Dexia, un mariage franco-belge, pour le meilleur et surtout le pire, et un trouble-fête US

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A la fin de l’été 2008, Fortis n’est pas le seul acteur majeur de la finance belge à donner des cheveux blancs, voire pire, des sueurs froides, aux autorités belges. La crise des crédits immobiliers à risque “subprimes” fait rage depuis des mois aux Etats-Unis et Dexia n’en sort pas indemne. La faute à sa filiale américaine FSA Holdings.

Acquise en juillet 2000 pour la coquette somme de 2,6 milliards de dollars (110 milliards de francs belges, à l’époque), FSA est spécialisée dans le “rehaussement de crédit auprès de collectivités émettrices d’obligations municipales et de titrisation”. Le métier du rehausseur de crédit (ou “monoline”) consiste à apporter sa garantie, contre rémunération, à des organismes, en l’occurrence des collectivités locales aux Etats-Unis, qui émettent un emprunt.

Dexia explique à l’époque que ce rachat permet de créer “un leader international du financement public et du financement spécialisé”.

Avec la crise des “subprimes” aux Etats-Unis, FSA s’avère un sacré caillou dans la chaussure de Dexia, dont les résultats trimestriels sont plombés dès 2007 par sa filiale US. Le 17 janvier 2008, l’action Dexia cède 5%, passe sous la barre des 16 euros et retrouve son niveau le plus bas depuis fin 2004.

FSA

La cause? FSA… Indirectement, en tout cas. Deux assureurs obligataires américains, Ambac et MBIA, actifs dans le même secteur, connaissent des déboires et il n’en faut pas plus pour que le marché ne redoute, à terme, de semblables tracas pour Dexia et sa filiale. Des craintes somme toute fondées puisque début février 2008, le groupe franco-belge injecte 500 millions de dollars (340 millions d’euros) dans FSA qui, une semaine plus tard, fait état d’une perte nette de 65,7 millions de dollars en 2007.

La filiale américaine attribue ses pertes “aux dépréciations de valeurs liées à son portefeuille de produits dérivés, à hauteur de 417,7 millions de dollars.” Les résultats annuels 2007 de Dexia sont, quant à eux, l’arbre qui cachent la forêt. Le groupe publie un bénéfice conséquent de plus de 2,6 milliards d’euros (-7%) et affirme que “la crise des crédits hypothécaires subprime” n’a “pas eu d’effet significatif sur la qualité” des ses actifs. “2007 a été une mauvaise année pour le secteur financier en raison de la crise des subprimes mais a été une très bonne année pour Dexia”, affirme même Axel Miller, le CEO du groupe franco-belge.

Mieux encore, Dexia se réjouit que FSA ait pu profiter de la pression subie par les autres grands assureurs obligataires américains pour augmenter ses parts de marché… Toutefois, quelques semaines plus tard, à la mi-mai, les résultats du premier trimestre (bénéfice net en chute de 60%) font déchanter les responsables de Dexia. FSA éprouve des difficultés et met un terme à certaines de ses activités. Fin juin, Dexia se voit contraint d’octroyer une ligne de crédit de 5 milliards de dollars à sa filiale américaine.

Le groupe veut à tout prix éviter une dégradation de la note de FSA mais l’agence de notation Moody’s annonce bientôt qu’elle songe à abaisser sa note. Il n’en faut pas davantage pour voir l’action Dexia lâcher près de 7% en une journée. Début août, rebelote: FSA reçoit 300 millions de dollars supplémentaires de Dexia et se retire de ses activités les plus risquées. Comme le confirment les résultats de Dexia au deuxième trimestre 2008: FSA est un puits sans fond qui a dû essuyer depuis le début de l’année une perte d’1,3 milliard de dollars. En septembre 2008, la crise financière atteint son paroxysme avec la faillite, le 15 septembre, de la banque d’affaires américaine Lehman Brothers.

Séisme

Un véritable séisme. Le marché interbancaire s’assèche aussitôt. En d’autres termes, les banques n’osent plus se prêter entre elles. Le 17, les trois grands groupes bancaires belges que sont Fortis, Dexia et KBC voient partir en fumée, en deux jours, 8,3 milliards d’euros de capitalisation boursière, dont 2,2 milliards d’euros pour Dexia. Et le 20, la Commission bancaire, financière et des assurances (CBFA) interdit les “ventes à découvert” sur les actions de KBC, Dexia et Fortis. Une mesure exceptionnelle en vigueur pour trois mois. Le 29 septembre, l’agence de notation Standard & Poor’s abaisse la notation financière qu’elle accorde au groupe Dexia, invoquant la détérioration du marché immobilier américain.

La situation devient alors intenable. Le gouvernement belge se dit prêt à soutenir Dexia en cas de difficultés, comme il l’a fait avec Fortis… qui sera démantelé quelques jours plus tard. L’action Dexia sombre de près de 30% à la Bourse de Bruxelles. Le lendemain, les gouvernements belge, français et luxembourgeois et certains gros actionnaires, conviennent de recapitaliser Dexia à hauteur de 6,4 milliards d’euros, dont 3 milliards d’euros à charge de l’État belge. Cette intervention scelle le sort du tandem à la barre depuis plusieurs années. Le CEO du groupe, le Belge Axel Miller, et son président français, Pierre Richard, sont poussés à la démission, le premier quittant la maison sous les applaudissements d’une partie du personnel. Axel Miller a également l’élégance d’annoncer qu’il refuse à ses indemnités de départ. Miller et Richard seront remplacés par un autre tandem franco-belge: Pierre Mariani et l’ancien Premier ministre Jean-Luc Dehaene.

Malgré la méfiance de certains épargnants, qui ont retiré début octobre 100 millions d’euros de leurs comptes, et l’annonce début 2009 d’une perte nette de plus de 3,3 milliards d’euros, Dexia semble, contrairement à Fortis, tiré d’affaires. Provisoirement, en tout cas. Le groupe plie mais ne rompt pas. C’est sans doute plus facile, il est vrai, quand on bénéficie de la garantie d’État de la Belgique, de la France et du Luxembourg… Dexia se lance dans un plan de transformation, réduit ses coûts et, bientôt, cédera des filiales à gauche à droite, tout en prenant soin de conserver ses bijoux de famille, comme la florissante banque turque Denizbank, acquise en 2006 et que Pierre Mariani qualifiera un jour de “cheval de course qui continue à croître”.

Le 1er juillet 2009, FSA, la maudite filiale américaine, est vendue pour 816,5 millions de dollars… Pour rappel, elle avait été achetée 2,6 milliards de dollars neuf ans plus tôt. Dexia renoue même avec les bénéfices en 2009 (1 milliard d’euros) et en 2010 (723 millions d’euros). Mais c’est une autre crise financière, celle des dettes souveraines -qui frappera durement les pays du sud de l’Europe, Grèce en tête- qui fera définitivement vaciller le groupe franco-belge à l’automne 2011…

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