Les majors pétrolières ont de beaux jours devant elles
Le redressement de l’économie entraînera inévitablement une hausse du cours de l’or noir. Chacune des cinq majors est bien placée pour en profiter. Passons en revue leurs forces et leurs faiblesses.
Acteur inexistant du marché automobile il y a 10 ans encore, la Chine est devenue le premier exportateur mondial de véhicules, en premier lieu vers l’Indonésie et le Pakistan. L’empire du Milieu vend des véhicules à combustion interne à des prix abordables – quelques milliers d’euros seulement. Il ne s’agit pas de voitures électriques, trop onéreuses pour les marchés émergents, qui ne disposent en outre pas de l’infrastructure nécessaire. Tous ces véhicules ont donc besoin de carburant fossile pour fonctionner.
Au cours des dernières décennies, la demande de pétrole a augmenté en moyenne d’un million à un million et demi de barils par jour chaque année. Cette croissance est entièrement tirée par les marchés émergents tels que l’Indonésie, l’Inde et la Colombie, où les habitants délaissent massivement leurs deux-roues au profit de la voiture. La demande de pétrole pourrait dès lors bientôt progresser de deux millions de barils par jour.
Mix énergétique
Il est probable que la demande de pétrole continuera à croître bien plus longtemps qu’on ne le pense en Occident. L’an dernier, la baisse rapide du pourcentage d’énergies fossiles dans le mix énergétique européen et la rapide hausse des énergies vertes ont été saluées à plusieurs reprises. Ces applaudissements étaient toutefois prématurés : la diminution rapide de l’or noir est surtout une conséquence de la contraction de l’industrie européenne, en 2022 et 2023. En outre, s’il est possible de jouer sur la consommation de pétrole, de gaz naturel et de charbon, les énergies vertes (solaire, éolienne) ne peuvent être stockées et doivent être consommées immédiatement, ce qui explique la hausse de leur part relative dans le bouquet énergétique total.
La demande d’énergie augmentera lorsque nous renouerons avec la croissance. Or, le soleil et le vent ne peuvent générer d’énergie supplémentaire ; la hausse de la demande devra donc entièrement être satisfaite par des combustibles fossiles tels que le gaz naturel, le charbon et le pétrole, ce qui alimente la thèse d’une hausse des prix du pétrole. Si elle se confirme, toutes les grandes compagnies pétrolières en profiteront. Les cinq principaux acteurs mondiaux ne sont cependant pas tous logés à la même enseigne.
BP : décrochage excessif
BP a enregistré de bons résultats en aval, en particulier dans le raffinage et le marketing, avec un cash-flow d’exploitation ajusté (Ebitda) de 1,4 milliard de dollars au deuxième trimestre. La stratégie d’amélioration de l’efficacité et des marges semble porter ses fruits. Dans la division amont en revanche, les résultats sont moins bons que ceux de ses concurrents. L’Ebitda ajusté s’y élève à 4,4 milliards de dollars, mais la production baisse et les coûts augmentent.
Les deux segments sont étroitement liés : le pétrole doit d’abord être extrait avant d’être raffiné. L’exploitation d’une raffinerie est toutefois un processus complexe et toutes les compagnies raffinent régulièrement du pétrole brut provenant de sociétés tierces ; une baisse en amont ne se traduit donc pas immédiatement par une contraction de la production en aval.
Confronté à l’épuisement naturel des champs pétrolifères existants et à des retards dans les nouveaux projets, BP entend avant tout stabiliser, voire augmenter sa capacité de production. Des investissements stratégiques devraient permettre d’optimiser les performances des champs existants et de développer de nouveaux projets dans des régions à fort potentiel. Pour tirer le meilleur profit de la hausse attendue du cours de l’or noir, il est en effet essentiel de produire davantage.
Malgré les interrogations persistantes sur le niveau de production de BP, nous maintenons notre recommandation d’achat, notamment en raison de la récente baisse du cours. Le cash-flow disponible représente aujourd’hui 17 % de la capitalisation boursière. En d’autres termes, la compagnie pétrolière britannique génère suffisamment de liquidités pour que l’investisseur voie son investissement dans le titre remboursé en un peu plus de cinq ans (la moyenne pour les sociétés du S&P 500 se situe à 32).
