Ces dernières années, de nombreux actionnaires de référence ont retiré leur entreprise de la Bourse de Bruxelles. Et cette vague de départs est loin d’être terminée. Trends-Tendances a dressé une liste des sociétés les plus susceptibles de suivre le mouvement.
La Bourse de Bruxelles continue de perdre des entreprises. Au cours des deux dernières années, des actionnaires de référence comme Roularta, Exmar, Greenyard et Smartphoto ont décidé de mettre fin à leur cotation en Bourse, c’est ce que l’on appelle aussi un delisting. Un bon nombre de sociétés encore présentes pourraient bientôt imiter cet exemple. Trends-Tendances a demandé à des analystes et gestionnaires, qui connaissent parfaitement la Bourse belge, quelles autres entreprises pourraient quitter à leur tour la Bourse de Bruxelles.
Contexte
Pour commencer, un gestionnaire apporte un contexte historique qui explique en partie ce climat boursier belge en déclin. À partir de 1982, la loi Cooreman-Declerck a tellement stimulé l’investissement en actions dans notre pays que Bruxelles a connu une Bourse dynamique dans les années 1990. À la fin de cette décennie, plus de 50 fonds d’investissement étaient axés sur les actions belges. Aujourd’hui, ils ne sont plus que sept. Le désintérêt pour la Bourse est une explication des radiations récentes.
De plus, les entreprises qui ont récemment annoncé leur départ présentent certaines caractéristiques communes. La plupart n’ont pas une très grande capitalisation boursière, souvent inférieure au milliard d’euros. Elles ont, en outre, un ou quelques actionnaires de référence qui détiennent une part importante des actions, laissant peu d’actions librement négociables (free float). Cette faible liquidité rend ces sociétés cotées moins attrayantes pour les fonds et les investisseurs institutionnels. Cela frustre alors leurs actionnaires, car ces actions se négocient à des valorisations inférieures à celles de concurrents dont le volume d’échange est plus élevé, sans pour autant que leur performance opérationnelle et financière soit meilleure. Cette frustration est également présente dans un bon nombre d’autres sociétés belges cotées, où une offre assortie d’une prime de 20 à 30% par rapport au cours boursier bas ne serait pas impensable.
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De nombreuses sorties de Bourse se sont aussi faites par opportunisme. “La Bourse n’est pas faite pour les petits investisseurs”, affirme l’un des gestionnaires interrogés. Autrement dit, les intérêts des petits actionnaires ne sont pas toujours prioritaires. Un schéma récurrent se dessine d’ailleurs dans les récentes sorties : beaucoup d’entreprises ayant quitté la Bourse ont traversé des périodes difficiles, que ce soit à cause d’investissements dont la rentabilité a pris plus de temps que prévu, d’une conjoncture globalement défavorable ou tout simplement de mauvaises décisions stratégiques. Leurs cours boursiers ont été affectés, parfois plus longtemps que ce qui est justifié.
Mais il arrive toujours un moment où l’on retrouve de l’espoir : quand les investissements commencent enfin à porter leurs fruits ou que la situation se stabilise sur le plan opérationnel et financier. Et chaque fois que les investisseurs recommencent à y croire, l’actionnaire de référence présente une offre opportuniste sur la table. Les autres actionnaires, bien souvent épuisés par la période difficile précédente, l’acceptent sans vraiment opposer de résistance. Il n’est pas inenvisageable que ce scénario se répète pour un certain nombre de sociétés encore cotées à Bruxelles.
Colruyt, une machine à cash
Pour de nombreux analystes, la chaîne de distribution halloise figure en tête de liste des candidats au retrait de la cote. Notamment en raison de rumeurs selon lesquelles l’entreprise s’y préparerait déjà en interne.
Avec une capitalisation boursière de 4,75 milliards d’euros, Colruyt n’est pas un petit acteur, mais les trois quarts de ses actions sont détenus par la famille Colruyt elle-même, qui continue notamment à racheter des actions Colruyt via sa holding Korys. Ces dernières années, le holding familial a entrepris une réorganisation du groupe Colruyt, notamment en se séparant d’activités avec lesquelles elle ne pouvait plus faire la différence, comme la chaîne de jouets DreamLand et les activités de distribution en France.
En plus de cela, Colruyt a revu sa politique RH, ce qui a entraîné le départ de nombreux employés à des postes de management. À cela s’ajoute la concurrence croissante des grands distributeurs étrangers venus s’implanter sur le sol belge. Colruyt éprouve ainsi des difficultés à maintenir sa politique historique des prix les plus bas.
Entre-temps, Korys est devenue un investisseur en capital-investissement de grande envergure. Une machine à cash comme Colruyt conviendrait mieux au portefeuille de Korys, plutôt que de rester cotée en Bourse.
Sipef, le meilleur reste à venir
Le producteur d’huile de palme Sipef est un peu plus petit et actif dans un autre secteur. Quatre actions sur dix sont détenues par le holding Ackermans & van Haaren, et encore 9% sont contrôlés par la famille Bracht. Ackermans & van Haaren rachète systématiquement chaque années quelques pour cent. Au cours des cinq dernières années, le holding a racheté 6% de Sipef, ce qui représente 10 à 15% du volume de négociation de l’action, calcule un gestionnaire.
