Des banques belges liées au travail forcé en Chine

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Les fonds d’investissement de KBC et de BNP Paribas comprennent des entreprises exploitant des Ouïghours au Xinjiang, annonce De Standaard. Et le problème du travail forcé en Chine s’étend bien au-delà de cette région.

Selon Politico et De Standaard, des institutions financières belges investirait dans des firmes chinoises ouvertement complices de la persécution des Ouïghours en Chine. Ainsi, selon le rapport semestriel de juin 2021 et qui ne serait plus d’actualité selon la banque, KBC a proposé un fonds d’investissement qui comprend les entreprises chinoises Hikvision, Xinjiang Goldwind Science and Technology et BGI Genomics (spécialisé dans le séquençage ethnique de l’ADN). Autant d’entreprises qui seraient connues pour leurs violations des droits de l’homme et leurs activités éthiquement douteuses dans la province chinoise du Xinjiang, dit De Standaard.

Pour rappel, Hikvision est une société chinoise de caméras de sécurité spécialisée dans les fonctions de reconnaissance de l’origine ethnique ou pour le dire plus prosaïquement de “profilage démographique”. Outre ses activités commerciales internationales, Hikvision est aussi une composante importante de l’appareil autoritaire de surveillance de Pékin. Ses millions de caméras surveillent le territoire chinois et en particulier le Xinjiang, où le pouvoir mène une vaste opération de répression contre les Ouïghours. Cette entreprise fait, en raison d’allégations d’implication dans ce nettoyage ethnique, l’objet d’une interdiction d’exploitation dans certains pays. Hikvision a aussi été placé sur une liste noire commerciale américaine en 2019, après que le département américain du Commerce a déclaré qu’il avait “été impliqué dans des violations des droits de l’homme et des abus dans la mise en oeuvre de la campagne de répression, de détention arbitraire massive et de surveillance de haute technologie de la Chine contre les Ouïghours, les Kazakhs et d’autres membres de groupes minoritaires musulmans”.

Xinjiang Goldwind, selon l’ONG américaine Campaign for Accountability, emploie elle des travailleurs forcés ouïghours dans au moins une de ses usines à Toskun. Or Xinjiang Goldwind Science se retrouve dans les fonds de KBC, Schroders et Pictet. La BNP Fortis Paribas avait également un fonds d’investissement en 2021 qui comprenait Xinjiang Goldwing Science and Technology et la Banque agricole de Chine. Cette dernière possède une succursale auprès du Xinjiang Production and Construction Corps (XPCC), une société holding semi-officielle qui utilise le Xinjiang comme région viticole et qui aurait jouer un rôle de premier plan dans l’exploitation et la persécution de la minorité ethnique, précise De Standaard. Xinjiang Production and Construction Corps (XPCC) est aussi la seule entité chinoise sanctionnée depuis mars 2021 par l’Union européenne pour son rôle dans le travail forcé des Ouïghours.

A partir de 2022, BNP Fortis Paribas aurait néanmoins abandonné ces entreprises, précise encore le quotidien. Et KBC souligne pour sa part qu’il s’agit uniquement d’un “fonds indiciel passif”. Comme le précise encore KBC, “l’objectif d’investissement de ce fonds consiste à suivre de manière purement passive un indice officiel de sociétés cotées (MSCI CHINA A INTERNATIONAL Net Return Index). Ainsi, l’inclusion de ces sociétés dans la composition du fonds n’est pas une décision de gestion active du fonds lui-même mais résulte automatiquement de la composition de l’indice. La banque souligne qu’elle a mis en place des politiques d’exclusion strictes depuis bien plus longtemps, tant pour les fonds conventionnels que pour les fonds qui investissent de manière responsable. Par ailleurs, sur la base de ces informations disponibles, il apparaît que les controverses concernant les entreprises mentionnées dans le rapport (Zhejiang Dahua Technology, iFlytek Co Ltd, Xinjiang Goldwind Science & Technology Company et BGI Genomics Co Ltd) n’ont pas atteint les seuils utilisés à exclure dans les fonds d’investissement de KBC à ce stade. Toujours selon les informations dont dispose KBC aujourd’hui, seule Hangzhou Hikvision Digital Technology figure actuellement sur une liste de sanctions de l’OFAC, mais elle confirme qu’elle n’a aucune exposition à Hangzhou Hikvision Digital Technology”.

Selon une recherche approfondie des comptes annuels de fonds financiers réalisée par Ecolo Groen, il ressort que :

KBC : Selon son dernier rapport annuel public publié le 30 juin 2022 (dernières données disponibles), la banque belge KBC, via son fonds “KBC Horizon China”, a investi à la fois dans Hikvision, Dahua Technology, iFlytek, Xinjiang Goldwind Science, et BGI Genomics.

BNP Paribas Fortis investissait encore au 30 juin 2021, dans l’Agricultural Bank of China et dans l’entreprise Xinjiang Goldwind Science & Technology. Cependant, selon le rapport semi-annuel de juin 202210 de ces mêmes fonds – et qui constitue les dernières données disponibles publiquement – BNP Paribas n’investit plus ni dans l’Agricultural Bank of China, ni dans Xinjiang Goldwind Science & Technology.

