“En Belgique, Deutsche Bank va très bien”
Alors que la grande banque allemande reste dans la tourmente et annonce un plan visant à supprimer des milliers d’emplois dans le monde, Alain Moreau, CEO de Deutsche Bank Belgium, se montre confiant quant à l’avenir de la filiale belge.
Christian Sewing réussira-t-il à sauver le soldat Deutsche Bank ? Il y a urgence, en effet : cela fait maintenant 10 ans que le géant allemand accumule les difficultés. Suppressions d’emplois, fermetures de d’agences, reventes de filiales : il va de restructuration en restructuration sans jamais vraiment redresser la tête. Signe de ces difficultés qui perdurent, le groupe est dans le rouge pour la troisième année consécutive. Après avoir perdu près de 7 milliards d’euros en 2015 et 1,4 milliard en 2016, il accuse pour l’exercice 2017 un résultat net négatif de 512 millions d’euros. Résultat des courses : Deutsche Bank ne vaut plus aujourd’hui que 23 milliards d’euros en Bourse, c’est-à-dire moins que KBC (29 milliards), moins de la moitié d’ING (53 milliards) et beaucoup moins que BNP Paribas (77 milliards).
Si les activités belges avaient dû être revendues, cela aurait déjà été le cas.
Focus sur l’Europe
C’est dans ce contexte que le précédent CEO John Cryan a été remercié début avril. Malgré le fait d’avoir résolu nombre de problèmes juridiques dans lesquels le groupe était empêtré (dont la fameuse amende de 7 milliards de dollars aux Etats-Unis pour son rôle dans la crise des subprimes), le Britannique a gentiment été poussé vers la sortie avec un chèque de 9 millions d’euros, laissant la place à un Allemand dans l’espoir de sortir de la crise dans laquelle la banque se débat depuis des années. L’ordre de mission de Christian Sewing est d’ailleurs clair : poursuivre le recentrage de Deutsche Bank sur ses terres allemandes et son métier de base. C’est-à-dire ” devenir une leading european bank avec un global reach “, résume le CEO de Deutsche Bank Belgium, Alain Moreau. Autrement dit, être une banque de détail de premier plan en Europe capable d’accompagner les grandes sociétés allemandes et européennes partout dans le monde.
Les activités dans le domaine de la banque d’investissement sont en effet devenues un énorme boulet pour le groupe de Francfort, qui ne s’est jamais vraiment remis de la crise financière de 2007-2008. La faute à l’ancien CEO suisse Josef Ackermann, qui au début des années 2000 a donné la priorité à ce segment glamour, cherchant à jouer dans la même cour que les géants américains, au détriment de la banque de détail. Machine arrière, donc. Avec un nouveau plan d’économies déjà initié par Christain Sewing visant à réduire la voilure des activités de banque d’investissement aux Etats-Unis, où 1.000 emplois devraient passer à la trappe, soit 10 % de ses effectifs outre-Atlantique.
Pas d’impact en Belgique
Nouveau CEO, nouvelle stratégie : quel sera l’impact de ce énième changement de cap sur la banque en Belgique, doit-on craindre des suppressions d’emplois, des fermetures d’agences, etc. ? Non, assure Alain Moreau : ” Les nouveaux choix stratégiques du groupe ne devraient pas avoir d’impact négatif. Le modèle que nous déployons est complètement en ligne avec celui du groupe, qui veut désormais se focaliser sur la banque de détail et l’innovation digitale. Il ne devrait donc pas y avoir de gros changement. Si les activités belges avaient dû être revendues, cela aurait déjà été le cas. En Belgique, Deutsche Bank va très bien “, plaide Alain Moreau.
De fait, les affaires vont plutôt bien. Faisant partie du deuxième peloton des banques belges (derrière les ténors du marché BNP Paribas Fortis, Belfius, KBC et ING), Deutsche Bank Belgium propose chez nous des services de retail banking (centrés sur le conseil en investissement à destination des particuliers aisés) et de cash management (pour les entreprises). Et malgré la persistance de taux peu élevés, l’enseigne connaît une croissance régulière de son business. Ainsi, le volume des actifs sous gestion (épargne et investissement) a augmenté de 11 % en moyenne par an depuis 15 ans pour atteindre aujourd’hui 23 milliards d’euros. ” Nous devons être aussi une des seules banques en Belgique qui engage : 15 % de commerciaux en plus sur les cinq dernières années “, souligne Alain Moreau, citant le chiffre de 700 personnes qui travaillent aujourd’hui pour Deutsche Bank en Belgique et un chiffre de 325.000 clients qui reste stable (pour 34 agences).