Sipef souffre de l’image général du secteur, alors qu’il est l’un des producteurs d’huile de palme les plus durables, pour lequel nombre des critiques formulées par les ONG ne s’appliquent pas.
Sipef affiche aussi l’un des rendements par hectare les plus élevés et possède un domaine relativement jeune, ce qui fait que les bénéfices et les flux de trésorerie ne feront qu’augmenter dans les années à venir.
Le cours boursier actuel de Sipef est valorisé à 7.300 dollars par hectare, alors que la valeur comptable est de 10.000 dollars et que la valeur de marché réelle pourrait être encore plus élevée. Ajoutez à cela un bilan financièrement sain, et la frustration de l’actionnaire de référence Ackermans & van Haaren face à la faible valorisation devient compréhensible.
Là aussi, une offre n’est pas à exclure, bien qu’Ackermans & van Haaren doive alors y ajouter une prime suffisante pour convaincre les actionnaires particuliers et professionnels de céder l’autre moitié des actions.
En même temps, il est tout aussi possible qu’Ackermans & van Haaren continue dans les années à venir à racheter des actions à faible valorisation en Bourse pour, plus tard, ne devoir faire une offre moins élevée.
Nextensa, de la prime à la décote
Dans le même bateau que Sipef se trouve le promoteur immobilier Nextensa, qui fait également partie de l’écurie d’Ackermans & van Haaren. Le holding possède 63% des actions et 76% des droits de vote. En 2022, Ackermans & van Haaren n’en détenait encore que 59%. Le holding continue aussi d’acheter systématiquement. De plus, les assureurs Axa et AG Insurance détiennent ensemble encore 20% des actions, ce qui signifie qu’il n’y a ni vraiment de free float ni de liquidités.Le secteur de la construction et de l’immobilier a traversé des années difficiles, avec un prix des matériaux de construction qui s’est envolé en 2021 et 2022 à cause de l’inflation, et des hausses de taux d’intérêt en 2022 et 2023.
Nextensa effectue aussi un virage stratégique puisqu’elle veut devenir un promoteur “avec un peu plus de risque”, comme elle le dit elle-même. Les investisseurs ne l’ont cependant pas encore récompensée pour cela. Entre-temps, l’action se négocie avec une décote de 50% par rapport à sa valeur intrinsèque, alors qu’il y a encore quatre ans, Nextensa pouvait se targuer d’une prime de cet ordre de grandeur.
Pour de nombreux projets, Nextensa fait appel à l’entreprise de construction CFE, où Ackermans & van Haaren a aussi une participation. “Cela ne m’étonnerait pas si Ackermans & van Haaren retirait les deux de la Bourse pour les fusionner. Il n’y a aucune raison pour que le holding laisse encore ces deux sociétés cotées en Bourse. Leurs participations financières, Bank Delen et Van Breda, ne sont pas non plus cotées en Bourse”, estime un analyste.
Tessenderlo, le mauvais communicant
Tessenderlo est un autre candidat à la sortie de Bourse. Luc Tack détient 69% du capital et rachète activement des actions depuis des années. En 2022, Tack a fusionné le fabricant de métiers à tisser Picanol avec le groupe chimique Tessenderlo, mais le cours de l’entreprise fusionnée n’en a pas vraiment profité. Les premières années, il a stagné à des valorisations relativement faibles. Récemment, les résultats opérationnels ont en partie déçu, ce qui empêche une reprise structurelle du cours et une revalorisation.
Certains dans le milieu estiment que la communication peu claire du CEO Luc Tack expliquerait pourquoi Tessenderlo est moins connue et moins prisée des grands investisseurs et gestionnaires de fonds.
En 2022, trois grands gestionnaires de fonds institutionnels figuraient encore dans le capital de Tessenderlo, pour zéro aujourd’hui. Comme pour les autres candidats à la sortie, la valorisation structurellement basse en Bourse, combinée à un free float de 20% et une faible liquidité, sont des raisons de penser que Luc Tack fera, tôt ou tard, une offre sur les actions restantes.
Entre-temps, l’adresse web hetbodoptessenderloistelaag.be n’est plus disponible. Cela laisse supposer que les mêmes actionnaires qui s’étaient opposés à l’offre de rachat sur Roularta se préparent à une opposition similaire contre une offre sur Tessenderlo.
EVS, une cible pour le private equity
Le groupe technologique EVS Broadcasting est également mentionné par certains comme un potentiel candidat à une sortie de Bourse, mais pour d’autres raisons. EVS ne dispose pas de grand actionnaire de référence, ce qui fait que 80% des actions sont librement négociables. Comme les autres sociétés citées ci-dessus, il a une faible valorisation. Cela, combiné à sa taille relativement petite, à ses bons résultats et à sa solide situation financière, en fait une proie idéale pour les investisseurs en private equity.
“L’entreprise génère des flux de trésorerie très élevés, possède une position nette de trésorerie, est en forte croissance et se négocie à seulement 12 fois le bénéfice, déclare un gestionnaire. Un acquéreur devra proposer une offre suffisamment élevée pour convaincre tous les actionnaires de céder leurs actions.”