Rachat de Smartphoto: les small caps belges en difficulté ?

Si Marc Coucke et Philippe Vlerick mènent à bien le retrait de Smartphoto de la Bourse, cela illustrera parfaitement le sort habituellement réservé aux actions des small caps belges illiquides, soit ces entreprises à faible capitalisation dont les titres souffrent d’un manque de liquidité.
De « l’argent mort sans acheteurs, hormis l’entreprise elle-même – c’est ainsi que l’on peut résumer de nombreuses small caps belges aujourd’hui. Pourtant, pour les investisseurs persévérants, il reste encore des opportunités à saisir, nous dit Tom Simonts (KBC).
Les entrepreneurs Marc Coucke et Philippe Vlerick veulent acquérir l’intégralité de Smartphoto, le producteur de produits photo personnalisés basé à Wetteren. À travers Alyrick – contrôlé par leurs fonds d’investissement Alychlo (Marc Coucke) et Midelco (Philippe Vleric)- ils ont renforcé leur contrôle sur l’entreprise en rachetant cette semaine des actions détenues par deux actionnaires de référence. Ils détiennent désormais près de la moitié du capital et lancent une offre publique obligatoire sur les actions restantes, au prix de 28,5 euros par action, soit une prime de 46 % par rapport au cours de clôture de lundi. Le conseil d’administration soutient cette offre.
Une acquisition qui illustre une tendance
Pour les analystes boursiers, cette acquisition de Smartphoto n’a rien de surprenant. « C’est un cas d’école sur la façon dont une small cap illiquide finit sur le marché boursier belge », explique Tom Simonts, économiste financier et analyste boursier chez KBC. « Smartphoto est une entreprise solide : elle est rentable, bien gérée, réalise des acquisitions et innove. Mais son action est piégée dans un cercle vicieux d’illiquidité. Personne ne l’achète, peu de gens la vendent, et le cours s’effondre dans l’indifférence.»
Le rachat par Coucke et Vlerick s’inscrit dans un schéma récurrent que Simonts observe depuis longtemps. « Ils peuvent racheter l’entreprise à un prix attractif en 2024. En apportant de la liquidité, ils permettent aux autres actionnaires de sortir. Évidemment, ils estiment que Smartphoto vaut plus que 28,5 euros par action, mais le marché pense autrement. C’est douloureux, mais parfaitement explicable. »

Smartphoto n’est pas un cas isolé. Depuis des années, les small caps belges subissent une pression constante. « La liquidité sur la Bourse belge est extrêmement faible », constate Simonts. « Les small caps sont coincées dans un piège d’illiquidité. Il y a trop peu d’acheteurs et de vendeurs pour garantir un bon fonctionnement du marché. Le nombre de transactions est si limité qu’un simple ordre peut faire grimper ou chuter le cours de manière disproportionnée. Avant-hier, avec seulement 8 000 euros, j’aurais pu faire monter l’action Smartphoto de 10 % ! Ce n’est plus un marché normal. C’est un titre ultra-illiquide qui ne bouge que sous l’effet d’un rachat ou d’une offre publique d’achat. Et ce n’est pas une exception, c’est typique des small caps belges. »
Un marché délaissé par les investisseurs institutionnels
Danny Van Quaethem, senior equity analyst chez Econopolis, partage cette analyse. « Plusieurs facteurs expliquent cette situation. D’abord, il y a un désintérêt croissant pour les actions européennes au profit des actions américaines. Ce phénomène est mondial, mais en Europe, il est encore plus marqué. L’Europe est perçue comme un vieux continent en déclin. Ce cliché se traduit aussi sur les marchés financiers. On assiste à un déclin du marché des mid caps, et pour les small caps, c’est encore pire. »
Van Quaethem met également en lumière un problème structurel. « Les investisseurs belges ont une sorte d’auto-défiance. Tout ce qui est belge est vu avec scepticisme, surtout tant que cela reste en Belgique. Ce n’est que lorsqu’une entreprise belge est reconnue à l’étranger qu’elle reçoit enfin de l’attention. Cela se reflète aussi dans les marchés financiers : les fonds d’investissement belges ont été massivement fermés par les banques et les gestionnaires de fortune, ce qui réduit encore la profondeur du marché. »
Les investisseurs institutionnels, de leur côté, évitent les small caps belges. « Ils ne peuvent y prendre de positions significatives, et surtout, ils ne peuvent plus en sortir sans provoquer un effondrement du cours. De quoi faire fuir les grands fonds », explique Simonts.
