Ces pros du “private equity” qui pilotent notre fonds de relance

Mathieu Chabran Et Antoine Flamarion - La Belgique est un pays où les fondateurs de Tikehau Capital se sentent bien "en tant qu'entrepreneurs". © pg
Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Spécialisé dans la gestion d’actifs alternatifs, le groupe français Tikehau Capital s’est vu confier par l’Etat la mission de gérer le Belgian Recovery Fund dont l’objectif est de soutenir les entreprises belges impactées par la crise sanitaire. Portrait d’une belle histoire entrepreneuriale qui n’a pas 20 ans et qui pèse plus de 30 milliards d’euros.

Située au 11e étage de l’IT Tower, avenue Louise à Bruxelles, la petite équipe belge de Tikehau Capital peut avoir le sourire. C’est en effet elle qui, à la suite d’un beauty contest international, a été retenue par la Société fédérale de participations et d’investissement (SFPI), le bras financier de l’Etat belge, pour assurer la gestion et le développement du Belgian Recovery Fund.

Mis sur pied en septembre dernier par le ministre des Finances Vincent Van Peteghem et le secrétaire d’Etat pour la Relance Thomas Dermine, le véhicule a pour objectif de renforcer la solvabilité des PME du pays “abîmées” par la crise. Sous la houlette de l’équipe bruxelloise de Tikehau Capital, il vient de lever 218 millions d’euros auprès d’un panel d’investisseurs bien connus du monde des affaires belge, allant de Belfius à Ethias en passant par Axa Belgium et AG, ainsi que Christian Dumolin (Koramic), sans oublier la SFPI et Tikehau Capital lui-même, qui amène 15 millions d’euros.

C’est quoi le Belgian Recovery Fund?

Lancé en septembre dernier par le ministre des Finances Vincent Van Peteghem et le secrétaire d’Etat pour la Relance Thomas Dermine, le Belgian Recovery Fund vise à renforcer la solvabilité des entreprises belges impactées par le covid. Il a pour mission d’octroyer des prêts subordonnés et convertibles de l’ordre de 5 à 20 millions d’euros aux entreprises financièrement saines avant la crise mais qui ont dû faire face à une réduction de leurs fonds propres en raison de la pandémie.

Les premiers investissements devraient être bouclés dans les prochaines semaines. Après un premier tour de table de 218 millions, l’objectif est de réunir jusqu’à 350 millions. Une deuxième levée de fonds est d’ores et déjà prévue en 2022.

Le Belgian Recovery Fund constitue également la première étape de la constitution par l’Etat fédéral du Fonds de transformation. Doté de 750 millions d’euros, celui-ci est destiné non seulement à stimuler la relance mais aussi à soutenir la transition vers une économie plus durable et plus numérique.

Un atoll polynésien

Mais qui est Tikehau Capital à qui le gouvernement a confié la mission de trouver des investisseurs pour alimenter notre fonds de relance? Certes, la maison de gestion parisienne a quelque peu défrayé la chronique par le passé en recrutant l’ancien candidat malheureux à l’élection présidentielle François Fillon qui, depuis près de deux ans, ne siège plus au sein de l’ advisory board du groupe. Mais au-delà de cet épisode, l’entreprise fondée en 2004 par Antoine Flamarion et Mathieu Chabran, deux Français passés respectivement par Goldman Sachs et Deutsche Bank à Londres et alors âgés de tout juste 30 ans, n’est guère connue du grand public.

Bruxelles a été la première étape de l’expansion internationale de la maison de gestion parisienne.

En revanche, sa réputation n’est plus à faire dans les milieux financiers. Comme le précise son site internet, la société, qui emprunte son nom à un atoll de la Polynésie française, se présente comme “un des leaders européens” de la gestion alternative. Preuve de cette expérience dans les hautes sphères de la finance internationale? Outre la Belgique, d’autres gouvernements européens ont choisi de faire confiance à Tikehau Capital pour les épauler dans le financement de la relance économique. En France, la firme a été sélectionnée aux côtés de plusieurs acteurs industriels pour gérer un fonds d’investissement visant à soutenir les PME de la filière aéronautique. Idem en Espagne où Tikehau Capital a été retenu pour participer à un véhicule de relance post-covid. Dans un autre registre, la société basée à Paris a lancé plusieurs SPAC ( Special purpose acquisition company) avec Financière Agache, le holding de la famille de Bernard Arnault (groupe LVMH). Quant à la transition énergétique, autre tendance du moment pour les professionnels de la finance, le groupe peut, par exemple, se targuer d’être associé au géant TotalEnergies dans un fonds dont l’objectif est d’investir dans des petites et moyennes entreprises européennes qui apportent une réponse aux défis climatiques.

Croissance spectaculaire

Bien sûr, cette présence sur quelques-uns des créneaux les plus hypes de la planète finance ne tombe pas du ciel. “Comme tous les entrepreneurs, nous avons mis dès le début beaucoup d’énergie dans le développement de la société, avance Antoine Flamarion. Nous avons démarré avec seulement 4 millions d’euros de fonds propres. Mais nous avons très vite eu l’envie et l’ambition d’être présents sur plusieurs classes d’actifs et dans plusieurs pays, tout en essayant de penser différemment et d’être très proactifs.”

De fait, Tikehau Capital est une belle histoire entrepreneuriale. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Dix-sept ans après sa création, l’entreprise emploie à présent près de 700 personnes et gère plus de 33 milliards d’euros d’actifs. Son modèle repose sur l’investissement dans quatre classes d’actifs: le private equity (non coté), les titres cotés (actions, obligations), la dette privée (prêts aux entreprises), les actifs réels (l’immobilier, les infrastructures) ainsi que les titres cotés (actions, obligations). Ses principaux clients sont les investisseurs institutionnels (banques, compagnies d’assurance, fonds de pension), les gestionnaires d’actifs, sans oublier les family offices (qui gèrent les patrimoines des grandes fortunes) et les investisseurs individuels.

