Panique boursière: les dessous du chaos de la guerre commerciale de Trump

Malgré un contexte incertain, les marchés continuent de nourrir l’espoir d’un revirement de la part de Donald Trump. © AFP via Getty Images

Présenté comme un “Liberation Day”, le 2 avril restera plutôt comme le point de bascule pour des marchés pris de vertige. En enclenchant une guerre commerciale tous azimuts, Donald Trump a plongé les Bourses dans une instabilité inédite. Mais derrière les secousses, certains entrevoient des opportunités.

Au lendemain de la victoire électorale de Donald Trump en novembre, les marchés avaient salué son retour avec enthousiasme. Dans la lignée de son premier mandat, les investisseurs espéraient qu’il avancerait rapidement sur ses promesses de dérégulation et de baisses d’impôts, tout en temporisant sur le front du commerce international. Mais très vite, l’euphorie a laissé place au désenchantement.

Dès le 21 janvier, au lendemain de son investiture, le ton était donné : le président américain brandissait la menace d’une taxe de 25% sur les importations en provenance du Canada et du Mexique. S’ensuivirent plusieurs coups de semonce, ciblant notamment l’acier et le secteur automobile, avant que l’attention ne se cristallise autour du 2 avril. L’instauration de droits de douane dits “réciproques” a provoqué une onde de choc : 20% sur les produits en provenance de l’Union européenne, 34% pour la Chine, 46% pour le Vietnam…

Une escalade brutale qui a pris de court la plupart des observateurs et fait voler en éclats les espoirs d’une politique commerciale pragmatique.

Marché baissier

Sur les places boursières, le réveil fut glacial. D’autant plus que Pékin a rapidement riposté en annonçant des droits de douane de 34% sur les importations américaines. Ce qui a alimenté les craintes d’une guerre commerciale ouverte entre les grandes puissances économiques mondiales.

En l’espace de 48 heures, les principaux indices mondiaux ont décroché d’environ 10%. Certains, comme le Russell 2000 – baromètre des petites capitalisations américaines – ou le Nasdaq, emblème des valeurs technologiques, sont même entrés en marché baissier, accusant des pertes supérieures à 20% par rapport à leurs sommets récents.

En Europe, le retournement a également été net. Après un début d’année exceptionnel, l’un des meilleurs depuis le début du siècle, la plupart des indices ont glissé dans le rouge depuis le 1er janvier.

Carrément fou

Après le choc initial, la nervosité s’est installée. Lundi, une simple rumeur partie de X et évoquant une possible trêve de 90 jours sur les droits de douane a suffi à déclencher un mouvement d’ampleur : en l’espace de 34 minutes, le S&P 500 est passé d’une chute de 4,7% à un gain de 3,3%, regagnant l’équivalent de près de 4.000 milliards de dollars de capitalisation boursière. Un rebond éclair… aussitôt éteint par un démenti de Donald Trump.

Cette volatilité extrême illustre l’état de fébrilité des marchés, confrontés à une envolée des barrières douanières à des niveaux sans précédent depuis près d’un siècle. Et malgré l’intensité des secousses, les investisseurs semblent encore vouloir croire à un scénario d’apaisement.

Mais à mesure que le temps passe, le doute s’installe. Comme le résume avec lucidité Laurent Lamagnère, analyste chez Alphavalue à Paris : “C’est carrément fou, les clients ne savent plus quoi faire, tout le monde est un peu perdu. Ça montre à quel point tout dépend de la décision d’un seul homme.”

Pas de “Fed put”

En période de turbulences, l’un des premiers réflexes des marchés est de se tourner vers la Réserve fédérale (Fed) dans l’espoir d’un Fed put, c’est-à-dire une intervention de la banque centrale américaine visant à calmer la tempête et restaurer la confiance.

Historiquement, les exemples ne manquent pas. En octobre 1987, lors du célèbre lundi noir – la pire séance de l’histoire de Wall Street avec une chute de plus de 20% –, la Fed avait immédiatement réaffirmé sa volonté d’agir “en tant que pourvoyeur de liquidités, afin de soutenir le bon fonctionnement du système économique et financier”. Résultat : un rebond de 15% en deux jours.

Après les attentats du 11 septembre 2001, l’institution avait rapidement abaissé son taux directeur de moitié, passant de 3,5% à 1,75%, tout en inondant le système bancaire de liquidités.

