Trump rappelé à l’ordre par les marchés obligataires !

Malgré le rétropédalage de Donal d Trump, les marchés obligataires sont loin d’être rassurés. © Pool/ABACA

Souvent jugés rébarbatifs, complexes et obscurs, les marchés obligataires ne font guère vibrer les foules. Et pourtant, leur influence est loin d’être anodine. Ils jouent ainsi régulièrement un rôle décisif, y compris sur la scène politique, et pourraient compromettre la sérénité de vos vacances d’été.

Même chez les investisseurs les plus aguerris, la dernière puce signée Nvidia déclenche souvent bien plus d’enthousiasme que les résultats de la dernière émission de Bunds allemands. Ce désintérêt tient en partie à la technicité des marchés obligataires, où une hausse des rendements – contrairement à ce que l’on pourrait croire – est rarement une bonne nouvelle.

Pourquoi le cours baisse quand le rendement monte ?
Pour clarifier ce principe, prenons l’exemple d’une entreprise X qui a émis, le 1er mai 2024, une obligation d’une durée de cinq ans assortie d’un taux d’intérêt de 4%. L’obligation est émise au pair, c’est-à-dire à 100% de sa valeur nominale. Vous décidez d’y investir 1.000 euros. Vous devriez donc percevoir 40 euros d’intérêts chaque année et récupérer votre capital de 1.000 euros en 2029, à condition que l’entreprise respecte ses engagements – en clair, qu’elle ne fasse pas faillite.
Un an plus tard, le 1er mai 2025, vous avez besoin de liquidités et souhaitez revendre cette obligation. Un acheteur se montre intéressé, mais refuse de vous la racheter à 100% (1.000 euros) car il peut alors acquérir une nouvelle obligation similaire offrant un taux de 5%. Pour obtenir un rendement équivalent, il exige donc une décote sur le prix d’achat : il déduit le manque à gagner – soit 1% d’intérêts par an pendant les quatre années restantes – du prix qu’il est prêt à payer.
Ce calcul aboutit à un prix de revente de 964,50 euros, légèrement supérieur à la simple soustraction arithmétique, car les intérêts sont calculés sur la base de la valeur nominale. À l’inverse, si les taux d’intérêt avaient baissé, ce mécanisme aurait joué en votre faveur et vous aurait permis d’acter une plus-value potentielle.
C’est ainsi que le cours d’une obligation varie quotidiennement, au gré de multiples facteurs : l’évolution perçue de la solvabilité de l’émetteur (notamment via les fameuses notations allant de AAA à D), les taux de référence sur les marchés, etc.
Et plus l’échéance d’une obligation est éloignée, plus son cours réagit fortement à ces variations, puisqu’un plus grand nombre d’années d’intérêts est intégré dans le prix.

Deux Nobel d’économie

Pourtant, les marchés obligataires exercent régulièrement une influence décisive. En 1998, la chute du hedge fund Long Term Capital Management (LTCM) – dirigé notamment par deux prix Nobel d’économie, Myron Scholes et Robert Merton – en a offert une illustration frappante. Provoqué par le défaut de paiement de la Russie sur ses obligations libellées en roubles, cet effondrement a ébranlé le système financier mondial.

Du côté des États, l’un des exemples les plus frappants est évidemment celui de la Grèce. À la suite de l’envolée de son déficit et de sa dette, le pays a vu ses taux s’envoler sur les marchés obligataires jusqu’à rendre tout financement impayable. Ce qui a conduit à son sauvetage aux conditions strictes par la troïka (Banque centrale européenne, Commission européenne et Fonds monétaire international).

Prime de risque à l’idiotie

Plus récemment, le Royaume-Uni en a aussi fait l’amère expérience. Fin septembre 2022, Liz Truss, tout juste nommée Première ministre, annonce un vaste plan de baisses d’impôts de 45 milliards de livres, sans aucune mesure de financement. Pariant sur un sursaut de croissance, la cheffe du gouvernement conservateur déclenche en réalité un vent de panique sur les marchés.

Les investisseurs redoutent une envolée de la dette et un regain d’inflation. La livre sterling dévisse, les taux s’envolent sur le marché obligataire. En quelques jours, la pression devient intenable : Liz Truss est contrainte de faire marche arrière, puis de démissionner à peine 49 jours après son entrée en fonction.

