Investir par vents contraires
Pendant longtemps, le bloc occidental, planté au milieu d’un monde qui ne tournait pas tout à fait rond, a fait preuve d’une très grande stabilité. Mais les choses changent désormais. Nous conseillons par conséquent à l’investisseur de s’orienter vers les actions de valeur : même quand les principaux indices piquent du nez, les investissements de valeur se portent plutôt bien.
Alors que la plupart des maisons de Bourse continuent à cultiver l’optimisme, nous craignons que l’année 2025 ne s’avère difficile. Nous persistons à penser que l’indice S&P 500 a atteint un sommet en décembre ou, si ce n’est fait, qu’il l’atteindra très bientôt.
Quand tout le monde voit les choses en noir, le mot d’ordre est “acheter”. Mais lorsque l’optimisme règne en maître, il faut, pour que les cours continuent à grimper, dénicher une partie qui soit plus enthousiaste encore. Nous en sommes loin nous semble-t-il, même si toutes les banques d’affaires font état de cotations orientées à la hausse. J.P. Morgan, par exemple, a fixé à 6.500 points son objectif de base pour le S&P 500 cette année. Elle était très insatisfaite des 4.200 points pronostiqués pour 2024, mais le responsable de ces prévisions, le stratégiste en chef Marco Kolanovic, a été remercié durant l’été. Bien plus confiante en l’avenir, l’équipe qui lui a succédé prévoit un bénéfice de 270 dollars par action en moyenne pour les entreprises du S&P 500, avec un objectif de 6.500 points d’ici la fin de l’année. Soit un ratio cours/bénéfice escompté de 24.
Quand les vents tournent
A l’issue de sa réunion du mois de décembre, la Federal Reserve s’est montrée très claire : vu l’étonnante ténacité de l’inflation, les réductions de taux d’intérêt seront moins nombreuses que prévu. Une telle nouvelle est rarement bonne pour les actions, d’autant que les prix ne cessent de grimper, un phénomène que la victoire de Donald Trump accentue encore. Un ratio cours/bénéfice escompté de 24 est historiquement très élevé – ne parlons même pas du ratio de Shiller, passé à 38. De nombreux marchés présentent une image légèrement faussée et les obligations d’entreprises sont surévaluées.
Les Sept Fantastiques sont depuis tout un temps l’incarnation de ces valorisations astronomiques. Les grandes entreprises qui parviennent à renforcer leur position sur le marché, au détriment des petites, et qui rachètent en outre leurs concurrentes, ont résolument le vent en poupe. Elle sont difficiles à arrêter mais bien sûr, la perfection a un coût.
Risques géopolitiques
Pendant longtemps, le bloc occidental, planté au milieu d’un monde qui ne tournait pas tout à fait rond, a fait preuve d’une très grande stabilité. Mais les choses changent désormais ; il suffit, pour s’en convaincre, d’observer la piètre performance réalisée l’an passé par le CAC 40, qui contient pourtant plusieurs pépites. En cause : la politique française elle-même. Après sa déroute aux élections européennes, Emmanuel Macron a pris la décision insensée de dissoudre l’Assemblée nationale, à la suite de quoi le pays a eu toutes les peines du monde à se doter d’un gouvernement. Les projets visant à taxer davantage les entreprises ont de surcroît fait fuir les investisseurs.
Avec le pouvoir dont il dispose et sa manie de vouloir s’occuper de tout, Elon Musk est un des plus grands risques auxquels est confrontée la planète. Le soutien qu’il a apporté au parti d’extrême droite AfD lors des élections allemandes ne sera pas sans conséquences, pour son usine Tesla outre-Rhin notamment.
Aussi cynique que soit ce constat, un cessez-le-feu en Ukraine nuirait aux valeurs des entreprises de la défense. Ceci étant, Donald Trump exige de l’Europe qu’elle contribue bien davantage à ce secteur, en lui consacrant non plus 2 % de son budget, mais 5 %, évoque-t-il désormais. L’Europe sort de sa torpeur, certes, mais elle est déjà terriblement endettée. Des choix difficiles, que la population n’appréciera guère, vont s’imposer. Tout ceci contribue à expliquer pourquoi les marchés boursiers seront beaucoup plus volatils cette année que la précédente.
