Les rachats d’actions atteignent des niveaux records
En 2022, les entreprises américaines ont dépensé 1.220 milliards de dollars, un montant inédit, en rachats d’actions. Sur les trois premiers mois de 2023, elles avaient déjà consacré à ces opérations deux fois plus de dollars qu’à la même période l’année dernière.
Pour l’instant, cette année, ce sont Chevron et Meta qui ont annoncé les programmes les plus vertigineux: le groupe pétrolier y consacrera 75 milliards de dollars, la société mère de Facebook, 40 milliards de dollars. Très populaires aux Etats-Unis, les rachats d’actions ont la cote en Europe également, certes depuis moins longtemps. Ainsi chez ASML la dépense atteindra-t-elle 12 milliards d’euros et chez Shell, par trimestre, 4 milliards de dollars.
Excès de trésorerie
Les entreprises peuvent allouer leur surplus de liquidités à leurs activités, à des acquisitions, des investissements, au remboursement de leur dette, ou le distribuer à leurs actionnaires, via des rachats d’actions ou le versement de dividendes. Elles recourent généralement au dividende pour remercier les actionnaires pour leur confiance, mais aussi, d’avoir mis leurs fonds propres à leur disposition en acquérant leurs actions. Le dividende, qui est une partie du bénéfice de l’entreprise, est payé en espèces, quand il n’est pas distribué sous la forme de nouvelles actions. Si en Europe, il est plus souvent versé sur une base semestrielle ou annuelle, en Amérique, c’est sur une base trimestrielle.
Hausse (mécanique) du bénéfice par action
La création de valeur est ce que recherchent principalement les entreprises en acquérant leurs propres actions. Ce faisant, elles réduisent le nombre de titres en circulation et accroissent la part des actionnaires en elles. Si les rachats d’actions n’altèrent pas la capitalisation boursière de l’entreprise, la distribution de dividendes, bien. Le jour de son détachement, un montant équivalent au dividende est retranché du cours de l’action, puisque le capital est retiré de l’entreprise. Si en théorie, le dividende ni ne vous enrichira ni ne vous appauvrira, dans la pratique, parce qu’il est taxé, vous subirez une perte, variable.
Divisés par un nombre réduit d’actions une fois que les entreprises ont racheté une partie des leurs, les bénéfices par action augmentent. Ce qui a pour effet d’en stimuler tôt ou tard les cours en Bourse. La logique interpelle l’opinion. Pour certains, les entreprises feraient mieux d’investir leur trésorerie excédentaire dans leur outil de production plutôt que dans le rachat d’actions, si elles ne veulent pas la distribuer sous la forme de dividendes. D’autres rétorquent qu’il est inutile d’investir pour investir: il faut des projets créateurs de valeur, et acheter n’importe quoi détruirait cette dernière.
Surplus de rendement
A Wall Street, certaines sociétés font régulièrement usage du procédé. Car si un rachat peut procurer aux actionnaires un faible surplus de rendement dans les 12 premiers mois, il en va autrement dans les 5 ans s’il y a eu des rachats systématiques. Ces entreprises-là ont affiché une performance annuelle pouvant aller jusqu’à 400 points de base. Entre 1996 et 2021, le cours de leurs actions a augmenté presque trois fois plus vite que celui de leur indice de référence, le S&P 500. Mais lorsque les entreprises rachètent leurs actions à un prix trop élevé, elles réduisent la valeur pour les actionnaires. Pour l’accroître, elle devraient idéalement les racheter à un cours inférieur aux flux de trésorerie futurs de l’entreprise. Les rachats d’actions font progresser les chiffres par action plus rapidement, et le cours de l’action reflète cette évolution.
La liste des entreprises américaines ayant systématiquement recouru au rachat de leurs titres au cours des cinq dernières années est très longue, pour ne pas dire presque interminable. Certaines en acquièrent jusqu’à 10% ou plus en une année à peine. Parmi les grands adeptes de cet outil, l’on trouve eBay (qui a racheté plus de 45% de ses actions sur les cinq dernières années), Qualcomm (24,5%) et Apple (23%).