Si les marchés ont depuis retrouvé un semblant de calme, les séquelles restent bien visibles. Les fonds de pension britanniques ont vu s’évaporer quelque 425 milliards de livres en 2022, la flambée des taux ayant dévasté leurs portefeuilles d’obligations et d’actifs immobiliers. Quant aux taux d’intérêt, ils restent durablement élevés : le taux à 30 ans – une référence clé pour les emprunts immobiliers – atteint encore aujourd’hui 5,40%. Un surcoût que les marchés ont surnommé la “moron risk premium“, ou “prime de risque pour idiotie”.

Marche arrière de Donald Trump

Dernier épisode en date : le spectaculaire rétropédalage de Donald Trump sur les droits de douane annoncés le 2 avril. Après la chute brutale de Wall Street les 3 et 4 avril, le président américain s’était montré inflexible. Mais le 9 avril, il suspend la majorité des surtaxes – à l’exception de celles visant la Chine – dans la foulée d’un mini krach obligataire.

Le taux des bons du Trésor à 30 ans a bondi, allant jusqu’à 69 points de base en à peine 48 heures. Rapporté à l’ensemble de la dette fédérale, cela représenterait un surcoût annuel théorique de 248 milliards de dollars. Plus inquiétant encore, cette flambée des taux s’est accompagnée d’une chute du dollar. Un signal clair de défiance, les investisseurs délaissant massivement les actifs américains, à l’image de ce qu’a vécu Liz Truss au Royaume-Uni en 2022.

Malgré ce revirement, les marchés obligataires sont loin d’être rassurés. Le taux américain à 10 ans a ainsi enregistré sa plus forte hausse hebdomadaire depuis plus de 20 ans. En clair, les États-Unis se voient désormais, eux aussi, imposer une moron risk premium.

Contre-attaque chinoise

Le climat reste d’autant plus tendu que les grandes agences de notation, Moody’s et Standard & Poor’s, ont averti que, sans amélioration claire des finances publiques, une dégradation de la note souveraine des États-Unis est envisageable.

Et la guerre commerciale pourrait aussi jouer les trouble-fêtes. En ciblant la Chine, Trump s’attaque à l’un des principaux créanciers des États-Unis. Fin février, Pékin détenait encore 784 milliards de dollars de bons du Trésor américain, sans compter les avoirs détenus via les plateformes Euroclear (Belgique) et Clearstream (Luxembourg), où la Chine place une partie de ses réserves de change.

Jusqu’ici, l’hypothèse d’un désengagement chinois était jugée peu crédible, Pékin risquant d’y perdre en provoquant une chute de valeur de ses propres actifs. Mais si la stratégie commerciale américaine est perçue comme une menace directe au développement à long terme de la Chine, ce calcul pourrait bien changer.

Un été meurtrier ?

L’impact pourrait être encore plus marqué si Pékin choisissait d’accentuer une volatilité déjà palpable, alimentée par une incertitude politique croissante. Et celle-ci pourrait atteindre son paroxysme cet été, entre la fin annoncée du moratoire sur les droits de douane du 2 avril, le vote attendu sur les baisses d’impôts promises par Donald Trump, et le retour de la question explosive du plafond de la dette.

Une perspective particulièrement inconfortable pour les marchés mondiaux, où les bons du Trésor américain tiennent lieu de point d’ancrage : ils définissent le taux dit “sans risque” utilisé comme référence universelle.

Qu’est-ce qu’une obligation ?
Une obligation est un peu le miroir d’un contrat de crédit : vous prêtez de l’argent à une entreprise ou à un État, et en échange, vous recevez un titre qui garantit que vous serez remboursé à une date précise, avec des intérêts versés régulièrement. Les entreprises y ont recours pour financer leur développement, tout comme les gouvernements, qui s’en servent pour financer leurs projets ou combler leurs déficits.
Les obligations d’État sont appelées OLO (obligation linéaire- lineaire obligatie) en Belgique, Bunds en Allemagne, bons du Trésor (ou Treasuries) aux États-Unis, OAT en France, gilts au Royaume-Uni…
Les obligations existent avec différentes durées de vie : certaines arrivent à échéance au bout de deux ans, d’autres au bout de 10 ou 30 ans, voire plus. La plus ancienne obligation du monde encore active a été émise en 1648 par le Hoogheemraadschap Lekdijk Bovendams pour le financement de digues. Les titres rédigés sur des peaux de chèvre sont depuis devenus des pièces de collection. L’Université de Yale a ainsi acquis un des sept exemplaires encore actifs en 2003 pour 24.000 euros et une délégation se rend occasionnellement aux Pays-Bas pour collecter les intérêts de 11,35 euros par an.

 

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