Pendant ce temps, les investisseurs particuliers se tournent massivement vers les États-Unis. « Ils voient le cours de ces actions qui s’érode d’année en année et en concluent qu’ils feraient mieux d’investir dans des valeurs plus larges et plus liquides », ajoute Simonts. « Même les actions du Bel20 sont parfois délaissées au profit des géants de la tech américaine. Les small caps sont complètement passée de mode, et cette tendance ne fait que s’accentuer. »
Une fiscalité décourageante
Simonts et Van Quaethem pointent également du doigt la fiscalité belge, qu’ils jugent dissuasive. « L’Europe est déjà championne des réglementations, mais la Belgique en rajoute une couche », déclare Van Quaethem. « Un parfait exemple est qu’on envisage une taxe sur les plus-values. Elle est présentée comme anodine, car seulement un Belge sur dix investit en Bourse. Selon cette logique, il serait donc acceptable de taxer davantage cette minorité, en ajoutant une lourde bureaucratie. Pourtant, la Belgique pourrait, à l’inverse, s’inspirer du Luxembourg ou de la Suisse et créer un climat fiscal attractif pour les investisseurs. On pourrait se positionner comme un marché domestique attrayant pour les entreprises et les actionnaires, mais on fait exactement l’inverse. »
Simonts ajoute : « La taxe sur les plus-values n’est pas la cause du problème actuel, mais elle pourrait accélérer les projets d’exit. Des investisseurs fortunés comme Coucke et Vlerick savent que leurs gains pourraient bientôt être taxés, et cela peut influencer le timing de leurs offres. »
Private equity : la nouvelle alternative à la Bourse
De plus en plus, les investisseurs privés et les familles fortunées remplacent le marché boursier traditionnel. « Les small caps belges sont souvent des entreprises rentables, peu endettées et n’ayant plus besoin de financement externe », explique Simonts. « Elles deviennent donc des cibles idéales pour le private equity ou pour des industriels cherchant à absorber un concurrent plus petit. C’est exactement ce qui se passe avec Smartphoto, et ce sera probablement le destin de nombreuses autres small caps belges. »
Van Quaethem rappelle cependant que toutes les small caps belges ne sont pas condamnées à être rachetées. Il cite Bekaert, fabricant de fils d’acier, comme un exemple d’entreprise qui lutte activement contre sa sous-évaluation. « Bekaert a lancé un vaste programme de rachat d’actions de 200 millions d’euros. Cela démontre une grande confiance dans la valeur de l’entreprise et envoie un signal positif au marché. »
Le dividende reste aussi un levier attractif, ajoute-t-il. « Récompenser les actionnaires par des dividendes, tout en rachetant activement des actions pour créer une rareté artificielle et soutenir le cours, est une stratégie intelligente et constructive. »
La cotation boursière, un atout stratégique pour Jensen-Group
Selon Danny Van Quaethem, la cotation en Bourse représente un atout majeur pour Jensen-Group. « La transparence et la surveillance qu’elle implique renforcent la crédibilité de l’entreprise auprès de ses grands clients internationaux. Pour une entreprise familiale qui veut s’imposer sur des marchés de niche à l’échelle mondiale, c’est un avantage considérable. »
Il souligne également que Jensen-Group adopte une vision à long terme. « Ils veillent à aligner totalement les intérêts de la famille Jensen avec ceux des actionnaires externes. Ce type de vision stratégique est essentiel et fait cruellement défaut sur le marché boursier belge. »
Un problème structurel du marché, mais pas sans espoir
Van Quaethem défend l’idée que, sur le long terme, la Bourse reste un arbitre impartial. « Certaines entreprises sont sous-valorisées simplement parce qu’elles manquent de visibilité ou communiquent insuffisamment avec le marché. Mais in fine, ce sont les performances qui dictent la valorisation. C’est pourquoi Jensen-Group est un excellent exemple : il prouve qu’une small cap cotée peut prospérer sans forcément être contrainte à une sortie de la Bourse ou à un rachat. Les entreprises qui excellent en matière de croissance bénéficiaire et de génération de flux de trésorerie libre finissent toujours par être récompensées. Regardez Lotus Bakeries, D’Ieteren ou UCB. »
Cependant, Van Quaethem nuance : « Même les entreprises les plus performantes mettent plus de temps à être reconnues en Belgique que sur d’autres marchés. C’est frustrant, mais cela ne signifie pas qu’elles ne finiront pas par obtenir une valorisation juste et méritée. »
Selon lui, le problème principal réside dans la sous-valorisation structurelle du marché belge dans son ensemble. « Une entreprise qui affiche de bons résultats mérite une reconnaissance rapide et efficace. Mais en Belgique, la barre est placée plus haut qu’ailleurs. »
Des perspectives positives malgré un marché sous pression
De plus en plus d’analystes s’accordent sur le fait que le marché des small caps belges traverse une crise structurelle. Faible liquidité, désintérêt des investisseurs institutionnels et sous-valorisation chronique exercent une pression continue sur ce segment depuis des années. « C’est un problème d’écosystème », analyse Van Quaethem. « Nous manquons d’une culture d’investissement dynamique, le cadre fiscal et réglementaire est décourageant, et nous laissons partir trop facilement des entreprises prometteuses. Mais cela ne signifie pas qu’il n’existe plus de belles histoires. »
Van Quaethem plaide pour une meilleure mise en avant des success stories. « Prenons l’exemple de Recticel, qui a su se réinventer totalement en l’espace de trente ans. Ces transformations existent, mais elles restent sous-médiatisées. »
Ainsi, le marché des small caps belges n’est pas condamné, mais il nécessite un profond changement de mentalité. « Les entreprises qui délivrent des performances solides méritent des actionnaires fidèles. Or, ces investisseurs ne viendront que si nous osons à nouveau être fier de notre propre marché boursier. »
Tom Simonts abonde dans ce sens : « Ceux qui sont prêts à dépasser la faible liquidité et la perception négative des small caps belges peuvent aujourd’hui acquérir d’excellentes sociétés à des valorisations très attractives. Il reste de la qualité sur ce marché – des entreprises avec de solides flux de trésorerie, des bilans sains et des positions stratégiques bien établies dans leurs niches. Certes, cela demande un travail de recherche et d’analyse, mais cela crée des opportunités pour les investisseur qui font leur devoirs.»
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Smartphoto Group
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Siège social:
Wetteren
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Secteur:
Postorderverkoop, onlineverkoop
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Toegevoegde waarde:
10875123