Le moment opportun
Les plans de rachat ne se révèlent un moyen facile de doper le cours de leurs actions qu’aux entreprises en bonne santé financière et au modèle de revenus efficace. Celles dont le chiffre d’affaires ne fait que se dégrader verront leur action se déprécier. Il faut par ailleurs choisir le moment opportun pour y procéder. Les multinationales, en particulier, ont pour habitude de racheter leurs titres lorsqu’ils sont onéreux. Or, tout investisseur est supposé savoir qu’il faut acheter à prix bas et vendre cher. Le seul rachat d’actions ne crée pas de valeur pour l’actionnaire. L’effet positif des rachats sur le cours des actions est amoindri lorsqu’elles sont surévaluées, et annihilé lorsque le modèle de revenus de l’entreprise est sous pression. La chaîne de magasins américaine Bed Bath & Beyond (BBBY), par exemple, qui a régulièrement racheté ses actions entre 2013 et 2022, est aujourd’hui au bord de la faillite. La société a continué à en racheter sur le marché libre alors même que ses bénéfices nets diminuaient chaque année et que certains de ses chiffres étaient dans le rouge à partir de 2018.
Réel effet sur les cours?
Les rachats ne se justifient en principe que si l’entreprise génère suffisamment de flux de trésorerie pour continuer à investir et peut faire face à ses obligations de paiement. Le cours d’une action grimpe souvent lorsque le chiffre d’affaires d’une entreprise progresse. Il grimpe aussi, mais alors artificiellement, lorsqu’une entreprise dont le chiffre d’affaires stagne ou dont les dettes ou les coûts s’envolent, a racheté une partie de ses actions. L’annonce d’un rachat est souvent bien accueillie par le marché, or il n’a encore jamais été prouvé que le seul rachat d’actions entraîne une hausse du cours de celles-ci, du moins pas dans les 12 mois. Sur les cinq ans qui suivent, en revanche, l’effet est indiscutable, pour autant qu’il ait été procédé à d’autres rachats encore.
Les actionnaires seraient-ils dès lors mieux lotis lorsque l’entreprise rachète ses actions? Oui, si elle est apte à le faire à un bon prix. Et pour autant également qu’elle n’emprunte pas pour ce rachat si les charges d’intérêt sont plus élevées que le bénéfice dudit rachat. Une entreprise ne devrait racheter ses actions que si le cours est inférieur à la valeur intrinsèque; si le cours est supérieur à celle-ci, c’est de la valeur qui est détruite.
Au détriment des dividendes
Le nombre d’entreprises opérant des rachats de leurs titres a considérablement augmenté ces dernières années, des deux côtés de l’Atlantique. Aux Etats-Unis, jusqu’en 1982, ils étaient interdits par la loi. Le Securities Exchange Act de 1934 les considérait comme un instrument de manipulation des cours.
Les rachats ne sont pas considérés comme des engagements. L’entreprise qui y procède fera savoir quand elle le souhaite si le programme a été mené et n’est pas tenue de le renouveler. Le dividende, lui, est vu comme un engagement moral. S’il diminue, les actionnaires sanctionnent en général sévèrement l’entreprise.
Les investisseurs que seul le dividende intéresse – ils achètent des actions à dividende en vue de percevoir des revenus réguliers –, n’apprécient pas que l’entreprise recoure également au rachat de ses actions. Le gouvernement américain a bien remarqué que ces rachats se font au détriment des dividendes. L’année dernière, jusqu’en septembre, les entreprises américaines avaient racheté pour 711 milliards de dollars de leurs titres, soit près du double de ce qu’elles avaient versé en dividendes (418 milliards de dollars). En conséquence, les caisses du Trésor se remplissent moins vite qu’avant de l’impôt sur les dividendes.
On n’a donc pas vraiment été surpris d’apprendre, au début de l’année, qu’une taxe de 1% sur les rachats d’actions avait été instaurée. La Maison-Blanche voudrait la porter à 4%. Il reste à voir si cela encouragera les entreprises à accroître les dividendes.
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