Quant aux revenus de la banque, contrairement à ceux de sa maison mère, ils sont également en croissance constante, affichant une progression de 5 % par an sur les 15 dernières années. Ils devraient d’ailleurs franchir cette année la barre des 170 millions d’euros, nous confie Alain Moreau, ” soit un plus haut historique “.
Course à la taille
Si la banque marche plutôt bien, elle ne semble toutefois pas être une vache à lait. ” Malgré les taux bas, les trois dernières années ont été excellentes en termes de revenus, mais c’est vrai que, pour la première fois, nous sommes juste break-even en 2017, indique Alain Moreau. Il faut dire que nous avons beaucoup investi l’an dernier en informatique : 2018 sera d’ailleurs à nouveau profitable. ”
” Cela étant, poursuit-il, nous ne cherchons pas à maximiser notre profitabilité à court terme. La priorité, c’est d’apporter de la valeur ajoutée à nos clients grâce à la qualité de notre offre et de nos conseils, de faire grandir à long terme nos activités, d’être commercialement plus agressifs en offrant les prix les plus bas possibles et de pouvoir ainsi nous différencier par rapport aux autres banques. Il est plus important de développer la banque et de la faire évoluer afin de garder notre position de leader sur le créneau du conseil en investissement. C’est cela qui pérennise l’activité à long terme sur un marché extrêmement compétitif comme la Belgique. On voit bien que beaucoup d’acteurs n’ont pas cette taille critique suffisante et sont aujourd’hui en difficulté “, observe Alain Moreau.
MiFID II : une opportunité
Si cette course à la taille est si importante aux yeux d’Alain Moreau, c’est donc pour arriver à bénéficier d’un effet d’échelle. Avoir plus de clients lui permet d’absorber les coûts (réglementaires) qui augmentent, tout en baissant ses tarifs (0 % de frais d’entrée sur les fonds, diminution de 33 % des frais de transactions en Bourse, conseil sur les ETF, etc.). ” C’est pour cela que nous avons autant de succès, estime Alain Moreau. Les clients ont accès à des produits d’investissement dont les performances sont excellentes. Et cela, à des prix raisonnables. ” Selon lui, beaucoup de banques n’ont en fait pas anticipé la baisse des taux d’intérêt. Or, ” dans un environnement de taux bas, il est difficile de se différencier des autres avec des produits d’épargne classiques, renchérit le CEO. C’est pour cela que nous avons choisi de miser sur le conseil en investissement. ” ” Cela étant, ajoute-t-il, les clients regardent l’ensemble de leurs actifs. Les deux piliers que sont l’épargne et l’investissement restent très importants. D’ailleurs, quand les taux remonteront, je suis persuadé que nous arriverons à nouveau à nous démarquer avec les comptes d’épargne. ”
Quant à MiFID II, du nom de ces nouvelles règles européennes qui obligent les banques à faire toute la lumière sur l’ensemble des frais prélevés sur les produits vendus aux clients, Alain Moreau y voit une opportunité plutôt qu’une menace. ” Les clients vont avoir un choc quand, au premier trimestre 2019, ils découvriront les frais réellement facturés par leur banque cette année, dit-il. Beaucoup vont être étonnés. Cette transparence va nous avantager. On pourra comparer et se rendre compte que nous sommes une des banques les moins chères en Belgique. ”
Conseil 3.0
Dans le cadre de cette stratégie, et pour profiter au maximum de cette transparence sur les frais, la banque va lancer cet été une plateforme digitale de conseils en investissement. Elle pourra via ce nouvel outil avertir les clients de problèmes quant à la composition de leur portefeuille, donner des conseils, etc. Bref, ” Deutsche Bank devient la seule banque en Belgique capable de faire par voie digitale du conseil en investissement, à l’achat et à la vente, proactif et 100 % adapté aux objectifs personnels de chacun de ses clients “, conclut Alain Moreau, visiblement confiant quant à l’avenir de l’enseigne en Belgique. Mais Bruxelles n’est pas Francfort…
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici