Les gestionnaires de réseaux sous tension
La production d’énergie renouvelable et ses applications font l’objet d’énormément d’attention, mais le réseau physique est souvent négligé. Or s’il n’est pas étoffé, la transition énergétique restera lettre morte. Les gestionnaires de réseaux semblent donc très intéressants. Nous en présentons trois.
Selon les données récoltées par le groupe de réflexion Ember, les énergies éolienne et solaire ont assuré, pour la première fois l’an passé, la plus grande part de la production d’électricité en Europe. Outre-Rhin, le bureau d’analyse AG Energiebilanzen calcule que les énergies renouvelables (éolien, solaire, biomasse et hydroélectricité) ont représenté plus de la moitié de la production d’électricité allemande en 2023. Un succès que n’ont pourtant pas reflété les marchés boursiers.
Ecarts considérables
L’indice Stoxx Europe 600 Utilities a progressé de plus de 9 % en 2023, mais les différences entre les 28 entreprises de services aux collectivités qui le composent sont très marquées. Avec une chute de près de 41 %, la société danoise Ørsted est la plus grande perdante, mais d’autres, comme Encavis (-16 %) ou EDP Renovaveis (-10 %), ont enregistré des résultats médiocres elles aussi. Deutsche Bank et Bank of America Merrill Lynch sont néanmoins un peu plus positives à l’égard d’Ørsted depuis le début de cette année : elles estiment que l’entreprise, qui a acté d’importantes dépréciations sur des projets offshore américains en 2023, n’aura pas besoin d’émettre des actions pour renforcer son bilan.
D’après Deutsche Bank, si la production d’énergie renouvelable et ses applications, comme les véhicules électriques et les pompes à chaleur, font l’objet d’énormément d’attention, le réseau physique est souvent négligé. Or s’il n’est pas étoffé – ce qui exige des investissements colossaux, précise la banque –, la transition énergétique restera lettre morte. La Commission européenne (CE) a annoncé en novembre un plan d’action visant à améliorer et à étendre le réseau d’électricité européen.
La CE s’attend à ce que la consommation dans l’Union européenne augmente de 60 % entre 2023 et 2030 en raison, entre autres, de l’emploi accru des voitures électriques et des pompes à chaleur. L’intensification de la demande d’une électricité qui, de surcroît, doit être de plus en plus durable, impose d’améliorer et d’étoffer le réseau, un effort que la CE évalue à 584 milliards d’euros pour cette seule décennie. De ce montant, 375 à 425 milliards d’euros pourraient être consacrés aux réseaux de distribution (qui acheminent l’électricité vers les ménages et les petites entreprises), dont 40 % sont âgés de 40 ans, voire plus.
Gestionnaires
Il n’est donc pas surprenant que Barclays, Bank of America Merrill Lynch et autre UBS considèrent les gestionnaires de réseaux comme un segment particulièrement intéressant du secteur des services aux collectivités cette année. Les gestionnaires “purs” sont généralement des entreprises stables, à la croissance tranquille, qui présentent un endettement élevé ; en contrepartie, les régulateurs les autorisent à dégager sur ces réseaux – appelés “bases d’actifs régulés” (BAR) – une rentabilité intéressante, souvent assortie de mesures destinées à compenser l’inflation ou les hausses de taux. Plus la base d’actifs régulés augmente, plus le gestionnaire de réseau croît. Très dynamique, la société belge Elia fait figure d’exception, dans ce paysage d’entreprises à la croissance généralement timide.
