Trump, ou le nouvel élan de la défense européenne
Le secteur de la défense européen bénéficie depuis quelques semaines d’un double élan, insufflé d’une part par la victoire électorale de Donald Trump et d’autre part, par la publication, par le secteur lui-même, d’excellents chiffres trimestriels.
Mise au pied du mur par les Etats-Unis, l’Europe se voit contrainte d’augmenter encore ses dépenses de défense. Les cours des actions des entreprises européennes spécialisées dans ce domaine sont d’ailleurs partis à la hausse dans les jours qui ont suivi le scrutin. Ainsi le titre Rheinmetall a-t-il progressé de 20 % ; il est accompagné, sur le podium, par les groupes Leonardo et Hensoldt. Le trio a de surcroît clairement profité de la publication de très bons résultats la semaine dernière. BAE Systems et Saab tirent eux aussi parti de la victoire du milliardaire américain.
Armin Papperger, le CEO de Rheinmetall, a déclaré jeudi, lors d’une présentation aux analystes, qu’il ressortait de discussions avec des représentants de l’OTAN et du Pentagone que les Etats-Unis ne jugeaient plus suffisante la norme des 2 % du produit intérieur brut (PIB) que l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) invitait chacun de ses alliés à consacrer au budget de la défense. D’après l’OTAN, les dépenses de défense de 23 de ses 32 Etats membres devraient atteindre, voire dépasser, cette norme en 2024. Plus tôt dans l’année, le cabinet Bernstein a calculé que si les dépenses progressaient de 2,5 % par an en moyenne entre 2024 et 2030, le budget de la défense européen avoisinerait les 700 milliards de dollars en 2030 ; c’est 270 milliards de plus que ce que l’Europe et le Canada réunis auront consacré à ce poste cette année, selon l’OTAN.
Hausse des dépenses européennes
Vu l’intensification des tensions géopolitiques, l’Europe ne va pas pouvoir faire l’économie d’une nouvelle augmentation de ses dépenses de défense. Reste à savoir si tous ses pays membres pourront et voudront la suivre en ce sens. Le fait que l’Allemagne et la France, les deux plus grands Etats membres de l’Union, ne brillent pas par leur stabilité politique actuellement, n’est pas de bon augure. Outre-Rhin, la crise gouvernementale qui a éclaté la semaine dernière débouchera d’ailleurs sur de nouvelles élections. Peu disert à ce sujet, Armin Papperger est au contraire allé jusqu’à spéculer sur l’abolition de la loi, si chère aux libéraux allemands, qui met un frein à l’accroissement de l’endettement en faveur des dépenses de défense, un point de vue qu’UBS juge un peu trop optimiste. Quoi qu’il en soit, si le budget de la défense de l’Europe ne va sans doute pas égaler, à court et moyen terme, les 3 % du PIB atteints à la fin des années 1980, il est à l’évidence permis de parler d’une proportion de 2 %, et peut-être plus. Une estimation dont l’industrie européenne de la défense ne peut que se réjouir.
Guerre en Ukraine
Aussi cruel que cela soit d’un point de vue humanitaire, une conséquence potentiellement moins agréable de la victoire de Donald Trump pour le secteur européen de la défense est la perspective d’une fin rapide de la guerre en Ukraine. Les fabricants européens ont été abondamment interrogés à ce sujet lors de l’exposé de leurs résultats trimestriels. Hensoldt réalise actuellement 7 % approximativement de son chiffre d’affaires en Ukraine, laquelle représente 3 % de son carnet de commandes. Commandes (principalement destinées à la défense aérienne) que le groupe prévoit de livrer en 2025 et en 2026. Des 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires que Rheinmetall compte avoir produits cette année, 1,6 à 1,7 milliard l’auront été en Ukraine, soit directement, soit par le biais de livraisons à des pays qui fournissent des armes et des équipements à Volodymyr Zelensky. Sur les six milliards d’euros de commandes destinées à l’Ukraine, quatre milliards (en munitions) ne sont pas encore livrées ; elles le seront “certainement”, affirme le CEO de Rheinmetall, l’année prochaine et la suivante. L’Ukraine n’étant pas un Etat qu’elle approvisionne directement, l’entreprise italienne Leonardo affirme ne pas avoir constaté de hausse de son chiffre d’affaires depuis l’éclatement du conflit avec la Russie. Saab dispose d’une vue moins claire sur ce que lui rapporte cette guerre. Le groupe de défense suédois produit armes et munitions pour le compte de plusieurs pays mais selon Michael Johansson, son CEO, il est impossible de dire si ceux-ci les conservent ou s’ils les confient à l’Ukraine.
