Une meilleure année attend l’industrie néerlandaise des semi-conducteurs
Après avoir cédé du terrain en été, les actions des fabricants néerlandais de machines destinées à l’industrie des semi-conducteurs ont achevé l’exercice en force.
Leur hausse a coïncidé avec le recul des taux longs acté en novembre-décembre : quand les taux diminuent, les flux de trésorerie futurs prennent de la hauteur, au profit des valorisations. Le sentiment des investisseurs s’est en outre amélioré quand le consensus a annoncé une année 2024 plus profitable au secteur. Enfin, le phénomène du window dressing, qui incite les gestionnaires de fonds à intégrer les titres gagnants dans leurs portefeuilles vers la fin de l’année, a contribué à soutenir les achats.
ASML : notre favorite
Malgré la correction subie en été, le titre ASML a clos l’exercice sur une hausse de 36 %. La demande ayant chuté dans plusieurs marchés finaux, les principaux clients d’ASML, comme TSMC ou Samsung, ont eu besoin de moins de capacités de production, si bien qu’ils ont reporté leurs commandes. Le phénomène a beau s’être traduit, au troisième trimestre surtout, par un nombre décevant de nouveaux contrats, le carnet de commandes reste impressionnant (35 milliards d’euros). ASML n’a jamais pu exporter ses machines de lithographie extrême ultraviolet (EUV) les plus avancées, une interdiction étendue depuis le 1er janvier à l’ultraviolet profond (UVP). La direction précise que la livraison prévue de certaines machines UVP a été annulée avant même que l’interdiction formelle ne prenne effet – les licences d’exportation relèvent de la responsabilité du ministère des Affaires étrangères néerlandais, mais peut-être les Etats-Unis sont-ils pour quelque chose aussi dans cette décision. L’interdiction (partielle) d’exporter vers la Chine ne semble pas beaucoup troubler ASML : tant que la demande dépassera l’offre, les équipements que le groupe ne pourra pas vendre là-bas trouveront preneur ailleurs.
Les résultats de 2023 ne sont pas encore publiés, mais une croissance de 30 % du chiffre d’affaires (CA), à 27,5 milliards d’euros, est une prévision réaliste. La partie basse du cycle pourrait être dépassée, ce qui ne veut toutefois pas dire que le CA augmentera fortement dès cette année. ASML s’attend à 12 mois de transition, après quoi une croissance significative pourrait être constatée en 2025. La production de systèmes tant EUV qu’UVP est accélérée. ASML va par ailleurs livrer cette année ses premiers systèmes EUV High-NA (High Numerical Aperture).
L’envolée des coûts sera compensée par des prix de vente plus élevés avec, à la clé, une augmentation des marges. Le bénéfice devrait s’établir cette année à 24 euros par action. Actuellement, ASML s’échange à un peu plus de 26 fois le bénéfice escompté. En plus de payer un dividende (qui devrait atteindre six euros par action), l’entreprise rachète ses propres actions. Ses excellentes perspectives à long terme et sa position dominante font d’ASML notre préférée parmi les actions néerlandaises du secteur des puces. L’investisseur peut pour l’instant continuer d’en acquérir.
BESI : prendre ses bénéfices
Les machines vendues par BESI servent au câblage et au revêtement des semi-conducteurs. BESI et Applied Materials ont mis au point le collage hybride, qui permet de connecter différents types de puces, une technique plus efficace pour les semi-conducteurs à haute performance récents. La demande pour cette sorte de puces va continuer de croître, ce qui contribue à expliquer le bond de 140 % effectué par l’action l’an passé.
BESI construit des machines à la mesure de ses clients. Plus de 70 % des puces qui transitent par ces appareils sont utilisées dans les smartphones, les autres applications étant les PC, les serveurs et les voitures. Seul le collage hybride ne représente actuellement qu’une fraction du CA, et la percée commerciale annoncée pour 2024-2025 par le CEO Richard Blickman a été ajournée d’un à deux ans en juin dernier. Reste qu’après avoir travaillé sur cette technologie pendant plus de huit ans, BESI dispose d’une indiscutable avance sur la concurrence. Chaque machine coûte entre 3 et 4 millions d’euros et l’entreprise prévoit d’en livrer entre 800 et 1.900 d’ici 2030. Cette fourchette assez large montre que beaucoup d’incertitudes encore entourent le calendrier. Quoi qu’il en soit, la capacité de production doit être augmentée, ce qui exigera des investissements substantiels.