Chevron : production en hausse
Chevron ne rencontre aucun problème de production. La major américaine a annoncé avoir produit au total 3,05 millions de barils équivalent pétrole par jour au deuxième trimestre, soit 4 % de plus environ qu’un an plus tôt. Cette croissance s’explique notamment par une hausse de la production, tant aux Etats-Unis qu’à l’international.
Chevron continue d’investir dans l’expansion des projets existants et le développement de nouveaux gisements. Cette année, des avancées ont notamment été réalisées dans le développement de projets dans le golfe du Mexique et en Afrique de l’Ouest, qui devraient doper la production dans les années à venir. Nous maintenons donc résolument notre recommandation d’achat pour Chevron.
ExxonMobil : expansion tous azimuts
ExxonMobil ressemble à Chevron, mais les deux sociétés présentent quelques différences cruciales. ExxonMobil se concentre sur le développement de la production en amont – en particulier dans de nouvelles régions émergentes comme la Guyane – et sur les projets de gaz naturel liquéfié (GNL) dans le monde entier. Sa stratégie repose sur de grands projets à long terme qui assureront la croissance de demain.
Chevron adopte en revanche une approche plus prudente, caractérisée par une grande discipline au niveau du capital et une recherche d’optimisation des opérations. Elle continue également à investir dans sa croissance, en particulier dans le Bassin permien et dans des projets de GNL en Australie, mais de manière plus circonspecte. De ce fait, Chevron devance chaque année ExxonMobil dans notre classement des meilleures actions à dividende. Chevron affiche un rendement et une croissance du dividende plus élevés, pour un rapport opportunité/risque beaucoup plus intéressant que celui d’ExxonMobil. Nous adoptons donc un conseil neutre à l’égard d’ExxonMobil.
Shell : champion du GNL
Shell est le plus grand acteur mondial en matière de GNL, pilier de sa stratégie. La demande d’énergie continue de croître rapidement en Asie, en particulier dans les marchés émergents. En Chine, en Inde, au Japon et en Corée du Sud, une part importante des besoins énergétiques est couverte par les importations de GNL. Pour répondre à la demande croissante, les pays asiatiques continuent d’accroître leurs capacités d’importation de GNL. Ce combustible fossile est jugé plus écologique que le charbon et le pétrole, car sa combustion émet moins de CO2, d’oxydes de soufre et d’oxydes d’azote. Le GNL joue donc un rôle important dans la transition énergétique.
Les actionnaires de Shell devraient bénéficier d’un rendement supérieur à 10 % grâce aux rachats d’actions et aux dividendes. Ce chiffre devrait augmenter parallèlement à la hausse des prix de l’énergie. Les deux derniers hivers ont été relativement tempérés ; l’action Shell grimpera en flèche si les températures plongent. Nous recommandons dès lors l’achat du titre.
TotalEnergies : acteur de la transition énergétique
TotalEnergies mise sur la transition énergétique. Parmi les cinq acteurs présentés, il est celui qui affiche les projets les plus ambitieux en matière d’investissement dans les énergies renouvelables, hors GNL. L’entreprise souhaite y consacrer environ 60 milliards de dollars d’ici à 2030, contre 22,5 milliards de dollars, au même horizon, pour Shell. Par rapport à la capitalisation boursière totale (208 milliards de dollars pour Shell, 149 milliards pour TotalEnergies), TotalEnergies investit 40 %, Shell seulement 11 %. En mobilisant autant de fonds, TotalEnergies s’assure un énorme avantage en termes de connaissances par rapport aux autres majors pétrolières.
La valorisation de TotalEnergies est aussi faible que celle de Shell, si bien que l’on peut s’attendre à des rendements annuels supérieurs à 10 % chez le français aussi. Si la transition énergétique passe réellement à la vitesse supérieure, alors que de nombreux gouvernements considèrent 2030 comme un jalon crucial, avant 2050, TotalEnergies pourrait alors surpasser les autres majors en termes de rendement total. Pour lui aussi, notre conseil est positif.
Chevron, notre favori
Compte tenu de la demande croissante de pétrole attendue sur les marchés émergents, Chevron s’impose comme favori de ce panorama. Sa discipline en matière de capital et ses efforts pour accroître sa production de pétrole lui permettront de tirer profit d’une hausse du cours de l’or noir. TotalEnergies, Shell et BP sont dignes d’achat également. Notre recommandation vis-à-vis d’ExxonMobil est en revanche neutre, du fait de l’accent moindre que met l’entreprise sur la discipline en matière de capital.
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