Coté en Bourse depuis 2017, le groupe reste la propriété de son management et de ses salariés, qui détiennent 56% des fonds propres évalués à 2,9 milliards d’euros. “Notre métier est simple: nous sommes un acteur de la transformation de l’épargne vers les canaux fertiles de l’économie, explique Mathieu Chabran, répondant à nos questions via Zoom depuis New York où Tikehau Capital a ouvert un bureau voici trois ans. Mais notre modèle est différent des autres acteurs du marché. Nous avons des fonds propres importants, ce qui nous permet d’investir aux côtés de nos clients. Nous investissons leur argent mais également le nôtre et celui des équipes. Cet alignement d’intérêt, ce “skin in the game” comme disent les Anglo-Saxons, existe peu en Europe. Le modèle que nous avons développé est clairement unique à l’échelle européenne.”

Edouard Chatenoud est à la tête du bureau belge de Tikehau Capital, avec un portefeuille d'investissement de plus de 800 millions d'euros.
Edouard Chatenoud est à la tête du bureau belge de Tikehau Capital, avec un portefeuille d’investissement de plus de 800 millions d’euros.© pg / Hung Tran Photography

Les amis belges

A cette particularité s’en ajoute une autre. Chez Tikehau Capital, on aime bien les partenaires locaux aux carnets d’adresses fournis. Dès 2006, la CNP d’Albert Frère est entrée au capital de l’entreprise, soit deux ans seulement après la création du groupe Tikehau. De même, le holding Ackermans & van Haaren, la famille Dumolin ainsi que le fondateur de Mitiska, Léon Seynave, sont rapidement devenus des “amis”, dixit Antoine Flamarion: “Les liens avec la Belgique ne datent d’ailleurs pas d’hier. Nous avons toujours été proches de pas mal d’entrepreneurs et d’investisseurs, et toujours eu cette mentalité qui n’est finalement pas répandue dans nos métiers. Beaucoup de fintechs et de start-up se créent dans le monde de la gestion d’actifs et de l’investissement mais force est de constater qu’il existe très peu d’histoires entrepreneuriales dans les métiers traditionnels de la finance. La Belgique est un pays où nous nous sentons bien en tant qu’entrepreneurs.”

L’ouverture du bureau de Bruxelles en 2015 a d’ailleurs été la première étape de l’expansion internationale de la société de gestion qui compte désormais 12 implantations dans le monde: Paris, Londres, Bruxelles, Milan, Madrid, Luxembourg, Amsterdam, Tokyo, New York et plus récemment Séoul et Singapour. “Contrairement aux fonds de private equity anglo-saxons qui, pour la plupart, couvrent l’Europe au départ de Londres, nous avons toujours eu le souhait de développer une empreinte locale forte pour être connectés avec le tissu économique et les investisseurs du pays”, estime Mathieu Chabran, pour qui avoir ce dialogue direct et constant fait la différence. Jusqu’à obtenir le mandat de gestion du Belgian Recovery Fund? “C’est sans doute effectivement le résultat de cette stratégie de présence locale en Belgique et de l’expertise des équipes de notre bureau bruxellois”, avance Edouard Chatenoud, responsable de la région Benelux. D’après ce dernier, le portefeuille d’investissement “Benelux” se chiffre aujourd’hui à plus de 800 millions investis au travers d’une douzaine de transactions réalisées ces 24 derniers mois. Et le responsable de préciser que pour sa gestion du Belgian Recovery Fund, Tikehau Capital se rémunérera via une commission sur les capitaux levés (et non sur la performance ou l’exit).

L’exemple de Blackstone

Mais comment Antoine Flamarion et Mathieu Chabran voient-ils désormais leur “boîte” évoluer? Pour le premier, la réponse est claire: “Il n’y a jamais eu autant d’épargne et d’entreprises à financer dans le monde. Les investisseurs sont à la recherche de rendement et veulent éviter la volatilité des marchés. Par ailleurs, la crise financière de 2008 et l’évolution de l’environnement réglementaire qui a suivi ont amené les banques traditionnelles à se retirer des activités de private equity qui sont coûteuses en fonds propres. L’industrie du private equity en Europe a bénéficié de cette évolution structurelle, qui demeurera. Après, chacun sa patte et sa manière de faire… Mais des acteurs plus agiles tels que Tikehau Capital ont une belle carte à jouer sur ce terrain.”

Pas question d’actionner le tiroir-caisse donc? “Notre ambition n’est pas de maximiser une quelconque sortie, assure Mathieu Chabran pour qui le géant américain Blackstone et ses 650 milliards d’actifs gérés restent la référence. Nous ne sommes absolument pas dans une logique de construction de quelque chose pour le vendre. La cotation en Bourse de Tikehau Capital a d’ailleurs été une étape très importante dans le développement de la société, qui pourra ainsi nous survivre.” Prenant un peu de hauteur, l’homme ajoute en guise de conclusion: “Quand l’argent n’a plus de valeur, l’investissement n’a plus de mérite. Aujourd’hui, vu l’abondance de liquidités déversées dans le marché, on ne sait pas qui a été bon ni qui a été chanceux. Du point de vue de la performance de ses investissements, Tikehau Capital est clairement bien positionné pour être un acteur majeur dans ses métiers.”

Tikehau Capital, c’est:

· une création en 2004

· 12 bureaux dans le monde (dont Bruxelles)

· 4 métiers

· près de 700 personnes

· plus de 33 milliards d’actifs gérés

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