La valeur avant la croissance
Nous conseillons par conséquent à l’investisseur de s’orienter davantage vers les actions de valeur. Même quand les principaux indices piquent du nez, les investissements de valeur se portent plutôt bien. L’indice S&P Healthcare n’a jamais vacillé autant au cours des 50 dernières années qu’il ne trébuche depuis deux ans. Il peut y avoir diverses raisons à cela, comme le choix du nouveau ministre américain de la Santé ; mais on peut aussi simplement se dire que les investisseurs boudent pour l’instant les soins de santé, au profit des grands groupes technologiques.
Les prix élevés des médicaments expliquent en partie pourquoi les valeurs pharmaceutiques américaines sont sous pression. Si pendant un certain temps, les producteurs ont été pointés du doigt pour avoir laissé filer les étiquettes, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Donald Trump lui-même a radicalement changé de cible : il s’en prend dorénavant aux intermédiaires, comme United Health Care. Ces gestionnaires de prestations pharmaceutiques gagnent encore plus d’argent que les grands groupes car au lieu de les répercuter sur les patients, ils empochent une grande partie des remises que leur accordent les laboratoires. Rien à faire, toutefois : la crise sanitaire a démontré l’importance du secteur. Au sein duquel les technologies médicales sont par ailleurs à la traîne.
Un autre secteur digne d’intérêt est celui des matériaux. Des titres comme Linde et Freeport-McMoRan sont en train de devenir des investissements de valeur à part entière. L’indice sectoriel a clos 12 séances d’affilée à la baisse, ce qui est rare, et commence même à faire long. Citons également, dans ce domaine d’activité toujours, l’espagnol Acerinox, qui produit de l’acier inoxydable. Ce groupe est très actif en Amérique, ce qui contribue à expliquer l’attrait exercé par son titre. Il est, là-bas, très protégé, y compris contre les droits de douane que Donald Trump menace d’imposer aux sidérurgistes étrangers. Son action n’aurait pas besoin de grand-chose pour largement surclasser celle de Linde, certes bien plus qualitative, mais qui s’échange à 24 fois les bénéfices, contre 10 fois environ pour celle de la firme espagnole.
Le secteur de l’énergie a considérablement souffert, mais l’on constate que Warren Buffett recommence à s’y positionner : il a acquis des titres Occidental Petroleum, et liquidé les deux tiers de ses actions Apple pour investir près d’un demi-milliard dans l’industrie pétrolière. Le CEO de Berkshire Hathaway est réputé pour son flair, dont il a notamment fait la preuve en 2016, quand il a beaucoup misé sur l’entreprise à la pomme.
Reste évidemment à savoir ce que sera la demande de pétrole en 2025 – les tensions géopolitiques vont-elles faire s’envoler les prix ? L’on peut également se demander si l’économie américaine conservera sa bonne forme. Hormis la Chine, les pays émergents pèsent peu dans la balance, ce que compensent des valorisations attrayantes. Ici, la patience paie : avant 2020, les flux de trésorerie disponible des compagnies pétrolières étaient de 1 % à 2 % en moyenne, contre près de 8 % aujourd’hui pour ExxonMobil, par exemple. Ces groupes ont donc 8 % de liquidités qu’ils peuvent consacrer à des rachats d’actions ou à l’augmentation de leur dividende.
Si la guerre en Ukraine devait prendre fin, la dégringolade initiale des actions du secteur européen de la défense pourrait constituer une belle opportunité d’achat. Quant au secteur technologique, il semble être à l’abri de tout : des titres comme Applied Materials, KLA Corp et Qualcomm ont beau avoir cédé énormément de terrain, leurs perspectives à long terme ne sont pas nécessairement sombres. Rappelons que les portefeuilles d’actions ne peuvent jamais pencher d’un seul et unique côté.
Choisir entre l’Europe et les Etats-Unis
Sur le plan économique, l’Europe n’a guère de raisons de se réjouir. Elle paie son énergie beaucoup plus cher que les Etats-Unis ou la Chine, ce qui, à terme, constituera la principale cause de handicap de son industrie. On se gardera donc d’investir massivement et exclusivement dans le Vieux Continent. Dont les valorisations ont néanmoins l’avantage d’être beaucoup plus faibles que les valorisations américaines, sans que cela ne soit toujours justifié. Certaines actions européennes devraient être très rentables cette année : les entreprises qui les émettent pourraient continuer à aligner d’excellents résultats.
La plupart des entreprises américaines sont soutenues par une économie à la croissance toujours robuste. Mais, nous l’avons dit, cet avantage est contrebalancé par des valorisations souvent très élevées, et par un risque de forte correction si les résultats n’étaient plus au rendez-vous. Le choix entre actions individuelles américaines ou européennes doit toujours être très soigneusement pesé.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici