Edmond de Rothschild se renforce en Belgique
Spécialisée dans la gestion de fortune, la banque suisse nourrit de nouveaux objectifs sur le marché belge. Rencontre avec la présidente du groupe, Ariane de Rothschild, le CEO ainsi que le patron de la succursale belge, qui détaillent leur plan de croissance.
“Depuis le décès de Benjamin en janvier, la stratégie de la banque n’a pas changé, elle était inscrite et installée. Nous la déroulons telle qu’elle a été énoncée. Il n’y a aucune turbulence”, rassure d’emblée Ariane de Rothschild à l’occasion d’une rencontre avec quelques médias belges triés sur le volet. “J’étais déjà plongée dans la gestion du groupe depuis un certain temps. C’est une discussion que j’ai eue avec Benjamin très, très tôt. Pour assurer la pérennité d’un business familial, il est important qu’au moins un autre membre de la famille soit parfaitement impliqué dans toutes les affaires. Et ce, afin que ce qui est nous est arrivé en début d’année ne soit pas, au moins au niveau des affaires, un désastre.”
Nous voulons nous renforcer en Flandre. Les entrepreneurs flamands avec des patrimoines allant de 2 à 10 millions d’euros sont notre coeur de cible.
Depuis la disparition brutale de son mari Benjamin de Rothschild en début d’année, Ariane de Rothschild (née Ariane Langner) préside en effet aux destinées de la banque fondée par son beau-père qui, aujourd’hui, totalise pas moins de 160 milliards d’euros de fonds sous gestion avec une présence dans 16 pays, dont la Belgique. C’est ainsi qu’en tant que présidente du groupe genevois de banque privée, la célèbre baronne était dernièrement de passage en Belgique, accompagnée du CEO François Pauly. But de la visite au siège bruxellois de la banque? Rencontrer le staff belge et préciser les ambitions du groupe sur notre marché.
Environ 2.000 clients
Cela fait maintenant quasiment 20 ans que la banque genevoise a posé ses valises à Bruxelles, au seizième étage de l’ancienne tour ITT dominant le bois de la Cambre et son abbaye. C’était juste avant la toute première déclaration libératoire unique (DLU) de 2004, mise sur pied à l’époque par le ministre des Finances, Didier Reynders. Comme d’autres banques suisses (Lombard Odier, UBS), Edmond de Rothschild traversait alors les frontières pour ouvrir une implantation à Bruxelles afin d’accompagner ses clients belges ayant décidé de rapatrier tout ou partie de leur fortune et y développer un marché prometteur. Résultat des courses? La maison affiche aujourd’hui environ 2.000 clients pour un total de 4 milliards d’actifs sous gestion. “La banque est bien ancrée dans le marché belge: nous avons une clientèle plutôt belgo-francophone, très diversifiée et solide”, confie Stéphane Wathier, qui a pris la direction de la succursale belge voici deux ans après avoir travaillé pendant 25 ans pour la division banque privée de la Société Générale, dont les cinq dernières années comme deputy-CEO. Et maintenant? “L’objectif du groupe est de doubler la taille des fonds gérés pour franchir la barre des 8 milliards d’euros”, situe pour sa part François Pauly.
Croissance organique
Cet objectif de croissance passe d’abord par un renforcement des effectifs. La banque, aujourd’hui, emploie 43 personnes (dont cinq gestionnaires de portefeuille) mais prévoit de recruter 17 collaborateurs, surtout des chargés de clientèle. “La compétition fait rage sur la place, il faut trouver les bons profils”, avance Stéphane Wathier, précisant que pour absorber cette croissance de 30% des effectifs, la succursale belge quittera d’ici la fin de l’année ses locaux actuels pour s’installer un peu plus haut sur l’avenue Louise, dans l’immeuble Platinum. “Déménager vers des espaces renouvelés reflète très clairement notre ambition d’aller de l’avant, ajoute le responsable de la succursale belge. Ce sera aussi l’occasion d’accueillir les clients dans des locaux qui sont un peu plus à l’image de la modernité que la banque veut projeter.”
Autre signe très concret de cette volonté d’aller de l’avant et de gonfler les revenus, l’ancien strategist vedette de Puilaetco, Frank Vranken, a rejoint la maison au début de l’été. A 54 ans, c’est l’un des analystes les plus connus de la place. De quoi aussi doper la notoriété de la célèbre banque aux cinq flèches au-delà de Bruxelles? “Doubler la taille de la banque en quelques années est ambitieux mais réaliste, et en tout cas pas déraisonnable, estime Stéphane Wathier. Notre défi sera d’être visible partout dans le pays tout en identifiant mieux les spécificités et les besoins de nos clients. Pour cela, nous avons, par exemple, mis en place une équipe dite ultra-high net worth individuals fin de l’année dernière. Elle a justement cette capacité de pouvoir apporter les solutions et l’expérience du groupe en l’adaptant au mieux aux besoins de nos clients, qu’il s’agisse de corporate finance, de private equity ou d’investissements immobiliers.”
