2024, l’année où les taux vont baisser
Dans un contexte géopolitique pour le moins bouleversé, prédire l’avenir est un exercice périlleux. Toutefois, l’évolution récente de l’inflation augure une baisse des taux de part et d’autre de l’Atlantique. L’optimisme sans borne des marchés à cet égard est cependant à nuancer.
La rhétorique belliqueuse en Israël, la guerre qui s’éternise en Ukraine et le spectre d’un conflit à Taïwan compliquent grandement les prévisions sur la trajectoire future des actions, des obligations, des devises et, surtout, des taux d’intérêt. Les deux guerres, sur des territoires assez proches, risquent de s’étendre. Les pays occidentaux ont déjà déployé beaucoup de ressources militaires pour aider l’Ukraine, devenant ainsi une cible potentielle pour des représailles russes.
La menace inflationniste persiste
A première vue, l’on pourrait penser qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter tant que le conflit ne gagne pas l’Europe occidentale. Toutefois, l’histoire récente a montré que les tensions font immédiatement bondir les cours de l’énergie, et ceux des matières premières. Ainsi, le coût du transport maritime en mer Rouge est passé de 900 à 1.600 dollars la tonne en un mois, du fait des attaques de pirates prétendant défendre la cause palestinienne (mais qui, de fait, ont trouvé un nouveau prétexte pour demander une rançon). Ces coûts supplémentaires augmentent le prix de nombreuses marchandises, accroissant la pression inflationniste. Or, c’est précisément cette conjoncture qui est à l’origine des dernières hausses de taux d’intérêt.
Fin des tours de vis
Face à une inflation bien trop élevée, les gendarmes monétaires n’ont eu d’autre choix que de relever fortement les taux d’intérêt ces derniers mois. Aux Etats-Unis, le taux directeur est passé de 1 % début 2022 à 5,50 % aujourd’hui ; il n’avait jamais été si élevé depuis 22 ans. L’inflation a rapidement reflué, de 6,4 % début 2023 à 3,14 % aujourd’hui ; la banque centrale américaine (Fed) estime toujours que c’est trop, et vise 2 %. Doit-on s’attendre à de nouveaux tours de vis ? Pas forcément, car ces derniers ne produisent leur effet sur l’économie qu’après six à 12 mois seulement ; l’incidence des dernières hausses de taux, fin juillet 2023, n’est pas encore totalement perceptible.
Le président de la Fed, Jerome Powell, semble également adopter un ton un peu moins dur. D’une manière générale, les faucons prônent une hausse des taux afin de maintenir l’inflation sous contrôle, même au détriment de la croissance économique, de la consommation et de l’emploi. Or, les projections publiées le 13 décembre montrent qu’aucun gouverneur ne table sur un tour de vis cette année ; une majorité se prononce même en faveur d’une baisse de 75 points de base au moins en 2024, peut-être dès le premier semestre, car l’inflation sous-jacente s’établit à 2,4 % en glissement trimestriel. La Fed estime possible un retour à l’objectif.
Premier assouplissement
Autre élément important, la forte hausse des rendements obligataires bridera la croissance au cours des prochains trimestres. Heureusement pour l’économie américaine, les taux d’intérêt à long terme refluent sensiblement depuis novembre dernier, mais tous les effets des précédents tours de vis ne se ressentent pas encore. Jerome Powell veut éviter tout excès, dans un sens ou dans l’autre. En décembre dernier, il a toutefois indiqué que si l’inflation devait chuter plus fortement que la Fed ne l’anticipe actuellement, l’assouplissement monétaire pourrait être plus rapide. De nouvelles hausses de taux semblent exclues, et les gouverneurs semblent viser un taux directeur de 4,6 % pour fin 2024.
La BCE emboîte le pas à la Fed
Dans la zone euro aussi, les hausses de taux ont porté leurs fruits. En Allemagne, l’inflation est passée de 8,65 % début janvier à 3,17 % aujourd’hui. Elle reflue en Belgique également. Le taux des obligations allemandes à 10 ans, référence dans l’Union économique et monétaire (UEM), a diminué de 7 points de base, à 1,90 %, son plus bas niveau depuis un an. Les taux longs ont amorcé un repli chez nous aussi : l’obligation linéaire belge (OLO) sans risque à 10 ans rapportait 3,62 % en octobre 2023, mais un point de pourcentage de moins aujourd’hui.
Selon UBS, le marché anticipe de nouvelles baisses de taux, ce qui dope les obligations. Les taux ont probablement culminé, et le recul de l’inflation en Europe ainsi que le changement de ton des banques centrales devraient entraîner une nette baisse des coûts d’emprunt en 2024. La Banque centrale européenne (BCE) pourrait bien faire le premier pas en mars : sauf changement conjoncturel majeur, le taux directeur pourrait baisser de quelque 165 points de base, ce qui le porterait autour de 3 % fin 2024, contre 4,50 % aujourd’hui. Les plus optimistes tablent même sur une baisse de 175 points de base, de part et d’autre de l’Atlantique ; en décembre, les taux s’élèveraient alors à 2,25 % dans la zone euro et à 3,75 % aux Etats-Unis.
Bien sûr, les taux varient fortement dans les Etats membres de l’Union européenne (UE) ; toutefois, le spread entre les taux italien et allemand à 10 ans n’est actuellement que de 154,1 points de base, son plus bas niveau depuis juin. Ce faible écart témoigne de la confiance des investisseurs dans les pays les plus endettés de l’UEM. Le rebond (peut-être excessif) des obligations, ces dernières semaines, a surtout profité aux pays les plus risqués de l’UE ; sur un mois, le taux italien à 10 ans n’avait jamais autant reculé depuis 2013.
Pour Pierre Wunsch (photo), le gouverneur de la Banque nationale de Belgique (BNB), il convient toutefois de rester sur ses gardes : après quatre années d’inflation supérieure à 2 %, l’évolution est favorable, mais il ne faut pas crier victoire trop tôt. Or, les marchés ont souvent tendance à exagérer : leurs estimations actuelles d’une baisse de 150 points de base et d’un premier assouplissement en mars sont trop optimistes, selon lui. La BNB table certes sur une reprise en 2024, et une nouvelle baisse de l’inflation, mais juge que les charges salariales ne diminuent pas encore suffisamment.
La prudence est également de mise à la BCE, et à la banque centrale autrichienne : tant Christine Lagarde que Robert Holzmann se sont fixé pour mission de tempérer les attentes exagérées concernant les baisses des taux d’intérêt en 2024.
Un resserrement au Japon ?
Le pays du Soleil levant connaît une situation totalement différente de celle de l’Occident. Kazuo Ueda, le gouverneur de la Banque du Japon (BoJ), a ouvert la voie à un durcissement de sa politique monétaire à partir de 2024. La BoJ était la dernière grande banque centrale à maintenir les taux négatifs, mais a récemment indiqué vouloir mettre un terme à cette politique, pour la première fois depuis 2007. Jusqu’à la fin de l’an dernier, les marchés tablaient sur un maintien de la politique actuelle, malgré une inflation sensible depuis un certain temps déjà. La hausse des prix atteint toutefois 3,3 %, ce qui incite la BoJ à agir. Ce changement de cap n’est pas dépourvu de risques. Un relèvement des taux au Japon s’accompagnera d’une nette appréciation du yen par rapport à la plupart des monnaies de ses principaux partenaires commerciaux. Sur le marché des changes, les opérateurs anticipent déjà ce scénario. Fin 2023, la monnaie nippone a, face au dollar, connu une progression inédite depuis près d’un an.
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