Philippe Ledent
“Il faudrait presque avoir une formation de trader en matières premières pour gérer ses factures d’énergie”
Qui peut encore dire si le prix qu’il paye maintenant pour son énergie est le juste reflet de ce dont il devra s’acquitter demain ou sur l’ensemble d’une année?
Dans cette période de chocsur les prix de l’énergie, le fait que le prix spot du gaz ait été temporairement négatif il y a quelques jours a un côté surréaliste. Des capacités de stockage remplies, une météo clémente et un afflux de bateaux remplis de gaz naturel liquéfié (GNL) ont suffi pour qu’on ne sache plus quoi faire d’une quantité de gaz directement disponible sur le marché, au point que son prix en est devenu négatif. Un comble! Cela ne restera pas sans conséquence: les bateaux de GNL ont été déroutés vers des contrées où les prix sont plus intéressants, si bien que si la température baisse en Europe et que nous consommons subitement plus de gaz, les tarifs risquent de remonter en flèche… par crainte d’une pénurie. D’ailleurs, les prix pour délivrance dans les prochains mois restent relativement élevés. Bref, dans cette crise de l’énergie, il faut s’attendre à tout.
Fondamentalement, nous ne sommes pas préparés à une telle situation. Des capacités de stockage manifestement insuffisantes, un marché de l’électricité lié à une ressource devenue subitement rare, des contrats de fourniture aux formules d’estimation des prix infiniment complexes… Dans une période de relative stabilité des prix, tous ces éléments ne font pas une grande différence. Mais dans les circonstances actuelles, qui peut encore dire si le prix qu’il paye maintenant pour son énergie est le juste reflet de ce dont il devra s’acquitter demain ou sur l’ensemble d’une année? Pensez par exemple aux contrats de livraison de gaz et d’électricité dont l’acompte a été estimé sur base des prix de fin août/début septembre. Au regard des prix actuels, ces estimations ne veulent plus rien dire. Mais si l’hiver est rude, les prix exceptionnels du mois d’août pourraient très vite redevenir une réalité.
Bref, il faudrait presque avoir une formation de trader en matières premières pour gérer ses factures d’énergie. Ceci dit, un trader utilise aussi des instruments de couverture pour développer sa stratégie d’investissement. Or, le consommateur final de gaz et d’électricité n’en a pas beaucoup. Le principal outil de couverture consistait à prendre un contrat à prix fixe pour une durée déterminée. Mais ce n’est quasiment plus possible à l’heure actuelle…
Idéalement, dans un marché dont le prix est devenu très volatil, disposer d’une capacité de production et de stockage est évidemment la meilleure couverture possible: cela permet de ne pas acheter d’énergie au moment où les tarifs sont élevés mais de s’y atteler quand le prix est le plus intéressant sur le marché spot. Par ailleurs, ces comportements auraient pour conséquence de lisser le prix… pour tout le monde.
C’est en fait l’idée qui est déjà en vigueur en Flandre pour l’électricité, via un compteur digital et l’encouragement à installer une batterie. Dans les autres Régions, le processus est plus lent, et c’est dommage. Bien sûr, c’est une question de moyens. Mais les ménages qui ont la possibilité d’opérer ces investissements (il faut en avoir les moyens financiers et disposer d’un espace suffisant) devraient au moins y être fortement encouragés, car cela diminuerait la pression sur le réseau et donc le prix moyen payé par toute la population.
Pour le gaz, le problème est plus complexe. Il n’y a d’abord pas de capacité de production, bien sûr. Des solutions de stockage existent par contre pour les particuliers. Mais un problème se pose: à quoi bon investir dans une énergie fossile dont on cherche à se débarrasser? Ce problème se pose aussi à l’échelle des entreprises et des pays, ce qui limite les capacités d’investissements et… la possibilité de nous affranchir de prix élevés et volatiles. C’est tout le paradoxe de la période actuelle…
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