Les géants du sport sont loin d’afficher une forme olympique

© Getty Images for Adidas

L’été s’annonce sous les meilleurs auspices pour les amateurs de sport, avec une série d’événements prestigieux. Pour leurs sponsors toutefois, l’heure n’est pas vraiment à la fête. Nous dressons le portrait de trois acteurs établis et d’une star montante.

Le coup d’envoi de l’été sportif sera donné le vendredi 14 juin, avec le match d’ouverture de l’Euro 2024, qui opposera l’Allemagne à l’Ecosse. Vingt-quatre équipes s’affronteront dans 10 stades afin de remporter le titre tant convoité de champion d’Europe de football. Ensuite, le ballon rond laissera la place à une multitude de disciplines lors des Jeux olympiques d’été de Paris. Tout semble donc concorder pour que les géants du sport, figurant parmi les sponsors les plus généreux de ce type d’événements, se frottent les mains à la perspective des immanquables ventes supplémentaires.

Et pourtant, l’euphorie est loin d’être de mise chez les grands équipementiers sportifs. Depuis un certain temps déjà, le secteur connaît une profonde mutation, avec un recentrage croissant vers l’ “athleisure”, des vêtements d’allure sportive que l’on peut porter au quotidien, sans nécessairement faire du sport. Cette tendance a assuré une belle croissance aux géants du sport, qui ont devancé l’ensemble du marché pendant de nombreuses années.

Pour promouvoir leur nouveau mix produits, qui associe des vêtements destinés spécifiquement au sport et d’autres conférant simplement une allure plus décontractée, les grands acteurs du secteur ne font plus nécessairement appel à des sportifs. L’allemand Puma a habillé la chanteuse Madonna et nommé la pop star Rihanna directrice de la création pour sa propre collection. Un autre allemand, adidas, a fait un choix similaire, mais l’a regretté : sa collaboration avec Kanye West (qui se fait désormais appeler “Ye”) lui a causé beaucoup de tort, après les propos antisémites du rappeur : la marque s’est retrouvée avec des millions de paires de Yeezys sur les bras, d’une valeur potentielle de 1,3 milliard de dollars, qu’elle a finalement vendues au profit d’associations caritatives.

Si, à cet incident près, le recentrage n’a pas porté préjudice aux géants du sport en général, une contre-tendance a rapidement émergé : un certain nombre de fabricants de vêtements ordinaires, plutôt décontractés, ont décidé de se concentrer de plus en plus sur les vêtements purement sportifs, ciblant une ou plusieurs disciplines. Le segment du luxe n’est pas épargné : même l’allemand Hugo Boss mise désormais pleinement sur le sport de prestige (tennis, golf, équitation…). L’américain Ralph Lauren a poussé encore plus loin la diversification, en proposant aussi des articles pour la maison, le jardin et la cuisine. Ses vêtements sont principalement destinés à un public chic, mais la gamme sportive pure (principalement axée sur le golf) gagne également du terrain.

Nike perd de son éclat

Même après une période difficile, Nike est, de loin, le plus grand acteur du sport, avec une capitalisation boursière dépassant les 140 milliards de dollars et un chiffre d’affaires (CA) estimé à 51,7 milliards de dollars pour 2024. L’an dernier, toutefois, il a réalisé un CA de 51,2 milliards de dollars ; la croissance serait donc d’à peine 1 %. Pourtant, le vivier d’athlètes de haut niveau portant des équipements Nike semble énorme : le groupe sponsorise les plus grands clubs (PSG, Chelsea…) ; l’un des meilleurs footballeurs de la planète, le Portugais Cristiano Ronaldo, joue aux couleurs de Nike, tout comme Tiger Woods, l’un des meilleurs golfeurs de tous les temps. Les Etats-Unis représentent 60 % des ventes du groupe. Nike, qui entend asseoir son positionnement européen, a réussi à signer un contrat de sponsoring avec la fédération allemande de football, jusque-là fidèle à adidas durant 70 ans. Ce contrat, qui court à partir de 2027, s’élèverait à environ 100 millions d’euros par an, soit le double de la valeur de celui signé avec le concurrent allemand.

Pour autant, Nike n’échappe pas au pessimisme dont font preuve les investisseurs à l’égard de l’habillement sportif. Pour produire et vendre au coût le plus bas possible, Nike doit recourir à des travailleurs originaires de pays où les salaires sont bas – des pays qui font peu de cas des considérations relatives à la sécurité, aux droits de l’homme et au travail des enfants. Nike est régulièrement critiqué à cet égard. Par ailleurs, la marque semble peu à peu perdre de son prestige auprès des jeunes. Elle occupe toujours la troisième place du podium sur les sites de vente en ligne, mais sa part de marché est passée de 7 à 6 %, indique le dernier sondage en date. Nike reste toutefois le leader incontesté du segment des chaussures de sport, même si sa part de marché a reculé, de 61 à 59 %. Il en va de même pour les vêtements de sport : la marque est numéro un, mais sa part de marché a diminué, de 35 à 34 %.

