Trends Tendances

Allô Maman bobo

L’Union européenne et ses pays membres, c’est un peu une mère bien intentionnée mais dépassée, affublée d’une ribambelle de gamins qui n’ont de cesse de se chamailler pour savoir qui sera le préféré.

Tantôt adulée, tantôt désignée coupable par ses chérubins, la bonne vieille Europe ne sait pas toujours si elle doit jouer le rôle de mère autoritaire, mettant un point d’honneur à garder sa marmaille dans le rang, ou celui de mère laisser-faire, se contentant de siffler la fin de la récré lorsque le cirque a assez duré. A force de trop exiger, elle pourrait bien voir le désamour s’installer — la fille britannique, un peu isolée du reste de la bande, avec sa personnalité bien trempée, le lui a déjà montré. Mais lorsqu’elle se risque à trop de laxisme, elle ramasse la belle-mère américaine sur le dos (surtout quand le fiston grec n’en fait qu’à sa tête).

Riez seulement. La métaphore n’est pourtant pas si absurde. La semaine dernière, au lendemain de l’annonce de la suppression de 1.400 emplois chez Caterpillar à Gosselies, le Premier ministre Elio Di Rupo s’indignait, un peu pleurnichard : “Il faut un minimum de cohérence au niveau européen et singulièrement au niveau d’une politique industrielle. (…) La concurrence doit être loyale entre industriels européens et non européens.”

“Un peu facile”, a rétorqué Karel De Gucht, commissaire européen au Commerce. Et on ne lui donnera pas tout à fait tort. La réaction est d’ailleurs assez symptomatique, dans la grande famille européenne : quand tout va bien, on revendique auprès de la mater familias davantage d’autonomie nationale ; quand tout va mal, on quémande son indulgence et on espère qu’elle en appellera à la solidarité de la fratrie pour nous sortir de notre mauvais pas. Et lorsque tout le monde est logé à la même enseigne — diète générale ! — c’est la bérézina : les plus faibles crient à l’injustice alors que les plus costauds estiment qu’il est bien normal de les endurcir.

De toute façon, autant se faire une raison : les histoires de famille, c’est toujours compliqué. A fortiori quand la famille est nombreuse et que la génétique a fait en sorte de donner à chacun un patrimoine bien distinct. Bien sûr, tout le monde n’a pas les mêmes capacités ni les mêmes ressources : à chacun de faire au mieux en fonction des siennes. Avec un socle de valeurs et une vision communes, une bonne dose de solidarité et une envie unanime de vivre dans la prospérité, il devrait y avoir moyen de s’entendre. Y compris sur une politique industrielle, toute complexe soit-elle : car contrairement à l’agriculture, basée essentiellement sur l’utilisation du sol et la production d’une série (limitée) de produits de première nécessité pour lesquels l’offre et la demande sont plus ou moins prévisibles, l’industrie, reposant sur des paramètres aussi relatifs que l’innovation, la valeur ajoutée, la productivité et le pouvoir d’achat, est bien plus compliquée à réguler. Mais en admettant qu’elle puisse l’être, seule l’Europe est à même d’accomplir cette tâche (si toutefois on lui en donnait les moyens…), car face aux multinationales qui constituent le tissu industriel actuel, les Etats ne font pas le poids.

Davantage que sur l’industrie elle-même, l’Europe doit donc peut-être plutôt agir sur ses facilitateurs : l’éducation, la fiscalité, les pratiques du commerce. Comme une vraie mère qui donne à ses enfants toutes les cartes nécessaires pour poser les choix qui mèneront à leur épanouissement plutôt que de faire ces choix à leur place.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content