Le marché du traitement des déchets
Les entreprises américaines spécialisées dans le traitement des déchets surclassent l’indice S&P 500 depuis des années. Le secteur présente des caractéristiques à la fois défensives et de croissance, d’où sa valorisation élevée.
La collecte et le traitement des déchets ne sont peut-être pas très sexy, mais les investisseurs auraient tort de les snober. Les trois principales sociétés actives sur le marché américain des déchets – Republic Services, Waste Connections et Waste Management, dont la capitalisation boursière va de 35 à 65 milliards de dollars – battent largement l’indice S&P 500 depuis 10 ans. Leur croissance remarquablement stable et durable incite à s’intéresser à cette activité.
L’évolution des volumes de déchets dépend de trois facteurs: la croissance de la population, l’ouverture d’entreprises et l’installation de ménages. Des sociétés comme Republic Services, Waste Connections et Waste Management concluent des contrats avec les administrations locales, les entreprises, voire parfois les particuliers. Les appels d’offres émis par les administrations locales portent souvent tout à la fois sur la collecte et sur le traitement des déchets ménagers. Ces contrats ont une durée de trois à 10 ans, voire plus; conclus pour l’intégralité de la période, les tarifs sont souvent liés à un indice, d’inflation ou autre.
Résistant aux récessions
Sur le marché, libre, des entreprises et des particuliers, les contrats sont généralement conclus pour un à cinq ans et les prix, négociés avec le client final directement. C’est sur ce marché que les possibilités d’augmentations tarifaires sont les plus marquées. Au premier trimestre, par exemple, Republic Services et Waste Connections ont relevé de 11,7% et 13% respectivement leurs prix dans ce segment, pour 8% “seulement” dans le segment public, au sein duquel les augmentations sont, en raison de la structure même des contrats, appliquées avec un léger retard. Les tarifs étant plus déterminants encore que les volumes, les actions des entreprises du secteur se portent relativement bien quand la conjoncture ralentit. L’activité s’est sortie plutôt haut la main des récessions de 2001/02 et de 2008. Au cours de l’année boursière 2022, difficile s’il en fut, les prix des trois grandes firmes n’ont chuté que de 3-7%, alors que l’indice S&P 500 perdait plus de 19%.
Malgré les consolidations opérées ces dernières années, le marché américain demeure très fragmenté. Les grandes entreprises actives à l’échelon national sont en concurrence avec des acteurs plus petits et même, avec les autorités locales. Des trois grandes, Republic Services et Waste Management (les deux plus importantes) sont celles dont les stratégies sont les plus similaires. Elles se concentrent sur les zones métropolitaines américaines et canadiennes, au sein desquelles elles poursuivent leur mouvement d’”internalisation”, politique qui consiste à traiter autant que possible les déchets dans les décharges et centres de traitement dont elles sont propriétaires. L’an dernier, par exemple, Republic Services a traité près de 70% des déchets collectés dans ses propres installations; cette organisation permet de compresser les coûts et, ajoute Waste Management, de générer davantage de flux de trésorerie d’exploitation. L’intégration verticale au sein des contrats conclus avec les grandes villes est certes lucrative mais la concurrence, y compris sur le plan tarifaire, est plus rude que sur les autres marchés. C’est précisément la raison pour laquelle Waste Connections, légèrement plus petite que ses deux concurrentes, mène une stratégie quelque peu différente: elle se concentre sur des marchés plus restreints et plus ruraux, où elle décroche des contrats d’exclusivité et d’une durée plus longue. Ce qui peut même la dispenser de traiter les déchets dans ses propres déchetteries.
Recyclage
Les trois grandes firmes sont également actives dans le recyclage et, dans le cas de Waste Management et de Waste Connections, dans la production de gaz à partir des déchets traités. Les 200 millions de dollars que Waste Connections investit dans les gaz renouvelables devraient générer 200 millions de dollars de flux de trésorerie d’exploitation (Ebitda) par an à partir de 2026. Waste Management investit cette année 980 millions dans des projets de recyclage et de génération de gaz, un montant qui descendra à 510 millions en 2024. Ces investissements devraient générer pour 265 millions, 600 millions et 740 millions de dollars d’Ebitda supplémentaire en 2024, 2025 et 2026, respectivement. La vente de matériaux recyclés est une activité cyclique, car les prix des matières premières peuvent fluctuer considérablement; mais comme elle ne représente pas plus de 10% du chiffre d’affaires des trois entreprises, son influence est actuellement limitée.
