Télécoms : un rebond trompeur ?
Alors que la consolidation européenne des télécoms se fait toujours attendre, le secteur a récemment connu de nombreux mouvements capitalistiques en Belgique. Le chemin vers le redressement de la rentabilité est toutefois encore très long.
Considérée comme une plaque tournante en vue d’une consolidation paneuropéenne des télécoms, la Belgique a connu une série d’opérations depuis deux ans. Orange Belgium est le principal artisan de
cette transformation. Dans un premier temps, l’opérateur a été la cible d’une OPA de sa maison mère Orange qui a ainsi accru sa participation, à 77% du capital. Fin 2021, Orange Belgium signait un accord avec Nethys pour reprendre 75% du câblo-opérateur Voo. L’intégration devrait être finalisée prochainement puisque la société publique liégeoise souhaite troquer ses 25% de Voo contre une participation d’environ 11% dans Orange Belgium.
Telenet est, pour sa part, sorti de la Bourse. Liberty Global avait en effet atteint une participation de 96% après son OPA de l’été dernier et a ainsi pu procéder à une offre publique de retrait en octobre dernier.
Casseur de prix… ou pas
Enfin, l’actionnariat de Proximus a également défrayé la chronique récemment. Le français Xavier Niel a déclaré avoir acquis une participation de 6% via son holding Carraun Telecom. Le profil de Proximus est pourtant bien loin de celui d’Iliad, fondé par l’entrepreneur et maison mère de Free qui a cassé les prix dans les télécoms en France et en Italie. Cependant, Xavier Niel est loin de dupliquer la même stratégie partout où il passe. Par exemple, il contrôle Monaco Telecom, qui profite de son monopole, reconduit jusqu’en 2041, avec des hausses de prix (jusqu’à 30% en 2015) qui ont même choqué les Monégasques. Au sein de Carraun Telecom, Proximus côtoie Eir, l’opérateur irlandais historique dont Xavier Niel est actionnaire majoritaire depuis fin 2017. Or, l’Irlande est le pays de l’Union avec les tarifs les plus élevés dans la téléphonie fixe, selon la dernière enquête de la Commission européenne relative aux prix 2021. A noter que la Belgique ne fait guère beaucoup mieux, étant classée 25e sur 27.
“Eir poursuit une stratégie similaire à celle de Proximus”, expliquait ainsi le communiqué annonçant la prise de participation de Xavier Niel. Avant de poursuivre : “Carraun soutient la stratégie actuelle de la direction de Proximus, et en particulier son ambitieux plan de déploiement FTTH” (fibre optique jusqu’à la maison).
En outre, la participation majoritaire de l’Etat belge bloque toute velléité de reprise/d’intégration. Ce qui n’est d’ailleurs pas forcément l’objectif de Xavier Niel. Ce dernier a, par exemple, acquis une participation de 2,5% dans Vodafone quelques mois après que ce dernier a refusé l’offre d’Iliad pour sa filiale italienne. De là à y voir un moyen de pression sur Vodafone, il n’y a qu’un pas… que certains ont franchi.
Cette situation, marquée par des réseaux à moderniser sans cesse et un nombre important d’acteurs, ne fait pas que des perdants.
La pépite TeleSign
Notons à ce niveau que l’entrepreneur français a cité dans le communiqué deux filiales de Proximus, BICS (grossiste international dans les télécoms) et TeleSign (société américaine d’authentification d’utilisateurs). Cette dernière est considérée comme la pépite du groupe et avait dû renoncer à son introduction en Bourse en 2022 en raison du climat boursier. Aujourd’hui, c’est le risque d’une amende de 236 millions pour violation du Règlement général sur la protection des données (RGPD) qui bloque une éventuelle IPO. Pour l’actionnaire de Proximus, l’arrivée de Xavier Niel a donc peu d’impact. D’autant plus que Carraun n’a pas de siège au conseil d’administration (à moins d’augmenter sensiblement sa participation).
Kris Kippers, analyste chez Degroof Petercam, souligne d’ailleurs que “seuls les actionnaires détenant 25 % du capital ont le droit de nommer des administrateurs pour chaque tranche de 7,15% du capital”, à moins de démontrer son rôle d’actionnaire de référence sur la durée. Il y a donc peu de changements à attendre alors que les perspectives restent assez mitigées. Proximus a ainsi d’ores et déjà annoncé que le dividende sera raboté de moitié à compter de 2024 afin de maintenir des liquidités dans l’entreprise. Les activités consomment même désormais la trésorerie (cash-flow libre de -35 millions sur les neuf premiers mois de 2023) en raison des investissements nécessaires dans les nouveaux réseaux (fibre optique, 5G).
Kris Kippers, à l’achat sur Proximus, précise que ces investissements devraient avoir atteint un pic en 2023 et refluer en 2024 grâce notamment à la décision de l’IBTP, le régulateur des télécoms, d’autoriser les accords entre opérateurs pour le déploiement de la fibre optique. L’analyste estime ainsi que le cash-flow libre redeviendra positif en 2024 et augmentera sensiblement en 2025, sans toutefois suffire à financer le dividende raboté de 0,60 euro par action. En d’autres termes, Proximus va devoir continuer à s’endetter (ou vendre des actifs) pour financer ses investissements et son dividende. Sa dette nette devrait ainsi atteindre 3,4 milliards fin 2023, en hausse d’un milliard en quatre ans.
