“Pas de baisse des taux directeurs avant 2025”

Le stratégiste Philipp Vorndran estime que les banques centrales vont devoir affronter une inflation structurellement plus élevée et un marché du travail qui restera solide. Il ne s’attend donc pas à une détente monétaire avant 2025, avec une croissance européenne particulièrement atone.

Flossbach von Storch (FVS) Multiple Opportunities est un des fonds flexibles les plus populaires chez les investisseurs belges, avec une performance annualisée supérieure à 5% durant la dernière décennie et une notation cinq étoiles chez Morningstar. Alors que les actifs sous gestion dépassent désormais les 12 milliards d’euros (pour le compartiment luxembourgeois), nous avons eu l’occasion de rencontrer Philipp Vorndran, stratégiste de Flossbach von Storch, à l’occasion de son passage à Bruxelles.

TRENDS-TENDANCES: Comment Flossbach von Storch Multiple Opportunities a-t-il traversé l’année 2022?

PHILIPP VORNDRAN: Nous avons encaissé un recul de 12%, une baisse normale compte tenu des circonstances. Nous n’en sommes toutefois pas fiers car nous avions une analyse forte et pertinente de la situation sur les marchés obligataires. Si vous investissez dans des actifs financiers avec un rendement proche de zéro, le risque est grand que le marché se rende un jour compte que ces produits ne sont pas valorisés correctement, et nous aurions dû avoir une position baissière afin de profiter du mouvement de hausse des taux obligataires. A l’heure actuelle, j’estime que les obligations souveraines européennes ne constituent pas encore une proposition d’investissement très attractive.

Et quel est le positionnement actuel du fonds?

Nous avons bien rebondi depuis le début 2023. Le positionnement est resté globalement inchangé, avec une exposition sur les marchés boursiers qui tourne autour de 70% avec pratiquement aucun changement dans les 10 premières positions. Nous avons toutefois réduit la position de liquidités pour détenir aujourd’hui environ 14% en actifs obligataires, essentiellement des émissions souveraines en euros et marginalement sur la dette d’entreprise. Enfin, nous avons conservé notre exposition sur les mines d’or, autour de 10%.

© National

Vous revenez d’un voyage en Chine. Quels enseignements en avez-vous tirés?

La Chine a fondamentalement changé, avec une économie qui vise désormais une croissance de qualité et beaucoup plus domestique. Le pays est aujourd’hui très similaire à l’Allemagne ou à la Belgique en ce qui concerne les attentes de sa population, qui aspire à une vie moins stressante. Dans le même temps, il y a un changement fondamental dans la manière avec laquelle ses citoyens voient leurs relations avec les pays occidentaux. Ils estiment qu’ils n’ont aujourd’hui plus de raisons de mettre des gants d’un point de vue économique, et je crains que la concurrence chinoise se fasse ressentir durant les prochaines années, notamment dans l’automobile ou les machines-outils. L’Europe ne pourra plus se reposer sur les importations chinoises pour soutenir sa croissance.

Que représente la Chine dans le portefeuille de Multiple Opportunities?

Le manque de protection légale sur les actifs chinois ne nous a jamais permis d’avoir un positionnement très important sur ce pays. Alibaba est le seul titre chinois que nous ayons encore dans notre portefeuille, à moins de 1% des actifs sous gestion.

L’Europe risque donc de souffrir davantage que les autres régions?

La croissance en Europe sera faible, loin derrière les Etats-Unis dont l’économie sera soutenue par la hausse de la productivité et par un contexte démographique plus favorable, tandis que la Chine devrait progresser entre 2 et 3%. La croissance des résultats ressortira entre 6 et 7%, et sera principalement soutenue par l’inflation. Plus que jamais dans ce contexte, il sera primordial de détenir des sociétés ayant un pouvoir de fixation des prix.

Sur quel niveau attendez-vous l’inflation durant les prochaines années?

Nous tablons sur une inflation en Europe qui devrait se stabiliser à terme entre 3 et 4%. La Banque centrale européenne (BCE) ne doit plus faire uniquement un arbitrage entre croissance et inflation, mais va également devoir de plus en plus prendre en compte les risques pesant sur la stabilité du secteur financier et des finances publiques. Dans ce contexte, la capacité de pouvoir uniquement se concentrer sur l’inflation va être limitée. Au moment où une menace sur la stabilité financière fera son apparition, elle suspendra ses hausses de taux et fournira de la liquidité aux banques.

Quels sont vos arguments pour expliquer ce niveau plus élevé d’inflation?

Ils sont déterminés par ce que nous appelons les trois D: la déglobalisation, la décarbonisation et la démographie. Ce dernier facteur a joué un rôle central dans la solidité des marchés du travail durant les deux dernières années. Les babyboomers sont massivement partis à la retraite durant l’épidémie de coronavirus, et ils n’ont jamais été remplacés. Ceci explique les difficultés qu’éprouvent de nombreuses entreprises à trouver des travailleurs qualifiés, et la retenue dont ils font preuve face à un contexte économique défavorable. Il y a un changement dans les rapports de force sur le marché du travail qui devrait encore durer 10 à 15 ans.

Est-il possible d’atténuer ce stress sur le marché du travail?

Il faut introduire davantage d’automatisation dans les services. Contrairement à ce qui se passe en Asie, il y a une forte résistance dans la population occidentale, mais c’est une tendance qui va s’imposer progressivement. Car dans le même temps, il faudra de plus en plus de main-d’œuvre pour s’occuper des personnes âgées dans les maisons de repos. Dans ce contexte, il serait logique et préférable d’autoriser une immigration plus importante dans nos économies qui font également face à un exode de leur main-d’œuvre qualifiée. Pour prendre le cas de l’Allemagne, environ 200.000 personnes quittent chaque année ce pays (vers la Suisse, la Scandinavie ou l’Asie) pour trouver des opportunités professionnelles, notamment en raison du niveau de taxation élevé combiné à des prestations sociales de moins en moins favorables.

Comment les banques centrales vont-elles réagir dans ce contexte?

Elles vont probablement arrêter de resserrer leur politique monétaire durant les prochains mois. Mais contrairement aux attentes du marché, nous ne pensons pas qu’elles vont entamer un mouvement de baisse sur leur taux directeur avant 2025. Si notre analyse est correcte, la structure des courbes de taux devrait se normaliser en Europe avec une hausse attendue des taux longs et une courbe qui va s’aplatir. Aux Etats-Unis, la différence entre taux courts et longs s’est déjà largement normalisée et pourrait devenir intéressante à détenir si le taux à 10 ans remonte vers 4,3-4,5%.

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