Au Japon, on le sait, des centrales nucléaires ont été gravement endommagées par le tremblement de terre et la santé des habitants serait mise en danger en cas de fusion des réacteurs. Ces événements ont provoqué un glissement de terrain dans le débat sur l’énergie nucléaire en Europe.
Dans le dossier du nucléaire, un consensus politique s’était établi en Europe au cours des dernières années. Les ambitieux objectifs climatiques de l’Union européenne, rendus encore plus stricts depuis peu et visant à réduire les émissions de CO2 de 25 % d’ici 2020, ne peuvent pas être atteints avec les seules énergies solaire et éolienne. Pour l’Europe, l’énergie nucléaire est une option qui ne peut être exclue. Or, cette source d’énergie n’est pas sans risques comme vient encore de nous le rappeler le terrible séisme qui a secoué le Japon.
L’Europe abrite au total 141 réacteurs nucléaires, dont un grand nombre ont plus de 30 ans. De plus, des pays comme la Tchéquie, la Hongrie et la Slovaquie recourent aux mêmes réacteurs que ceux des installations japonaises de Fukushima. Ceux-ci n’ont pas de système de réserve pour intercepter les rayonnements radioactifs. La Grande-Bretagne, pour sa part, recourt toujours à un très ancien type de réacteurs nucléaires dont le refroidissement est effectué à l’aide de gaz et non d’eau. La France a abandonné ce type de réacteurs voici de nombreuses années.
Les politiques ont réagi à une vitesse étonnante aux événements japonais. En Allemagne, la décision de prolonger l’utilisation des centrales nucléaires est reportée de trois mois. En outre, la décision a été prise outre-Rhin d’éteindre les sept centrales les plus anciennes afin de les soumettre à une inspection. En Suisse, l’octroi d’un permis de bâtir pour trois nouvelles centrales nucléaires est suspendu et en Belgique également, le débat sur la question des centrales nucléaires est reporté jusqu’à ce qu’on en sache davantage sur leur sécurité.
La France, dont les trois quarts de la production électrique est assurée par les centrales nucléaires, se démarque de ses voisins européens puisqu’elle continue de défendre cette source d’énergie et qu’elle a entamé la construction d’une troisième génération de réacteurs nucléaires, réputée très sûre. L’Italie, qui ne possède actuellement aucun réacteur nucléaire, entend se lancer en 2013 dans la construction de réacteurs de troisième génération. Enel, premier producteur d’électricité d’Italie, a confirmé sa détermination à développer sa capacité nucléaire grâce à un ambitieux plan d’investissement de 31 milliards d’euros répartis sur cinq ans.
Les événements japonais et la réaction politique qui y font suite en Europe provoquent une grande volatilité dans le secteur des actions des fournisseurs de services d’utilité publique qui, d’ordinaire et par nature, font preuve d’une grande stabilité.
Allemagne
Les décisions prises par le gouvernement allemand pèsent très lourd sur les producteurs d’électricité RWE et E.ON. En Allemagne, ces deux groupes totalisent une capacité de production nucléaire de 14,9 gigawatts. Le nucléaire représente 16,5 % des capacités de production totale d’E. ON et 12,1 % de celles de RWE. La fermeture des sept réacteurs nucléaires les plus anciens sur les 17 réacteurs que compte l’Allemagne représente donc un coup particulièrement dur pour ces deux groupes.
Dans les jours qui ont suivi le séisme au Japon, les deux actions ont été massivement vendues. En deux jours à peine, E.ON a perdu 8 % de sa capitalisation boursière, RWE 8,2 %. RWE est désormais revenu sous son plus bas de mars 2009, lorsque les Bourses occidentales se sont retrouvées au creux de la vague. Et bien qu’E. ON se trouve toujours quelque 20 % au-dessus de ce plus bas, le cours est revenu sous la valeur comptable de l’action pour la première fois depuis mars 2009.
L’Allemagne a longtemps été un précurseur en matière d’énergies renouvelables via le subventionnement de panneaux solaires. Aujourd’hui, 16,5 % de l’électricité allemande provient de sources renouvelables – à titre de comparaison : en Belgique, cette part n’atteint pas 5 %. Les subsides ont cependant été réduits parce qu’ils ponctionnaient sérieusement le budget annuel. Pour l’Allemagne, il n’est pas possible, à court ou à moyen terme, de remplacer les 25 % d’électricité issus des centrales nucléaires par des panneaux solaires.
Le report de trois mois dont fait l’objet la décision de prolonger l’activité des centrales nucléaires nous semble dès lors relever davantage d’une manoeuvre politique dans le chef de la chancelière allemande Angela Merkel. Une fois que la tempête sera retombée et qu’une série de mesures supplémentaires de sécurité auront été prises, les centrales seront remises en activité. Même si la fermeture définitive est improbable à brève échéance, une fermeture phasée des centrales les plus anciennes est fort probable. Celles-ci devront être remplacées par de nouvelles centrales de même type que celles prévues en France.
E. ON, qui détient le plus grand parc nucléaire, devra dès lors procéder aux investissements les plus importants. Nous optons cependant pour E. ON plutôt que pour RWE compte tenu de l’exposition plus élevée de ce dernier (plus de 80 %) aux combustibles fossiles. D’une part, cela signifie que RWE sera confronté à un surcoût nettement plus élevé lorsque les certificats CO2 deviendront payants en 2013 et que, d’autre part, ces centrales devront aussi être remplacées à terme lorsque les sources d’énergie fossiles se tariront. Il est dès lors douteux que RWE pourra continuer de payer son généreux dividende de 7 %. Cette incertitude est moins grande dans le cas d’E. ON, dont le dividende avoisine également les 7 %.
France
Bien que le gouvernement français défende l’énergie nucléaire de toutes ses forces, EDF, le gestionnaire de l’ensemble du parc nucléaire français (58 réacteurs), a subi une raclée en Bourse. En trois jours, l’action a lâché 7 %. Dès la fin 2007, les Français ont entamé la construction d’un nouveau réacteur de troisième génération à Flamanville (Nord-Pas-de-Calais), et ils prévoient la construction d’un deuxième réacteur de ce type à Penly (Seine-Maritime). Ce type de réacteurs sera aussi construit en Italie. Les conséquences pour EDF s’avéreront dès lors limitées et temporaires puisque les installations japonaises sont sensiblement moins avancées et sûres que les réacteurs français dernier cri.
Le fournisseur français de services d’utilité publique GDF Suez est un cas très particulier puisque ses centrales nucléaires sont situées en Belgique. Notre pays ne figure pas parmi l’élite de la sécurité et le débat relatif à nos centrales nucléaires est dès lors enveloppé dans un épais brouillard. Mais comme la Belgique puise plus de la moitié de son énergie dans la source nucléaire et comme nous sommes d’ores et déjà importateur net d’électricité, la probabilité que la Belgique se coupe de sa source d’énergie la moins coûteuse est très faible.
Mathias Nuttin