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“Il y aura de toute façon une prochaine crise”

Les articles et les livres sur la crise de 2008 ne se comptent plus, au point que l’on y perd parfois son latin : la crise serait-elle due à la complaisance des Etats, au laxisme des régulateurs, à la cupidité des banquiers ? Sans doute les trois. Toutefois, s’il fallait retenir deux réflexions de toute cette bibliothèque, nous prendrions celles de Martin Wolf, le chief economist du Financial Times, et de Anat Admati et Martin Hellwig, respectivement professeur à Stanford et directeur de l’institut Max Planck.

Dans ” The Shifts and the Shocks “, Martin Wolf dépasse les simples considérations concernant l’hubris des banquiers. Il souligne que notre système est génétiquement faible, parce qu’il repose sur la monnaie fiduciaire, qui permet certes aux banques centrales de faire tourner la planche à billets, et aux banques commerciales de faire tourner la machine à crédits. Mais lorsque la confiance s’évapore, la crise devient existentielle. Or, cette confiance qui est à la base de la valeur de la monnaie risque d’être soumise à de nouveaux chocs, qui pourraient provenir des déséquilibres mondiaux, de l’excès d’épargne et de l’excès de dette, des changements technologiques disruptifs, des maux non soignés de la zone euro… Il y aura de toute façon une prochaine crise, parce que c’est dans la nature du système d’en produire. Mais nous ne sommes pas nécessairement armés pour l’affronter.

En effet, soulignent de leur côté Anat Admati et Martin Hellwig dans leur essai ( The Bankers’ New Clothes), le système bancaire mondial est encore fragile. Certes, nous avons fait en Belgique notre part de travail en dégonflant notablement le bilan des banques et en renforçant la qualité de leurs actifs et la hauteur de leurs fonds propres. Mais au niveau européen voire mondial, il y a encore du travail. Les banques sont en général encore bien trop endettées, leurs sources de financement sont encore bien trop volatiles, les bilans sont encore bien trop opaques et les régulations bien trop peu contraignantes.

Il est temps de rhabiller les banques pour l’hiver qui viendra, tôt ou tard.

On reste particulièrement étonné devant la faiblesse, encore aujourd’hui, du montant de capital présenté par les géants mondiaux de la finance face à leurs engagements. Comme le pointe une récente étude d’Eric Dor, le directeur de recherche de l’IESEG, des banques telles que Société Générale, BNP Paribas, Deutsche Bank ou ING ont des fonds propres qui ne représentent que 4,6 à 5,6 % du total de leurs actifs. C’est certes plus qu’en 2006, mais cela signifie qu’une simple chute de 6 % de la valeur de leurs portefeuilles d’actions, d’obligations, de crédits… les rendrait insolvables. Et les solutions mises en oeuvre en Europe, qui obligent chaque banque à laisser un testament qui permettrait une liquidation soi-disant ordonnée en cas de faillite, ne règle pas ce problème.

Oui, le système est encore très, très fragile. Il existe des solutions pour le renforcer. Admati et Hellwig plaident pour une réduction drastique de l’endettement des banques et des ratios de capitaux bien plus contraignants (30 à 50%), ce qui transférerait le risque du contribuable aux investisseurs et réduirait les probabilités de chute en ” domino “. Cela réduirait aussi les exigences de rendements sur capitaux des actionnaires (moins de risques, moins de rendement). Et ne croyez pas les banquiers qui vous disent que plus on augmente les capitaux des banques, moins celles-ci peuvent prêter à l’économie réelle. ” C’est simplement faux “, s’insurge Anat Admati.

Dans le même esprit, Martin Wolf plaide pour un véritable contrôle des rémunérations, afin qu’elles n’incitent plus à prendre des risques exagérés. Il faut aussi que les pouvoirs publics cessent de favoriser la dette : dans la plupart des pays, les taux d’intérêt sont encore déductibles fiscalement. Comme disent les personnages de Game of Thrones : ” Winter is coming “. Il est temps de rhabiller les banques pour l’hiver qui viendra, tôt ou tard.

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