Le statut de marque incontournable de Nike commence donc à être contesté. Le CA de la marque à la virgule a peu progressé ces derniers trimestres, si bien que même le numéro un de l’équipement sportif doit veiller à ses coûts et se trouve donc contraint de licencier 2 % de ses effectifs. La marque a aussi souffert de la disparition, dans un accident de voiture, de Kelvin Kiptum, un athlète kenyan pressenti pour réaliser le premier marathon en moins de deux heures.

Pour 2024, le bénéfice par action (BPA) est attendu à 3,70 dollars, soit moins qu’en 2022 (3,84 dollars), et un peu plus qu’en 2023 (3,23 dollars), année marquée par une forte inflation. Le bénéfice peine donc à se redresser après la crise sanitaire. Sur ces trois dernières années, l’action a sous-performé de 52 % le S&P 500 (elle a reculé de 28 % tandis que l’indice progressait de 24 %). Mais malgré ce retard, sa valorisation n’est pas faible, à 25 fois les bénéfices attendus. C’est pourquoi nous maintenons notre conseil neutre, en attendant un redressement du CA et des bénéfices.

adidas se défend

Souvent associé au monde du football, adidas est aussi traditionnellement l’un des principaux sponsors du championnat d’Europe. Outre les nombreux footballeurs, des célébrités comme Pharrell Williams, Katy Perry, Liam Gallagher et Rita Ora portent également les chaussures à trois bandes ; par ces contrats très onéreux, adidas espère dépoussiérer son image et élargir sa cible, alors que les grands sportifs sous contrat (Lionel Messi, notamment) arrivent petit à petit au terme de leur carrière.

L’affaire Yeezy a causé du tort à l’action aussi, qui a plongé de 335 euros à la mi-2021 à moins de 100 euros à la fin de 2022. Björn Gulden, CEO recruté chez Puma, est toutefois parvenu à faire oublier le scandale. Le cours a déjà gagné 46 % sur un an, mais reste 20 % sous son niveau d’il y a trois ans. Depuis 2021, adidas tire un peu mieux son épingle du jeu que Nike. Il faudra probablement attendre 2025 pour que le BPA renoue avec son record de 2021. Le cours anticipant déjà le redressement attendu du CA et des bénéfices, nous n’allons pas au-delà d’un conseil neutre.

Puma n’enthousiasme plus

L’action Puma ne brille guère non plus : depuis le début de l’année, elle s’inscrit dans le rouge. Comme adidas, Puma a habillé les plus grands champions : l’homme le plus rapide de la planète, Usain Bolt, portait des chaussures dorées de cette marque allemande lors de son record du monde. Rihanna a redonné de l’élan à la marque qui avait perdu de son éclat. Toutefois, cet effet semble s’être à nouveau estompé. Le ratio cours/bénéfice est un peu plus raisonnable, à près de 20. Mais même la société mère, Kering (qui compte également en portefeuille les maisons Gucci, Stella McCartney et Yves Saint Laurent), se montre peu enthousiaste. Le titre ne fait plus rêver et mérite donc simplement d’être conservé.

Deckers Outdoor, la nouvelle star

Si les grands acteurs de l’habillement sportif ne peuvent pour l’heure plus se targuer de croissance faramineuse, un petit nouveau le peut : Deckers Outdoor (ticker : DECK). Le cours s’est envolé de 128 % sur 12 mois et de pas moins de 225 % sur 3 ans, soit une surperformance de 200 % par rapport à l’indice S&P 500, qu’il a d’ailleurs intégré. Sa capitalisation boursière dépasse désormais les 27 milliards de dollars.

Le CA de Deckers Outdoor a augmenté de 21 % sur le trimestre écoulé et le BPA, de 51 %, dépassant nettement les attentes des analystes. La marque Hoka, véritablement plébiscitée, représente désormais 55 % du CA du groupe. Ses ventes ont progressé de 34 %. La marque UGG, déjà emblématique, a vu son CA bondir de 15 %, et assure désormais 37 % du CA du groupe. A 35 fois les bénéfices attendus, l’action n’est pas bon marché, mais nous savons qu’un nouveau venu peut connaître une croissance hors norme. Nous l’achèterions après une correction franche.

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