Global Combat Air Programme
Une chose est sûre : les carnets de commandes des entreprises européennes du secteur de la défense ne cessent de s’étoffer. Celui de Rheinmetall pèse près de 52 milliards d’euros, pour un chiffre d’affaires escompté de 10 milliards d’euros cette année. Celui de Hensoldt s’élève à 6,5 milliards d’euros, pour des ventes qui devraient atteindre 2,3 milliards d’euros ; enfin, le carnet de Saab s’établit à 190 milliards de couronnes suédoises, alors que l’entreprise devrait clore l’exercice sur un chiffre d’affaires de 61 milliards de couronnes environ. Chez Leonardo, le carnet de commandes atteint 43,6 milliards d’euros, pour un chiffre d’affaires prévu de 16,8 milliards d’euros cette année.
Et ce n’est pas tout, puisque plusieurs initiatives nouvelles vont être à l’origine d’importantes commandes. Citons notamment la joint-venture récemment créée par Leonardo et Rheinmetall afin de produire des véhicules de combat destinés, pour commencer, à l’armée italienne. A la tête de Leonardo, Roberto Cingolani s’attend à une commande de 23 milliards d’euros, étalée sur 10 à 12 ans, de la part de l’Italie. Par ailleurs, le Global Combat Air Programme (GCAP) devrait être signé cette année encore par l’Italie, le Japon et le Royaume-Uni.
GCAP est un projet de développement d’une nouvelle génération d’avions de combat auquel participent BAE Systems, Leonardo et Mitsubishi Heavy Industries. Selon Leonardo, le gouvernement italien investira 8,8 milliards d’euros à son profit entre 2025 et 2035. L’Allemagne et le Royaume-Uni se sont récemment entendus pour que Rheinmetall produise au Royaume-Uni des munitions et des armes à destination du pays même. Armin Papperger estime qu’à terme, le chiffre d’affaires du groupe outre-Manche atteindra 1,0 à 1,5 milliard d’euros par an. Rheinmetall et Saab élargissent par ailleurs leurs activités américaines ; c’est dans ce contexte que le premier a acquis, au mois d’août, l’entreprise américaine Loc Performance, pour un montant de 950 millions de dollars.
Rheinmetall et BAE Systems toujours favorites
Les cours des actions du secteur de la défense européen se sont déjà appréciés dans des proportions qui vont de 25 % (BAE Systems) à 100 % (Rheinmetall) cette année. Merci aux électeurs de Donald Trump ! De telles hausses ne sont évidemment pas reproductibles à l’infini, d’autant que la valorisation du secteur atteint désormais des sommets. Nous continuons néanmoins pour l’instant de recommander BAE Systems et Rheinmetall à l’achat ; nous estimons que leurs bénéfices prévisionnels n’ont pas fini de grimper et que ces acteurs de la défense européenne pourraient surprendre agréablement l’an prochain encore. Quant aux titres Hensoldt, Leonardo et Saab, ils méritent au minimum d’être conservés.
Nous restons donc positifs à l’égard du secteur européen de la défense. L’investisseur qui souhaiterait y entrer maintenant doit s’attendre à des évolutions de cours moins marquées. Il disposera de préférence d’un horizon long, puisque le secteur a sans doute plusieurs années de forte croissance des ventes, des bénéfices, des flux de trésorerie et des dividendes devant lui. Tout fléchissement de cours peut donc être considéré comme une opportunité de prendre des positions, ou de renforcer des positions existantes.
D’excellents trimestriels
Hensoldt, Leonardo et Rheinmetall ont publié leurs résultats trimestriels et BAE Systems a confirmé, dans une mise à jour, le relèvement précédemment pratiqué de ses prévisions pour l’ensemble de l’exercice.
La marge bénéficiaire et les flux de trésorerie de Rheinmetall ont été revus en légère hausse.
Hensoldt annonce pour cette année une marge bénéficiaire qui atteindra la partie supérieure de la fourchette prévisionnelle, assortie d’un allégement un peu plus rapide que prévu de son ratio d’endettement. Saab estime pouvoir atteindre le niveau le plus élevé de la croissance (à périmètre organique) escomptée de son chiffre d’affaires prévisionnel. Enfin, malgré quelques revers mineurs, Leonardo a confirmé ses prévisions pour l’ensemble de l’exercice.
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