Quel bazar sur le marché obligataire: la Grèce emprunte moins cher que la France

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Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Depuis quelque temps, sur les marchés obligataires, une vache n’y retrouverait pas son veau.  A court terme, la Grèce emprunte moins cher que l’Allemagne. A long terme, le Portugal emprunte moins cher que la France. Et l’Allemagne emprunte au même taux, que ce soit sur deux ans ou sur dix ans. Essayons d’y voir clair avec Bruno du Bus (Fide Capital).

Depuis quelques semaines, la nervosité a gagné les marchés obligataires européens. Les raisons sont multiples : interrogations sur la politique budgétaire de la France, crainte de récession en Allemagne, inflation qui évolue différemment selon les Etats-membres… il est difficile en effet de voir une tendance commune dans le marché.

Tendances diverses et variées

Ainsi, le taux à deux ans de la Grèce évolue aujourd’hui un peu en dessous de 2%, alors que pour la même échéance, l’Allemagne paie un peu plus de 2%. En revanche, le taux à dix ans allemand est à 2,11% (autrement dit, c’est presque le même niveau que le taux à deux ans), alors que le taux grec dépasse les 3%. Par-dessus le marché, la situation française s’est passablement détériorée depuis les élections législatives de juillet dernier. Aujourd’hui, sur l’échéance de référence qui est le taux à dix ans, la France paie un taux d’intérêt de 2,91%, soit autant que l’Espagne, plus que la Belgique (2,81%), plus que le Portugal (2,68%) et finalement pas très loin de la Grèce (3,01%).

Comment expliquer ces écarts et cette hiérarchie ? Les explications de Bruno du Bus, partner auprès de la société de gestion de patrimoine Fide Capital

« Si l’on regarde l’écart de la France, mais aussi des autres pays par rapport à l’Allemagne, il faut d’abord observer que la forme de la courbe des taux est différente, observe-t-il. En Allemagne, elle est plate (les taux à court terme et les taux à long terme sont à peu près au même niveau). Ailleurs (En France, en Belgique, en Espagne, en Grèce…) , elle est pentue. En Grèce par exemple, les taux courts sont en dessous de 2%, les taux longs au-delà de 3%). »

Courbe plate, courbe pentue

Quand une courbe des taux est plate, quand on emprunte au même taux à court terme qu’à long terme,  ce n’est pas souvent bon signe. Cela signifie que le marché n’attend pas une grande dynamique économique dans les années qui viennent. « C’est vrai que la dynamique économique en Grèce est pour le moment meilleure qu’en Allemagne, pour différentes raisons, explique Bruno du Bus. La Grèce est parvenue à résoudre, au niveau de sa dette publique,  un grand nombre de ses problèmes, mais pas tous : il y a donc un peu plus de crainte sur dix ans que sur deux ans. La Grèce bénéficie aussi d’une  dynamique économique, liée notamment au tourisme, que l’Allemagne n’a pas à cause du ralentissement de la Chine (qui est un grand marché pour les exportateurs allemands). Ce qui est vrai pour la Grèce l’est aussi pour d’autres pays du « club Med », Italie, Espagne, Portugal, dont l’économie a l’air de moins souffrir que l’économie allemande. Il y a des craintes à court terme sur l’Allemagne pour savoir si au quatrième trimestre ou au début de l’année prochaine, le pays pourrait être en légère récession (on parle de – 0,1%). En termes de risques, toutefois, on estime dans le marché que la situation politique et la situation économique en Allemagne est probablement plus saine qu’en Grèce, ou en tout cas est plus pérenne », souligne encore Bruno du Bus.

Cas français

Maintenant, il y a le cas de la France, un pays qui avait le même taux d’endettement que l’Allemagne en 2001, et qui aujourd’hui l’a quasiment doublé. « Au niveau de la France. Les taux de taux de croissance restent légèrement supérieurs à l’Allemagne, parce que la France n’a pas été en récession en début d’année.  En revanche, la France a son problème de déficit public. Et si l’on considère la courbe des taux, qui est un élément important pour moi, on constate en France la même configuration qu’en Grèce : les taux d’intérêt sont presque plats, aux alentours de 2-2,5% jusqu’à 7 ans.  Cela montre clairement que, pour le marché, le problème pour la France se pose pour la gestion de son déficit à long terme. Quand on aborde le sujet des déficits publics, et c’est la même chose pour la Belgique, on sait que l’on ne va pas pouvoir résoudre facilement  le problème ces cinq prochaines années. La preuve, c’est que la Commission européenne s’est penchée sur la situation et a demandé des mesures d’ajustement ».

 Le grand point d’attention se passera d’ici cinq à dix ans, poursuit Bruno du Bus lorsqu’il faudra prendre de nouvelles mesures alors qu’il faudra en parallèle effectuer des efforts supplémentaires pour notamment la transition énergétique. La majorité des pays européens ont donc des taux plus élevés sur le long terme sauf, en effet, étrangement l’Allemagne.

Appétit pour du papier allemand

En résumé, et si l’on exclut la tension française, c’est la situation de l’Allemagne qui est particulière. D’un côté, les investisseurs ne s’inquiètent pas d’un regain possible d’inflation, malgré le fait que « le pays est plus sensible que d’autres à une remontée des prix énergétiques et des matières premières. Mais le marché n’a pas l’air de s’inquiéter de la situation, note Bruno du Bus. Les investisseurs partent du principe que l’Allemagne pourrait sortir de l’ornière plus rapidement et faire redémarrer sa croissance économique ».

Enfin, il y a un autre aspect, technique mais important, qui explique aussi pourquoi les taux allemands sont plus bas. C’est l’appétit des grands investisseurs pour les obligations allemandes : « la liquidité sur le Bund allemand est quand même beaucoup plus grande que sur les pays périphériques de l’Europe. Et les investisseurs  institutionnels sont davantage demandeurs d’obligations allemandes pour des raisons de sécurité et de rating ». La dette de l’Allemagne affiche en effet toujours un triple A, soit la meilleure note financière

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