce que c’est une belle banque qui compte 100.000 clients qui sont satisfaits. En intégrant Record, nous renforçons notre modèle.

Tout cela n’explique pas pourquoi vous devez fermer 600 agences et vous séparer de 3.000 personnes.

Si la transformation est à ce point profonde, c’est à la fois parce que des tâches disparaissent et que nous voulons travailler tout à fait différemment, en introduisant un modèle comprenant moins de hiérarchie, qui repose sur des équipes autonomes de 9 à 10 personnes (squads). D’ici 2021, il n’y aura plus aucun employé d’ING Belgique qui effectuera le même travail de la même manière ou dans le même contexte qu’aujourd’hui. Ce changement aura pour effet de réduire de 50 % le time to market, à l’instar de ce que nos collègues néerlandais ont fait il y a deux ans.

Précisément, où en êtes-vous dans l’implémentation de cette nouvelle organisation du travail, six mois après avoir trouvé un accord avec les syndicats ?

En interne, 2.200 personnes sont concernées. La première phase de redéploiement, principalement dans nos services centraux et l’IT, a démarré début juin. Les personnes concernées ont dû repostuler pour leurs postes ou pour un nouveau job. Les interviews sont terminées. A la fin septembre, elles sauront où elles seront affectées dès le 1er janvier 2018 dans le cadre de ce new way of agile working. Début octobre, la deuxième phase de redéploiement commencera pour le personnel en agence.

Et pour ceux qui vont devoir quitter la banque ?

Nous sommes parvenus à un accord avec les syndicats pour limiter le nombre de licenciements. Pour cela, nous avons développé un grand nombre de formules alternatives. Par exemple, les personnes qui démissionnent pour démarrer leur propre entreprise reçoivent un incitant financier. Les personnes qui partent de manière volontaire reçoivent également une indemnisation financière. Enfin, nous proposons aux employés âgés de 55 et plus qui le souhaitent de quitter la banque tout en conservant 60 à 80 % de leur salaire de base jusqu’à l’âge légal de la pension. Environ 1.500 employés peuvent faire appel à ces formules alternatives.

La formule suscite pas mal de critiques dans l’opinion publique : vous payez des quinquas pour rester à la maison.

Non, ce sont les employés eux-mêmes qui choisissent de quitter la banque ou pas, et contrairement à ce qui a été écrit, ils n’ont aucune obligation. Nous ne les payons pas pour rester à la maison. Ils peuvent rester à la maison pour par exemple s’occuper de leurs petits-enfants, mais ils peuvent aussi démarrer leur propre affaire, devenir enseignant, travailler à mi-temps dans le secteur social, etc. La seule chose qu’ils ne peuvent pas faire, c’est travailler pour la concurrence. C’est très différent du système de prépension. C’est super intéressant pour l’Etat. ING paye tout. Notre plan est socialement responsable.

Le gouvernement veut pourtant pénaliser ce genre de plan social.

Noussommes en contact avec le gouvernement à ce sujet. Tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut faire en sorte que les gens restent actifs le plus longtemps possible. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut accomplir toute sa carrière auprès du même employé. Le système d’ancienneté n’est plus adapté au monde du travail d’aujourd’hui. Il diminue les chances d’employabilité des gens. C’est un frein au changement de job. Je pense que les entreprises qui s’occupent de l’employabilité de leur personnel doivent être encouragées au lieu d’être pénalisées. Un banquier avec 30 années d’expérience qui va travailler dans le secteur social perd une bonne partie de son salaire. Dans notre système, cette perte de salaire est compensée tandis que la personne reste pertinente pour la société et met ses compétences au service de choses utiles. D’ailleurs, j’en connais peu qui m’ont dit qu’ils allaient rester à la maison. La plupart de ceux avec qui j’ai discuté ont un nouveau plan professionnel en tête. Je trouve cela fantastique !

Pour terminer, à quoi ressemblera la banque du futur ?

La banque du futur sera proactive et fournira au client un service extrêmement facile et personnalisé, peu importe où et comment il entre en contact avec elle.

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