BESI n’est heureusement pas tributaire du collage hybride, car même la génération de machines actuelle n’est pas au bout de ses progrès. Le groupe consacre 10 % environ de son CA à la recherche et développement – avec une marge brute de plus de 60 %, il peut se le permettre. Le cours a affiché une hausse parabolique ces 12 derniers mois, ce qui est presque toujours annonciateur d’une correction. BESI s’échange à près de 40 fois le bénéfice escompté, soit bien plus que la concurrence. Même si les actionnaires s’y retrouvent (dividendes et rachats d’actions), il y aura des fenêtres d’entrée plus propices ; pour l’instant, nous recommandons de prendre les bénéfices et de vendre.
ASMI : pas de monopole
Avec un cours multiplié par deux en 2023, ASMI n’a pas à rougir face à BESI. Comme son action avait cédé 40 % en 2022, ASMI vaut à peu près autant qu’en novembre 2021, son année record. Malgré ses 55 % de part de marché dans le segment du dépôt de couches atomiques (ALD), la position concurrentielle d’ASMI n’est pas aussi marquée que celle d’ASML. ASMI subit de surcroît la redoutable concurrence d’Applied Materials, qui cherche à s’étendre sur le marché de l’ALD. Les deux entreprises se croisent aussi dans le segment de l’épitaxie (couches cristallines) mais là, les rôles sont inversés, puisque c’est Applied Materials qui occupe la première marche du podium. Il y a quoi qu’il en soit suffisamment de place pour plusieurs acteurs. Divers fabricants de puces adoptent les transistors GAA (Gate-All-Around), ce qui est prometteur pour la croissance de l’ALD. Dans le segment de l’épitaxie, les opportunités de croissance sont à chercher du côté du carbure de silicium (SiC), parfaitement adapté à l’électronique de puissance. Avec l’électrification, le marché du SiC devrait progresser rapidement ces prochaines années.
Les commandes passées à ASMI l’an dernier ont reflué, mais moins nettement que ce que les analystes avaient craint, et le carnet de commandes reste bien rempli. La direction dit avoir la certitude que l’entreprise va faire mieux que le secteur. A un peu plus de 30 fois le bénéfice escompté pour 2024, ASMI est déjà assez chère, alors que les perspectives à moyen et long terme demeurent excellentes. Nous maintenons la recommandation (passée de “acheter” à “conserver”) émise en octobre.
De Wassenaar à Washington
Stratégie complexe, inspirée par des enjeux militaires, économiques et (géo)politiques, l’interdiction d’exporter des machines servant à la fabrication de semi-conducteurs vers la Chine fait couler beaucoup d’encre. L’arrangement dit de Wassenaar est un traité international qui restreint les possibilités d’exportation de technologies susceptibles d’être utilisées à des fins militaires. Mais Washington a, depuis, élaboré ses propres règles, plus strictes, qu’il applique au-delà de ses frontières, y compris aux Pays-Bas. Bien que les licences d’exportation soient sa prérogative, le gouvernement néerlandais suit clairement la stratégie américaine. En plus d’affecter ses applications militaires, cette politique désavantage la Chine sur le plan économique, ce qui est en fait le but recherché par les Etats-Unis. Les analystes craignent qu’elle n’incite la Chine à réduire davantage encore sa dépendance technologique vis-à-vis de l’Occident.
Une belle année pour les actions du secteur
Selon la banque d’investissement UBS, 2024 sera un nouveau sweet spot pour les semi-conducteurs, qui auront en d’autres termes le vent en poupe. Dans la plupart des segments du secteur, le cycle des stocks s’est inversé : les clients ayant suffisamment réduit leurs stocks, ils doivent recommencer à commander pour pouvoir répondre à la demande de produits et services. Seuls les stocks de puces mémoire sont encore relativement élevés, mais plus pour très longtemps. UBS fonde ses prévisions sur les chiffres de la Semiconductor Industry Association (SIA), qui représente 99 % des entreprises américaines et les deux tiers des entreprises non américaines actives dans les semi-conducteurs. La SIA estime qu’après avoir reculé de 9,4 % en 2023, les ventes mondiales vont augmenter de 14,1 % cette année.
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