Degroof-Petercam: une fusion qui s’annonce délicate

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Devant donner naissance à la première banque privée indépendante du pays, la fusion entre la Banque Degroof et Petercam serait bouclée, selon nos confrères de L’Echo. Tout cela devra néanmoins se concrétiser sur le terrain avec le personnel et les clients. Ce qui ne sera pas simple.

Sauf coup de théâtre, la fusion entre la Banque Degroof et Petercam devrait être annoncée dans les prochains jours, rapporte ce matin le journal L’Echo. Il ne manquerait plus que le feu vert officiel des régulateurs, une formalité, affirment nos confrères qui ajoutent que les actionnaires de Degroof hériteraient de 70 % des actions du nouvel ensemble, pour 30 % aux actionnaires de Petercam. Une clé de répartition qui tient compte de du poids de chacune des deux enseignes en termes de bénéfices (74 millions d’euros pour Degroof contre 22 millions pour Petercam), d’actifs sous gestion (28 milliards d’euros contre 14 milliards) ou encore d’effectifs (1.000 personnes chez Degroof pour 400 chez Petercam), etc.

Entamées voici plusieurs mois, les négociations entre les deux banques privées seraient donc (enfin) bouclées. Selon nos informations, elle aurait d’ailleurs dû être officialisée à la Saint-Nicolas, puis à Noël avant qu’il ne soit plus tard question d’une date en janvier, autour de l’Epiphanie. Signe qu’il ne restait plus que quelques “détails” à régler pour finaliser le contrat de mariage : appellation du nouvel ensemble, répartition de certains postes clés, conditions de sortie de certains anciens, etc.

Associés “vieillissants”

En fait de détails, plusieurs éléments motivent ce rapprochement entre les deux maisons. Il faut d’abord savoir que Petercam n’a pas été épargné par la crise financière et ses avatars divers. Or, “on ne balaye pas d’un revers de la main plusieurs années de vaches maigres”, glisse un professionnel du secteur. Et puis, il y a eu le départ de son chief economist vedette Geert Noels et les problèmes rencontrés par certains de ses fonds maison (Moneta, etc.). Tout cela a terni l’image de Petercam auprès de ses clients.

Un mariage avec la vénérable Degroof devrait du coup lui permettre de redorer son blason. Il devrait aussi donner à Petercam la possibilité de se remettre en selle sur le plan financier, moyennant, notamment, des économies d’échelle et des synergies de coûts. C’est qu’avec la crise de 2008, la gestion de patrimoine est devenue un marché où les frais de fonctionnement augmentent de plus en plus, notamment à cause des aspects réglementaires. A ce poids réglementaire grandissant s’ajoute par ailleurs une concurrence qui ne cesse de s’intensifier. A la recherche de nouveaux revenus, les grands réseaux bancaires sont en effet devenus commercialement très agressifs sur la gestion de patrimoine. Par ailleurs, nombreuses sont les banques étrangères qui, ces dernières années, sont venues s’installer en Belgique pour y courtiser les particuliers fortunés. Si bien que pour se sauver, diront certains, Petercam est allée frapper à la porte de Degroof qui a, elle, plutôt bien résisté à la crise. Le tout sachant que certains associés “vieillissants” de Petercam, société qui fonctionne toujours sous la forme d’un partnershisp, trouvent désormais un intérêt à pouvoir revendre leurs parts.

Une bande de copains

Or, du côté des actionnaires de Degroof aussi, d’aucuns sont désireux de tourner la page. Ce serait entre autres le cas de Regnier Haegelsteen, ancien CEO de la banque, et d’un autre de ses piliers, Alain Schockert, que l’on dit également sur le départ. Par ailleurs, les nouveaux venus au sein de cet actionnariat que sont Cobepa (holding lié aux Josi) et la famille d’armateurs Cigrang (Compagnie luxembourgeoise de navigation) qui, en 2010 ont racheté ensemble les 14 % que détenait la Compagnie du Bois Sauvage, sont demandeurs de davantage de rentabilité.