Schroders : il gère à travers le monde plus de 731 milliards £ d’actifs et a “ouvert son bureau à Bruxelles en 2012. Or, selon le dernier rapport annuel disponible, Schroders investissait encore au 31 décembre 2021 dans l’Agricultural Bank of China, la China Molybdenum Co. Ltd., la Hoshine Silicon Industry Co. Ltd, et Xinjiang Goldwind Science & Technology, à travers plusieurs fonds proposés à ses clients.

Pictet : Pictet Asset Management est un SICAV basé au Luxembourg, avec un siège en Belgique,14 dont les fonds sont aussi commercialisés en Belgique soit directement, soit indirectement. Au 31 mars 2022 (dernières données publiquement disponibles), il a investi dans plusieurs entreprises chinoises accusées de violations graves des droits humains au Xinjiang. Cela inclut de multiples participations dans Xinjiang Goldwind Science & Technology, l’Agricultural Bank of China, China Molybdenum Co. Ltd, Dahua Technology, iFlytek, BGI Genomics.

Pas encore de législation européenne

Contrairement aux États-Unis, il n’y a pas encore en Europe de législation sur le devoir de diligence des entreprises (soit processus par lequel les entreprises peuvent identifier, prévenir, atténuer et rendre compte de la manière dont elles gèrent les impacts négatifs réels et potentiels) et plus spécifiquement contre le travail forcé. Dans le projet en cours d’élaboration, les banques bénéficieraient de toute façon d’une exception. De quoi faire rugir le député fédéral, Samuel Cogolati: “les sanctions européennes ne sont pas là pour décorer! L’UE ne peut pas, d’un côté, sanctionner et geler les comptes du Bureau de la Sécurité publique du XPCC et de l’autre, laisser nos propres banques financer les entreprises liées à ce même XPCC”.

En attendant, les banques font donc exactement ce que la loi exige, mais pas plus que nécessaire. Toutes les institutions financières belges s’engageant en principe à ne se rendre, en aucun cas, complices de violations des droits humains, même de manière indirecte. “Or, si une simple recherche en ligne permet de constater que leurs fonds financent des firmes chinoises blacklistées, nous devons nous interroger sur la capacité de ces banques à filtrer, voire bloquer, les investissements douteux. Ces informations étant publiques, loin de pouvoir feindre l’ignorance, il est urgent que les banques concernées appliquent leurs propres engagements en matière de respect des droits humains”, conclut le député Ecolo.

Les plus grands fonds de gestion d’actifs, fonds de pension d’État et fonds souverains du monde investissement passivement dans ce genre d’entreprises

Selon le dernier rapport Hong Kong Watch, groupe de recherche basé au Royaume-Uni, et le Helena Kennedy Centre for International Justice de l’université Sheffield Hallam, les plus grands fonds de gestion d’actifs, fonds de pension d’État et fonds souverains du monde investissement passivement dans des entreprises qui auraient été impliquées dans la répression des musulmans ouïghours dans la région du Xinjiang, au nord-ouest de la Chine. Selon ce même rapport, trois grands indices boursiers fournis par l’éditeur d’indices MSCI comprennent au moins 13 entreprises qui auraient eu recours au travail forcé ou qui auraient profité de la construction par la Chine de camps d’internement dans le Xinjiang et de son appareil de surveillance ces dernières années. “Les principaux investisseurs institutionnels financent des entreprises dont on sait qu’elles sont impliquées dans la crise de la région ouïgoure et en tirent profit”, indique encore le rapport. Il montre aussi comment les principaux gestionnaires d’actifs, dont BlackRock, HSBC, UBS et Deutsche Bank, sont exposés à des fonds indiciels comprenant des entreprises accusées d’être complices de violations des droits. Les fonds de pension du Canada, des États-Unis et du Royaume-Uni ainsi que le fonds d’investissement des pensions du gouvernement japonais et le fonds de pension de la Nouvelle-Zélande seraient également concernés.

Pas que les ouïgours

Exclure les entreprises qui participent à l’exploitation des ouïgours n’est que la surface émergée de l’iceberg puisque le travail forcé s’est répandu dans de nombreux endroits en Chine. “Rien qu’à Shanghai, 1 008 entreprises opèrent dans le cadre du système en circuit fermé”, explique Eli Friedman (Cornell University), analyste de la Chine dans le Standaard. “Tesla, Apple, Foxconn, Quanta… tous ont enfermé hermétiquement les ouvriers dans l’usine à partir d’avril 2022. Il n’y avait pas de nettoyage, les déchets s’accumulaient dans les dortoirs et les travailleurs infectés ne recevaient même pas assez d’eau potable”. Pire, quand les ouvriers de l’usine Foxconn ont fui, les administrateurs locaux ont recruté 10.000 nouveaux travailleurs à la manière d’une circonscription militaire, soit au moins un volontaire par village.

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