En 2008, face à l’implosion du système financier, la Fed innove avec le lancement de programmes d’assouplissement quantitatif (quantitative easing, QE), injectant plusieurs milliers de milliards de dollars sur les marchés. Cette stratégie finira par porter ses fruits début 2009.

Même réaction en 2020, lorsque la pandémie frappe l’économie mondiale de plein fouet : le taux directeur est ramené à zéro et nouvelle vague de QE.

Mais cette fois, le signal est bien différent. En pleine tourmente boursière, le président de la Fed, Jerome Powell, a jeté un froid : “Il n’est pas évident à ce stade de déterminer quelle sera la trajectoire appropriée de la politique monétaire. Il nous faudra attendre et observer l’évolution de la situation avant d’envisager d’éventuels ajustements.” En d’autres termes, il n’y aura pas de filet de sécurité automatique et les marchés devront s’en sortir seuls (pour l’instant).

Il n’est pas évident à ce stade de déterminer quelle sera la trajectoire appropriée de la politique monétaire. – Jerome Powell

Stagflation

Si la Fed paraît aujourd’hui si apathique, c’est avant tout en raison de l’inflation sous-jacente, toujours tenace. En février, celle-ci a de nouveau accéléré, atteignant 2,8%, bien au-dessus de l’objectif de la Fed. Et la tendance pourrait bien se poursuivre avec les nouveaux droits de douane. “L’inflation devrait repartir à la hausse (les importateurs ayant naturellement tendance à répercuter les droits de douane sur leurs prix de vente, ndlr), tandis que la croissance devrait ralentir”, a ainsi prévenu Jerome Powell.

Une double menace qui fait ressurgir le spectre de la stagflation. Ce scénario, synonyme d’inflation élevée couplée à une croissance anémique, avait empoisonné les années 1970 et constitue un véritable casse-tête pour les banques centrales. Car les leviers habituels deviennent contradictoires : lutter contre l’inflation suppose de relever les taux, mais soutenir la croissance nécessiterait au contraire de les abaisser.

Pour Jamie Dimon, patron de JPMorgan Chase, le risque de stagflation est aujourd’hui réel, les économistes de la première banque américaine ayant même revu à la hausse la probabilité d’une récession aux États-Unis, aujourd’hui évaluée à 60%.

Impact direct et indirect

Cela peut surprendre, alors qu’il y a peu, il était encore question d’exceptionnalisme américain pour qualifier la résilience de l’économie locale, parvenue à encaisser sans vaciller la guerre en Ukraine, l’inflation galopante et les récents chocs successifs.

Mais cette dynamique pourrait être remise en cause. D’un côté, les droits de douane exercent une pression directe sur les prix et affectent les secteurs exportateurs, vulnérables aux mesures de rétorsion. De l’autre, ils fragilisent l’un des piliers de l’économie américaine : Wall Street.

Selon les données compilées par Moody’s Analytics, la progression de la consommation a été portée, dans une large mesure, par les 10% des ménages les plus aisés, dont la part dans les dépenses totales est passée de 44% en 2019 à près de 50% en 2024. Ce comportement dépensier s’explique avant tout par un fort effet de richesse. D’après une étude de l’Institute for New Economic Thinking, ces ménages ont bénéficié d’une accumulation patrimoniale quasi inédite entre 2020 et 2023, leur permettant de continuer à consommer malgré l’érosion de leurs revenus réels sous l’effet de l’inflation.

Mises en garde

Avec la chute brutale de Wall Street, cet effet de richesse s’évapore, obscurcissant nettement les perspectives. “La plupart des CEO avec qui je m’entretiens estiment que nous sommes probablement déjà en récession”, a même déclaré en début de semaine Larry Fink, CEO de BlackRock, premier gestionnaire d’actifs au monde. Selon lui, un nouveau recul des Bourses de l’ordre de 20% ne serait pas à exclure.
Malgré ce contexte incertain, les marchés continuent de nourrir l’espoir d’un revirement de la part de Donald Trump. Plusieurs figures proches du président ont d’ailleurs récemment plaidé pour un assouplissement des mesures.

La plupart des CEO avec qui je m’entretiens estiment que nous sommes probablement déjà en récession. – Larry Fink

Ted Cruz, sénateur républicain du Texas, a ainsi mis en garde contre les conséquences économiques de ces mesures, évoquant même un “bain de sang” électoral pour les Républicains lors des élections de mi-mandat en 2026. Selon les dernières données compilées par Real Clear Politics, la gestion de l’économie et de l’inflation par Donald Trump suscitait déjà une défiance marquée, avec respectivement 53% et 55% d’opinions défavorables avant même l’annonce des nouveaux droits de douane.