Là se trouve d’ailleurs un des premiers obstacles qui attendent les futurs mariés. Banque privée indépendante qui, comme Petercam, n’est pas adossée à un groupe bancaire, Degroof est implantée dans six pays et emploie un bon millier de collaborateurs pour 28 milliards d’euros d’actifs sous gestion. Son bénéfice net s’est établi à 74 millions d’euros au cours de l’exercice écoulé. Or, compte tenu de ces effectifs, il est, paraît-il, possible de faire mieux. Autrement dit, la structure de coûts chez Degroof n’est pas optimale. N’ayant pas joué la carte de la standardisation comme a su le faire Delen, la banque est trop grasse. “Elle est gérée depuis plusieurs années par une bande de copains”, glisse une mauvaise langue qui connaît bien Degroof de l’intérieur et sous-entendant que ses dirigeants se satisfont un peu trop facilement des résultats engrangés. Raison pour laquelle Cobepa est allé chercher Philippe Masset chez ING Belgique pour succéder à Regnier Haegelsteen. Sa mission est claire : serrer les boulons.

Coupes claires

Recruté à l’extérieur de la banque, l’ancien haut dirigeant d’ING ne ferait d’ailleurs pas l’unanimité au sein de la vénérable institution de la rue Guimard. Il faut dire que, fusion ou pas, serrer les boulons ne se fait jamais sans mal. Sur papier, le mariage de Degroof avec l’enseigne de la place Sainte-Gudule doit donner naissance à la première banque privée et d’affaires du pays avec plus de 40 milliards d’actifs sous gestion. Histoire, comme évoqué plus haut, d’être plus compétitif en répartissant les coûts sur une plus large base de revenus.

Mais tout cela devra bien sûr se concrétiser sur le terrain avec le personnel et la clientèle. Certes, les deux maisons pratiquent les mêmes métiers (banque privée, gestion institutionnelle et corporate finance) et sont toujours indépendantes. Ce n’est pas non plus la première fois qu’elles discutent ensemble d’un rapprochement. La dernière fois, c’était il y a trois ans. Axel Miller, alors CEO de Petercam, avait entamé des discussions avant que celles-ci n’échouent.

Mais fusionner deux banques n’est jamais simple. Il ne s’agit pas simplement de racheter un portefeuille de clients comme vient de le faire Puilaetco Dewaay avec UBS Belgium. Dans le cas de Petercam et Degroof, il faudra intégrer des équipes, harmoniser des procédures, unifier des plateformes informatiques (Petercam s’appuie, par exemple, sur celle de Lombard Odier), etc.

Cultures différentes

Qui dit fusion bancaire dit généralement aussi rationalisation. Tant chez Petercam que chez Degroof, certains employés ont d’ailleurs de quoi craindre pour leur job en cas de fusion. Des réductions dans les effectifs sont à prévoir. “Une fois les deux entités réunies, il y aura des doublons, lâche un observateur privilégié. Sans doute plus du côté des analystes et des gestionnaires de fonds que chez les commerciaux. Mais un nettoyage social est inévitable. Nettoyage social auquel s’ajouteront des questions de cultures.”

Les deux maisons sont en effet assez différentes dans leur manière de travailler. Degroof a la réputation d’être prudente et conservatrice, d’où un processus décisionnel long et fastidieux. “Degroof reste Degroof, confie cet autre familier de la maison. C’est une vieille dame de 140 ans. Et comme toute vieille dame, elle n’aime pas trop le changement.” D’un autre côté, Petercam est connue pour sa mentalité plus audacieuse. Une mentalité (de cow-boy, diront certains) héritée du monde des agents de change. “L’autonomie dans la gestion de portefeuille y est plus grande que chez Degroof où règne davantage de centralisation et un esprit de salarié, poursuit notre dernier interlocuteur. De ce point de vue-là, Degroof se rapproche plus du modèle des grandes banques.” Pas sûr, dès lors, que cette façon de travailler conviendra à tout le monde chez Petercam.

Guerre de pouvoir

Reste enfin les problèmes d’égo, souvent à l’origine de l’échec d’une fusion. S’il semble y avoir un accord pour les premiers rôles (le CEO de Petercam Xavier van Campenhout ne disputant apparemment pas la place de numéro un à Philippe Masset), c’est loin d’être le cas pour les autres niveaux d’encadrement. Chacun voudra placer ses pions. Il faudra ménager les susceptibilités. Certains deviendront chefs et d’autres pas. Les places de directeur dans les divers bureaux régionaux seront chères (Anvers, etc.), dit-on. Sans compter qu’il faudra expliquer tous ces changements de têtes aux clients. Des clients devenus encore plus exigeants suite à la crise financière et auxquels il faut dorénavant justifier des frais de gestion tournant autour de 1% (commission, droit de garde, etc.) alors que les taux d’intérêt sont proches de zéro. Bref, l’aventure ne fait que commencer.

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