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Comment expliquer que le fisc pourra enfreindre les règles sans en subir de conséquence ?

Par tradition, l’administration fiscale belge est modérée, légaliste et respectueuse des droits des contribuables. Mais il peut arriver que, exceptionnellement, des fonctionnaires obtiennent illégalement des éléments de preuve et les utilisent pour procéder à une taxation.

On considérait jusqu’ici qu’il existait un principe “de la légalité de la preuve”, qui entraînait la nullité des impôts établis au moyen de preuves obtenues illégalement. Un récent arrêt de la Chambre flamande de la Cour de cassation vient de décider le contraire. Certes, il n’autorise pas explicitement l’administration à utiliser des preuves obtenues illégalement, mais il décide que cela n’entraîne pas nécessairement la nullité de la taxation. Selon la Cour, il n’en est ainsi que si la loi prévoit expressément cette nullité, si l’acte commis par l’administration est considéré comme “inacceptable” dans toutes les circonstances ou encore si le comportement du fisc prive le contribuable de son droit à un procès équitable.

Et, pour apprécier si l’on se trouve dans ces hypothèses qui entraînent la nullité de l’impôt, la Cour de cassation cite quelques circonstances dont le juge devra désormais tenir compte : le caractère purement formel de l’irrégularité commise, ses conséquences sur le droit ou la liberté que la norme protégeait, le caractère intentionnel ou non de la faute commise par l’autorité et une comparaison entre l’importance de l’irrégularité commise par le fisc et de “l’infraction” reprochée au contribuable.

Les critères choisis par la Cour sont malheureusement très flous et excluent toute sécurité juridique. Ils s’inspirent très largement de sa jurisprudence en matière pénale, où, depuis un célèbre mais contestable arrêt “Antigone” (du nom de l’association qui y était partie), la Cour considère que les irrégularités commises par la police ou les magistrats n’entraînent la nullité des poursuites qu’à des conditions analogues à celles dégagées à présent en matière fiscale.

Difficile d’expliquer aux contribuables que l’autorité publique peut, elle, impunément enfreindre des règles légales sans en subir aucune conséquence…

Il est vrai que cet arrêt ne permettra pas au fisc d’échapper à la nullité pour toutes les irrégularités qu’il commet. Il ne concerne que celles qui affectent les preuves qu’il produit, et non les règles de procédure. De plus, même si elles sont peu claires et seront sûrement une source d’arbitraire, les hypothèses dans lesquelles la Cour reconnaît que la nullité s’impose viseront les irrégularités les plus graves. Il sera néanmoins difficile d’expliquer à des contribuables, à qui on réclamera le paiement d’un impôt parce qu’ils n’auront pas respecté l’une ou l’autre formalité mineure, que l’autorité publique, de son côté, peut impunément enfreindre des règles légales sans en subir aucune conséquence.

L’arrêt s’inscrit dans une tendance générale de la Cour à relativiser les conséquences des erreurs dites formelles. Le problème est que les règles de forme sont faites pour protéger des droits et des libertés, et que si elles ne sont pas sanctionnées, elles deviennent inefficaces, et les droits qu’elles protègent disparaissent.

La tendance à demander au juge de “mettre en balance”, d’une part des droits fondamentaux, ceux que protège la règle de forme, et d’autre part les intérêts de l’autre partie, en l’espèce l’Etat, aboutit à l’arbitraire. A partir de combien d’euros doit-on considérer que l’administration pourrait — ces questions sont bien sûr théo- riques — saisir illégalement des preuves, procéder à une perquisition illégale, recourir à un chantage, ou à la torture ? Rien, dans l’arrêt, ne permet d’écarter définitivement une preuve, sans une éventuelle “mise en balance” des intérêts, dans de telles circonstances.

Peut-être sans s’en rendre compte, la Cour fait un choix délicat, de portée philosophique. Elle prend le parti de ceux qui considèrent que tous les droits sont accordés par l’Etat, qu’aucun droit n’est absolu, et que l’on peut imposer une limitation des droits fondamentaux, qui ne résulterait pas de la loi elle-même, mais de circonstances diverses appréciées par le juge. Au contraire, la Déclaration des droits de l’homme de 1789 reconnaissait à tous les individus des “droits naturels, inaliénables et sacrés”, ce qui veut dire des droits que l’Etat doit respecter en toutes circonstances. En d’autres termes, la Cour de cassation exclut qu’il existe des lois au-dessus des lois de l’Etat, comme le disait… l’Antigone de Sophocle.

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