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“Il nous faudra aussi apprendre à raisonner dans un monde… sans taux d’intérêt”
Cet été, en lançant un exercice de mise à plat de sa politique monétaire, la banque centrale américaine avait prévenu qu’elle pourrait avoir, à l’avenir, une tolérance plus grande pour l’inflation. Elle a ensuite confirmé cette tolérance. Il n’aura pas fallu attendre longtemps pour en voir les premiers effets.
Dans les nouvelles prévisions du comité de politique monétaire, le taux directeur de la Réserve fédérale américaine serait maintenu à son niveau actuel (proche de zéro…) au moins jusqu’en 2024. Ce n’est pas une garantie, bien sûr, mais juste une prévision, compte tenu des attentes en matière de croissance et d’inflation, et de l’objectif fixé.
Tout comme les banques centrales s’adaptent à la nouvelle réalité, il nous faudra aussi apprendre à raisonner dans un monde… sans taux d’intérêt.
Bref, comme on pouvait s’y attendre, le fait que la Fed accepterait un niveau d’inflation légèrement plus élevé avant d’intervenir ne fait que retarder encore la perspective d’un relèvement de taux. Si l’on y ajoute la probabilité de taux négatifs au Royaume-Uni et les taux déjà bien négatifs en zone euro et au Japon, l’univers entier des taux se retrouve à un niveau tout à fait inédit.
Alors, quand peut-on espérer une normalisation des taux ? La question est en fait mal posée. Peut-on en effet encore parler de normalisation, en référence à un passé de plus en plus lointain où, en temps normal (entendez lorsque l’économie croît à son rythme potentiel), le niveau neutre des taux était au moins supérieur à 2%. Cela laissait de la marge pour l’abaisser en cas de coup dur, mais il pouvait aussi être drastiquement relevé en cas de poussée d’inflation.
Or, les 10 dernières années ont montré que dans le meilleur des cas, une très bonne conjoncture prolongée donne à la banque centrale une petite fenêtre de tir pour relever ses taux, mais dans des proportions moindres que dans le passé. Partant d’un niveau très bas, cela ne laisse que très peu de marge pour intervenir lorsque le cycle se retourne. Dans certains cas, comme en zone euro, cette marge n’existe même plus, la période de bonne conjoncture ne permettant même pas de relever les taux. La “normalisation” est donc devenue un concept très relatif, tant la normalité elle-même a évolué.
Derrière l’évolution de la stratégie des banques centrales, il y a donc clairement leur adaptation à une nouvelle réalité. C’était déjà le cas au Japon, où la politique monétaire est basée, de facto, sur l’assouplissement quantitatif et le “pilotage” de la courbe des taux, sans qu’une vraie hausse n’apparaisse à l’horizon. Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire dans un précédent texte, la BCE attendra avant de remettre la copie de sa nouvelle stratégie. Elle veut prendre le temps d’analyser la situation, d’y apporter les meilleures réponses et… probablement aussi de trouver le meilleur compromis. Mais il ne fait pas de doute que le résultat de cet exercice ira dans le même sens : des taux bas, très longtemps, et le développement d’autres instruments pour malgré tout influencer l’économie.
En conclusion, la bonne question à se poser à présent n’est plus de savoir quand les banques centrales décideront de relever leurs taux, mais de savoir si on pourrait, à l’avenir, retrouver des conditions économiques (de croissance et d’inflation) permettant aux banques centrales de raisonner à nouveau dans un schéma plus classique de lutte contre l’inflation, car ce n’est plus vraiment le cas à présent. Et en attendant, tout comme les banques centrales s’adaptent à la nouvelle réalité, il nous faudra aussi apprendre à raisonner dans un monde…sans taux d’intérêt.
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