Conseil n° 1 : E.ON
E.ON exploite un réseau non pas de transport, comme Elia, mais de distribution, qui achemine l’électricité (et le gaz naturel) vers les ménages et les entreprises. La BAR qu’elle gère vaut 36,4 milliards d’euros, ce qui représente 80 % du cash-flow d’exploitation (Ebitda ; près de 5,5 milliards d’euros) enregistré en 2022. E.ON fournit en outre de l’électricité et du gaz naturel à 47 millions de clients en Europe, une activité qui représente 15 % de son Ebitda. Elle prévoit d’investir quelque 26 milliards d’euros dans le réseau entre 2023 et 2027, pour une rentabilité de 7 % à 8 %. Les accords conclus avec les autorités l’autorisent à répercuter les hausses de taux et l’inflation, dont les conséquences sont généralement tangibles avec un décalage d’un ou deux ans. Les conditions exceptionnelles qui entourent le marché de l’énergie ayant permis à E.ON de faire porter la flambée des prix par les utilisateurs finaux, son bénéfice devrait avoir atteint l’an passé entre 1,03 et 1,11 euro par action, un chiffre qui ne sera pas reproductible ces prochaines années. E.ON table sur un bénéfice d’environ 0,97 euro par action en 2027 ; elle n’en a pas moins l’intention d’augmenter son dividende de 5 % par an approximativement au cours des années qui viennent. Elle devrait sans doute payer 0,53 euro par action au titre de 2023, ce qui porterait le rendement en dividende à 4,3 %.
Conseil n°2 : National Grid
Le britannique National Grid gère des réseaux de transport et de distribution réglementés au Royaume-Uni et dans le nord-est des Etats-Unis (valeur : 51,2 milliards de livres sterling). Les 42 milliards de livres d’investissements consentis entre 2022 et 2026 devraient assurer une croissance de 8 % à 10 % par an en moyenne de sa BAR. Soit, après celle d’Elia et de SSE, la croissance la plus rapide des réseaux réglementés au sein du secteur européen des services aux collectivités dans les années qui viennent. L’évolution de la BAR devrait se traduire par une progression de 6 % à 8 % du bénéfice par action durant cette même période.
Comme Elia, National Grid vise une croissance du dividende conforme à l’inflation nationale. Pour le premier semestre de son exercice 2023/2024, elle a porté son acompte sur dividende à 19,40 pence par action (+8,7 %). Comme ils prévoient une compensation des augmentations de taux et de l’inflation, les accords nouvellement conclus avec les régulateurs britanniques (et américains) offrent une bonne visibilité sur la rentabilité de la gestion du réseau pour les années à venir. Les résultats annuels de National Grid, qui seront présentés en mai, pourraient contenir une mise à jour relative aux projets d’investissement et aux prévisions bénéficiaires. L’entreprise est très intéressante, mais son ratio d’endettement est relativement élevé.
Conseil n° 3 : Terna
Des gestionnaires analysés ici, l’italien Terna est le seul à être une pure société de transport. A l’instar d’Elia en Belgique, Terna détient une position monopolistique en Italie ; en revanche, ses projets de croissance sont bien moins ambitieux, d’où une hausse de cours escomptée nettement plus modeste. Plus encore que les autres, son action a un caractère obligataire, que compensent toutefois un dividende extrêmement sûr et un régulateur qui tient compte des investisseurs. Son plan stratégique, qui prévoit pour 9,5 milliards d’euros d’investissements dans le réseau entre 2021 et 2025 (croissance de 7 % en moyenne par rapport aux 16,9 milliards d’euros actés fin 2021), bat son plein. L’augmentation de 0,8 point de pourcentage (0,8 %) de la rentabilité des réseaux d’électricité et de gaz naturel accordée par le régulateur en novembre confirme, selon J.P. Morgan, que l’environnement réglementaire italien est un des plus favorables d’Europe. Les autorités publieront en fin d’année leur prochaine mise à jour au sujet du calcul du rendement accordé aux entreprises de services aux collectivités italiennes.
Conclusion
E.ON, et plus encore National Grid et Terna, ont fait mieux ces trois dernières années que l’indice général des entreprises de services aux collectivités européennes. Le trio offre un dividende alléchant et durable, si bien qu’il est intéressant de l’ajouter à Elia au sein des portefeuilles (défensifs).
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