Elon Musk, conseiller de la Maison Blanche, a plaidé pour une zone de libre-échange sans droits de douane entre l’Europe et les États-Unis. De son côté, le milliardaire Bill Ackman, gérant de hedge fund et soutien affiché de Trump depuis 2016, a qualifié ces mesures douanières “d’erreur”.

Plus largement, tous les hommes d’affaires et grands patrons (Google, Meta, OpenAI, Apple, Ford, Toyota…) ayant versé un million de dollars pour participer à l’investiture de Donald Trump ou cinq millions de dollars pour un dîner en tête-à-tête à Mar-a-Lago doivent se sentir floués et essaient sans doute d’infléchir la position du président américain.

Négociations commerciales

Un autre élément nourrit l’espoir d’un assouplissement rapide de la politique commerciale : la volonté de nombreux pays de négocier. Taïwan a annoncé des mesures pour encourager les investissements des entreprises taïwanaises aux États-Unis afin d’ouvrir le dialogue. Le Vietnam, de son côté, envisage de troquer une révision des droits de douane en échange d’une hausse de ses importations de produits américains (défense, sécurité, aviation…). Quant à l’Union européenne, elle propose une suppression réciproque et totale des droits de douane sur les biens industriels.

Un élément nourrit l’espoir d’un assouplissement rapide de la politique commerciale américaine : la volonté de nombreux pays de négocier.

Si ces ouvertures diplomatiques débouchent sur un apaisement des tensions commerciales, de nombreuses opportunités d’investissement pourraient émerger. En particulier dans les segments récemment malmenés, à commencer par les poids lourds de la tech américaine – Apple, Nvidia, Microsoft ou Amazon – durement touchés par les incertitudes actuelles.

Épinglons également des secteurs très exposés au commerce international comme des équipementiers sportifs tels que Nike, Adidas ou Puma, ainsi que le secteur des semi-conducteurs (TSMC, ASML, AMD…).

À plus long terme, le secteur du luxe, dont de grands noms comme LVMH, pourrait parvenir à conjuguer croissance durable et rentabilité élevée. © AFP via Getty Images

Valeurs de qualité

Même en l’absence d’un allègement rapide des droits de douane, les marchés restent riches en opportunités à long terme, estime Larry Fink – malgré le risque d’importantes turbulences au cours des prochains mois.

Parmi les valeurs de qualité à surveiller, le secteur du luxe conserve tout son attrait, malgré un horizon à court terme assombri par le moral en berne de deux de ses piliers : le consommateur américain et son homologue chinois. Mais dans une perspective de long terme, les grands noms comme LVMH, Hermès ou Richemont ont toujours su conjuguer croissance durable et rentabilité élevée, quelles que soient les secousses conjoncturelles.

Autre secteur à suivre : la biopharma, pénalisée ces derniers mois par la crainte de droits de douane ciblés. Des entreprises innovantes telles que Novo Nordisk ou UCB s’échangent désormais à des niveaux de valorisation jugés attractifs, offrant ainsi un point d’entrée intéressant pour les investisseurs patients.

Enfin, le secteur des produits de consommation héberge aussi quelques actions de qualité récemment matraquées, comme Lotus Bakeries du côté belge.

Une couverture efficace

C’est, bien sûr, un pari à long terme. Mais dans l’intervalle, vous cherchez peut-être à consolider votre portefeuille, notamment s’il est déjà bien exposé aux actions. Dans le contexte actuel, les seules véritables alternatives semblent être les obligations souveraines. Même l’or, pourtant traditionnel refuge en période de tension, n’a pas échappé à la vague de ventes, cédant plus de 5% (en euros) en trois séances.

Dans cette optique, un fonds indiciel comme le Xtrackers Eurozone Government Bond 15-30 (ISIN : LU0290357507) permet de se positionner sur un scénario de récession ou de nouvelles secousses boursières. Cet ETF investit dans des obligations d’États de la zone euro à longue échéance (15 à 30 ans), plus sensibles aux variations de marché – un atout en cas de baisse prolongée des taux.

Pour les investisseurs plus prudents, le Xtrackers II Eurozone Government Bond 3-5 (ISIN : LU0290356954) offre une exposition à des obligations de maturité plus courte (3 à 5 ans). Moins volatil, il présente des perspectives de plus-value limitées, mais peut jouer un rôle de protection rémunérée, avec un rendement moyen autour de 2,40%.

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