Concurrence renforcée
En termes de résultats, le point positif de 2023 est la hausse du nombre d’abonnés téléphonie mobile et internet fixe. Toutefois, la concurrence va se renforcer au cours des prochaines années. D’une part, Orange Belgium va pouvoir profiter de l’intégration complète de Voo et essayer d’imiter Telenet, leader sur le marché flamand. Orange Belgium et Telenet ont de plus noué un accord mutuel d’accès au réseau pour pouvoir proposer des offres nationales. D’autre part, le marché belge va être marqué par l’arrivée d’un quatrième opérateur mobile : Digi Belgium, une co-entreprise entre Citymesh et l’opérateur roumain Digi. Le premier est spécialisé sur le (lucratif) marché des entreprises, le second applique une stratégie low cost dans plusieurs pays. Ce nouveau venu compte lancer son offre en 2024 en utilisant le réseau de Proximus (opérateur virtuel) tout en développant son propre réseau 5G.
Dans un tel environnement, la faible valorisation de Proximus (7 fois les bénéfices) apparaît largement justifiée et le titre est largement spéculatif malgré un rendement de dividende net de 9,6% (à réduire de moitié à compter de 2024). Pour que le cours se redresse durablement, il faut que les résultats s’améliorent. A ce niveau, le consensus (bénéfice par action de 1,14 euro pour 2024) est bien moins confiant que Kris Kippers (prévision de 1,54 euro). Proximus n’est toutefois pas un cas isolé dans le secteur offrant un paysage de désolation en Bourse. L’indice paneuropéen Stoxx 600 Telecom flirte avec ses plus bas depuis 1997 et le bilan serait même encore pire sans Deutsche Telekom. L’opérateur allemand représente près de 30% de l’indice, trois fois plus que son plus proche poursuivant Orange, et doit avant tout son succès à sa filiale (à 52%) T-Mobile, troisième opérateur aux Etats-Unis. Ce dernier affiche une capitalisation boursière de 174 milliards de dollars, davantage que les sept principaux opérateurs européens derrière Deutsche Telekom.
Pas d’amélioration
Et les perspectives restent sombres pour le secteur européen des télécoms confronté à de lourds investissements et une pression concurrentielle sur les prix. Une tendance qui ne risque pas d’évoluer rapidement. Les autorités européennes ne semblent guère ouvertes à des rapprochements qui réduiraient le nombre d’acteurs. Au Royaume-Uni, la proposition de fusion entre Vodafone et Three (CK
Hutchinson) fait l’objet d’une enquête approfondie. La Commission européenne se montre tout autant suspicieuse du rapprochement annoncé entre Orange et MasMovil en Espagne.
Par ailleurs, la 5G est à peine lancée que les spécialistes lorgnent déjà vers la 6G pour la prochaine décennie. Outre le coût du réseau, elle pourrait accélérer la baisse des services par client. Déjà aujourd’hui, les opérateurs sont confrontés à une vague de désabonnement à la télévision (supplantée par le streaming). Avec des débits annoncés à 100 gigas par seconde, la 6G permettrait d’innombrables usages mobiles mais pourrait aussi remplacer une connexion fixe.
Toutefois, cette situation marquée par des réseaux à moderniser sans cesse et un nombre important d’acteurs ne fait pas que des perdants. C’est même une bonne nouvelle pour les équipementiers comme Ericsson et Nokia. Les deux groupes nordiques connaissent une mauvaise année boursière en raison de résultats décevants. Globalement, les opérateurs télécoms ont en effet freiné leurs investissements dans la 5G face à la hausse des taux notamment. Mais ce n’est sans doute que partie remise, notamment face au développement du trafic de données. Les deux titres sont aujourd’hui bon marché et plébiscités par les analystes qui évaluent le potentiel de hausse sur un an à 36% pour Nokia et 14% pour Ericsson.
Miser sur les infrastructures
Si vous préférez une valeur offrant un dividende récurrent, vous pouvez vous tourner vers les sociétés d’infrastructures télécoms. Ces dernières se sont fortement développées alors que de nombreux opérateurs ont procédé à des opérations de sale & lease back de leurs pylônes afin de réduire leur endettement. Parmi les principaux acteurs, citons notamment American Tower (226.000 pylônes dans le monde ; rendement de dividende brut de 3,1% ; Bourse de New York) ou Cellnex Telecom (135.000 pylônes en Europe ; dividende de 0,16% mais promesse de le relever sensiblement chaque année ; Bourse de Madrid). A noter que les coupons sont soumis à un double précompte (étranger et belge). Pour l’éviter, vous pouvez vous tourner vers l’ETF Global X Data Center REITS & Digital Infrastructure (ISIN : IE00BMH5Y327 ; Bourse de Francfort ; frais annuels de 0,50%) qui cible les acteurs des infrastructures numériques (réseaux télécoms et centre de données).
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