Les taux japonais, longtemps sous contrôle de la Banque centrale pour rester bas, sont en hausse. Ce qui pourrait avoir de gros impacts sur les marchés financiers du monde entier, craignent des experts. Comme en août dernier.
Des chutes plus importantes ont eu lieu depuis, mais un véritable lundi noir avait eu lieu en août dernier, après un retour en force soudain de craintes de récession aux États-Unis et d’un effondrement des carry trades sur le yen japonais qui ont, ensemble, fait s’écrouler les cours partout dans le monde.
Et la bourse va-t-elle de nouveau suivre un régime (express ou non) pour obtenir son meilleur summer body ? La tempête gronde en tout cas de nouveau sur le Japon, ses taux d’intérêt et le yen, et cela pourrait avoir d’importants impacts ailleurs dans le monde.
- Le taux long, à 40 ans, a atteint un record jeudi dernier, à 3,689%. Il a baissé depuis, mais reste élevé et est de nouveau en hausse ce mercredi, à 3,36%. C’est une hausse de plus de 80 points de base cette année.
- Le taux à 30 ans est également proche des sommets, à 2,91% ce mercredi (3,18%, la semaine passée, niveau record), soit une hausse de plus de 60 points de base sur l’année.
- Pour l’obligation à 20 ans, à 2,4% ce mercredi, le sommet à 2,56% la semaine dernière était le niveau le plus élevé en 26 ans. Le taux gagne près de 55 points de base sur l’année.
- Pourquoi cette hausse des taux ? En somme : les principaux clients sont les assurances-vie japonaises, mais elles ont ralenti leurs achats car elles ont récemment atteint leurs exigences réglementaires en matière d’achat. La Banque du Japon a de son côté diminué ses rachats d’obligations – technique longtemps utilisée pour garder les taux à un niveau bas. Les acheteurs privés sont moins intéressés par ces produits… ce qui fait que la demande baisse, et avec elle les prix des obligations. Lorsque le prix d’une obligation sur le marché financier baisse, les taux augmentent.
Risques
Cette flambée n’est pas sans risques pour le reste du marché mondial. Ils y en a plusieurs, à différentes échelles.
- Les investisseurs japonais pourraient davantage être intéressés par le marché obligataire japonais que par le marché obligataire américain, où ils sont très actifs. Le Japon est même le premier détenteur étranger de la dette américaine. Ils pourraient alors vendre leurs obligations américaines – et cela peut se faire en un coup, indique Macquarie dans une note. Les prix des obligations américaines chuteraient alors et les taux US partiraient en flèche… (un peu comme c’était déjà le cas début avril en pleine tempête post droits de douane) entraînant nombre d’autres actifs dans sa chute.
- Les superlatifs ne manquent pas. Pour Albert Edwards de Société Générale, cela pourrait déclencher un “Armageddon mondial des marchés financiers.” Il indique auprès de CNBC que les Japonais sont également très friands de valeurs technologiques américaines, mais que leur appétit d’investir à l’étranger sera réduit avec des taux et un yen plus élevés.
- Les obligations japonaises ont longtemps été un synonyme de stabilité et de sécurité, comme la Banque nationale intervenait pour garder les taux bas. Ces taux qui s’envolent menacent donc aussi la confiance en cette valeur sûre. “Le Japon ressemble à une bombe à retardement. Si la confiance dans l’un des actifs traditionnellement sûrs du marché financier s’effondre, la confiance dans le marché mondial pourrait suivre“, prévient aussi Michael Gayed, de Tidal Financial Group.
- Autre souci encore : le yen, en hausse avec les taux d’intérêt, pourrait amener un effondrement des carry trades, comme en août dernier. Pour faire simple, cela revient à emprunter de l’argent dans une devise où les taux d’intérêt sont bas (comme le yen ces dernières années) pour le changer dans une devise aux taux plus élevés (comme le dollar) et d’investir dans des obligations de ce marché et d’empocher la différence. Mais lorsque les cours de devises s’inversent, les investisseurs sont pris au piège et vendent leurs actifs pour limiter les pertes ou couvrir des appels de marge… ce qui peut encore davantage creuser l’écart entre les devises et les taux. Gayed ajoute que vu que Trump veut affaiblir le dollar et le taux d’intérêt US, et si le yen et les taux japonais continuent d’augmenter, un tel effondrement serait de nouveau possible. Mais il serait plus graduel qu’en août dernier, selon d’autres experts.
- Puis au-delà des mécanismes des marchés, les taux plus élevés ont aussi un impact sur l’économie réelle. Le gouvernement japonais, déjà très endetté (230% du PIB!) doit payer plus pour rembourser ses dettes, et aura moins d’argent pour investir dans la société et la croissance. Les Japonais doivent aussi payer plus pour leurs prêts et ont moins d’argent pour dépenser ou investir. Cela réduit la disponibilité de liquidités et impacte la croissane, au pays mais aussi dans le monde : le Japon est la troisième ou quatrième économie mondiale, au coude à coude avec l’Allemagne selon les trimestres.
- Mais d’autres sont plus nuancés et estiment qu’au vu de la hausse du yen et de la baisse du dollar, et de la baisse de la différence entre les taux américain et japonais, le carry trade entre le yen et le dollar serait moins intéressant et donc peut-être moins pratiqué qu’il y a un an. D’autres notent que les investisseurs seraient moins susceptibles de liquider leurs obligations américaines d’un coup et que le fait d’en détenir fait partie d’une coopération plus large entre les pays.
Bref, le taux obligataire japonais pourrait servir de thermomètre en bourse, pour mesurer si l’été sera chaud.