Pas d’acquisitions donc, rien que de la croissance organique? “Absolument, précise Ariane de Rothschild. Nous croyons vraiment au développement organique de la banque. C’est globalement l’histoire du groupe et dans l’ADN de la famille. Mais nous restons très attentifs à ce qui se passe dans le marché. Nous regardons toutes les opportunités. Soit parce qu’il s’agirait de dossiers qui pourraient être des accélérateurs dans certains pays, soit parce qu’ils viendraient compléter l’expertise du groupe, comme des asset managers, des acteurs du private equity, etc.”
Un bureau à Gand
Dotée d’un profil très francophone, Edmond de Rothschild affiche également ses ambitions de devenir une banque vraiment belge pour mieux couvrir l’ensemble du territoire. “Aujourd’hui, nous sommes surtout présents en Wallonie et à Bruxelles, explique François Pauly. Mais nous voulons nous renforcer en Flandre. Vous le savez mieux que nous, la Belgique offre beaucoup d’opportunités au nord du pays. La concentration d’entrepreneurs y est importante.”
Présente en Flandre avec un seul bureau, à Anvers, la maison veut grandir en ouvrant une deuxième implantation à Gand dans le courant du premier semestre 2022. “Jusqu’ici, nous n’avions pas une connaissance suffisamment fine du tissu économique local pour nous y développer, reconnaît Stéphane Wathier. Les entrepreneurs flamands avec des patrimoines allant de 2 à 10 millions d’euros sont notre coeur de cible.” Parallèlement, ajoute-t-il, “nous avons encore une marge de manoeuvre sur la clientèle française installée en Belgique pour des raisons fiscales, un segment sur lequel nous n’avons pas encore atteint notre part de marché naturelle. Nous avons aussi la volonté de poursuivre le développement sur le sud du pays dans une approche un peu différente. L’objectif est plus de regrouper nos équipes sur Bruxelles dans un mode d’organisation totalement différent. Il y a l’avant-covid et l’après-covid. La Wallonie est plus grande mais la concentration des gros patrimoines est moins importante. Il est moins pertinent d’avoir des bureaux dans différentes villes.”
En clair, fini le bureau de Liège. “L’idée est de travailler au départ d’une base centrale à Bruxelles avec des outils digitaux, que nous avons pu tester et déployer pendant deux ans et qui fonctionnent très bien, pour avoir une couverture géographique optimale.”
Et le covid?
Recentrée sur Bruxelles avec bientôt deux bureaux en Flandre, Edmond de Rothschild n’a donc pas échappé aux confinements successifs et à leur impact sur la relation avec les clients. “Il est parfois beaucoup plus facile de se parler via un écran que de venir d’Arlon à Bruxelles pour une demi-heure. Il y a là une avancée technologique qui a été très bien maîtrisée dans un laps de temps spectaculaire, estime François Pauly. Au-delà, le groupe est en train de mettre en place une plateforme IT unique et commune aux différentes entités tout en y intégrant une certaine flexibilité.” Dit autrement, la banque évolue avec son temps. Histoire d’être plus efficace. D’alléger sa structure de coûts, sans pour autant renier ses valeurs. “Le covid n’a pas changé les convictions du groupe, complète Ariane de Rothschild en guise de conclusion. Par contre, il les a très certainement accélérées. Nous réfléchissons beaucoup sur la place du capital humain dans la disruption digitale. Depuis longtemps aussi, nous avons acté que notre gestion d’actifs serait ESG ( critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, Ndlr). Environ 85% des encours de nos fonds répondent aux critères ESG. L’objectif est d’atteindre à 100% d’ici la fin de l’année. C’est une vague qui devient la norme mais sur laquelle nous travaillons depuis plusieurs années. Nous sommes très en amont sur ce sujet, comme nous le sommes en matière de philanthropie. Nous n’avons pas un client qui ne soit pas déterminé à faire de la philanthropie, plus ou moins sophistiquée, avec des montants plus ou moins importants: Edmond de Rothschild est une maison d’investissement avec de fortes convictions.”
Femme de caractère
Même si la gestion de patrimoine est un métier de long terme, Ariane de Rothschild avoue avoir toujours été très impatiente. “Il n’y a pas beaucoup de femmes dans le monde de la finance. Je trouve important d’inspirer par l’exemple, de montrer que les familles fortunées ne sont pas justes fortunées mais que ce sont des familles dynamiques, qui travaillent en permanence, qui prennent des risques, qui sont très engagées.” La Belgique dans tout cela? “J’ai grandi au Zaïre. Quand je suis rentrée à 18 ans, contrainte et forcée par mes parents de venir étudier en Europe, j’avais le choix entre la France (ma mère) et l’Allemagne (mon père). L’Allemagne, c’était quand même un changement radical, notamment côté climat. J’ai donc vécu à Paris, mais je venais à Bruxelles tous les week-ends puisque tous mes amis y habitaient: des Congolais, des Belges. Donc, je connaissais bien Matonge, entre autres ( sourire). Bruxelles est une ville que j’apprécie beaucoup. Les Belges sont des gens extrêmement chaleureux, des bons vivants et de grands esthètes. On le dit trop peu souvent. Il y a en Belgique des collections d’oeuvres d’art extraordinaires.”
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