La durée des contrats conclus et la position qu’ils occupent sur les marchés régionaux assurent aux trois principaux acteurs une croissance stable de leur chiffre d’affaires, de leurs bénéfices et de leurs flux de trésorerie disponibles. L’évolution du cash-flow d’exploitation et du cash-flow disponible de Republic Services est exemplaire. Le groupe annonce une augmentation d’environ 8%, à 1,88 milliard de dollars, de son flux de trésorerie disponible corrigé des éléments exceptionnels. Waste Connections prévoit d’enregistrer une hausse de 5% de son flux de trésorerie disponible cette année (1,23 milliard de dollars environ), et Waste Management table sur une progression de 6%, à 2,70 milliards de dollars, de ce même poste. Dans le cas de Waste Management, il convient de déduire de ce chiffre les investissements dans les activités durables.
Les flux de trésorerie disponibles sont affectés aux rachats d’actions, aux paiements des dividendes et aux acquisitions. Cela fait 19 ans que Republic Services et Waste Management augmentent leur dividende, pour 12, dans le cas de Waste Connections. Waste Connections et Republic Services misent sur une politique d’acquisitions, tandis que Waste Management alloue davantage de capitaux aux investissements durables. Les années d’atonie des taux d’intérêt et la séduction opérée par le secteur ont eu deux inconvénients (les seuls): les trois entreprises sont très endettées. Leur ratio d’endettement (rapport entre la dette ajustée en fonction des liquidités et l’Ebitda) est de 3 environ. Le calendrier de remboursement n’est pour l’instant pas préoccupant – c’est en 2025 et en 2026 que leurs engagements sur ce plan augmenteront par rapport à 2023 et 2024. Waste Connections pourrait néanmoins rembourser de façon anticipée 1 milliard de dollars environ sur une dette totale de 7,4 milliards, une option qu’elle pourrait décider de lever si les taux augmentaient (encore).
Pour les horizons longs
La valorisation croissante des trois grands groupes n’est pas favorable au secteur. Les ratios cours/bénéfice (C/B) oscillent entre 27 et 32, pour un rendement en dividende qui plafonne à 0,7-1,6%. Reste qu’au vu de la structure du secteur et de l’importance des flux de trésorerie, les sociétés de gestion des déchets sont intéressantes pour l’investisseur qui dispose d’un horizon de plusieurs années. Nous avouons une légère préférence pour Republic Services et Waste Connections.
Renewi, pendant européen
L’Europe n’a pas d’entreprises de traitement des déchets à part entière, cotées en Bourse et dont l’importance avoisinerait celle de Waste Management, de Republic Services ou de Waste Connections. Bien que Renewi, cotée à Amsterdam et à Londres, soit active dans le même secteur, elle se consacre bien davantage au recyclage et à la vente des produits extraits – près de 21% de son chiffre d’affaires (de 1,89 milliard d’euros) de l’an dernier étaient issus de la vente de matériaux recyclés, pour 3% seulement, dans le cas de Republic Services.
Au cours de son exercice décalé, clos fin mars, Renewi a enregistré une hausse de 1% de son chiffre d’affaires, mais un tassement identique de son bénéfice avant impôt. L’augmentation du taux d’imposition, surtout, a fait reculer le bénéfice net de 8%, à 66,6 millions d’euros, et le bénéfice par action de 14%, à 0,79 euro. Ce qui explique en très grande partie pourquoi le flux de trésorerie disponible a plafonné à 72,9 millions d’euros (-20%). La direction estime néanmoins que la trésorerie va s’améliorer, à telle enseigne qu’elle prévoit de verser un dividende pour l’exercice. Renewi, dont la valorisation est relativement faible (C/B de 7,5 escompté pour 2024), est une sorte d’équivalent intéressant, bien que plus volatil et imparfait, de ses trois grandes sœurs américaines.
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