Le mastodonte américain de l’intelligence artificielle Nvidia poursuit son expansion mondiale avec une série d’investissements massifs qui redéfinissent le paysage technologique européen et américain.
De 1 000 milliards de dollars en 2023 à 4 280 milliards aujourd’hui : la capitalisation de Nvidia a plus que quadruplé en deux ans. Cette manne financière pose un défi classique de gestion : comment déployer efficacement ces ressources sans diluer la rentabilité ? Jensen Huang l’a joué fine et surtout pragmatique. Plutôt que de céder à la tentation des acquisitions géantes il multiplie les participations minoritaires et noue des alliances stratégiques, s’imposant ainsi comme le chef d’orchestre incontournable de la révolution IA sans pour autant prendre de risque démesuré.
Intel
L’annonce qui a fait sensation cette semaine reste l’investissement spectaculaire de 5 milliards de dollars de Nvidia dans Intel, son rival historique dans les semi-conducteurs. Cette opération stratégique, négociée au prix de 23,28 dollars par action, a provoqué une véritable onde de choc sur les marchés financiers.
L’impact boursier a été immédiat : l’action Intel a bondi de 22% en séance, marquant sa meilleure performance depuis près de 38 ans. Cette progression exceptionnelle témoigne de l’enthousiasme des investisseurs face à cette alliance inattendue entre les deux géants américains des puces électroniques.
Selon les analystes, Nvidia deviendra ainsi l’un des principaux actionnaires d’Intel, détenant probablement 4% ou plus de la société après l’émission de nouvelles actions pour finaliser l’opération. Cette prise de participation s’inscrit dans une stratégie de consolidation du secteur face à la demande explosive en semiconducteurs pour l’intelligence artificielle.
L’offensive britannique : 15 milliards pour dominer l’Europe
Parallèlement, Nvidia a dévoilé son investissement de 15 milliards de dollars au Royaume-Uni, en partenariat avec Nscale et CoreWeave, afin de déployer 120 000 de ses puces Blackwell. Cette initiative représente un investissement pouvant atteindre 11 milliards de livres sterling, marquant le plus grand déploiement de ce type dans l’histoire du Royaume-Uni. Et le calendrier est ambitieux : jusqu’à 120 000 des derniers GPU Blackwell Ultra de Nvidia seront déployés à travers le Royaume-Uni d’ici la fin de 2026. Jensen Huang, PDG de Nvidia, a même exprimé sa volonté de faire du pays « un producteur » majeur dans l’écosystème mondial de l’IA.
Cette stratégie s’inscrit dans un mouvement plus large des géants technologiques américains vers l’Europe. Microsoft, Nvidia et Google misent collectivement plus de 40 milliards au Royaume-Uni, faisant de ce pays un laboratoire privilégié pour l’innovation en intelligence artificielle.
Dans la foulée on apprenait également que Nvidia avait dépensé, selon CNBC, plus de 900 millions de dollars pour recruter Rochan Sankar, PDG de la start-up de matériel d’intelligence artificielle Enfabrica, ainsi qu’une partie de son équipe, et pour obtenir une licence sur la technologie de l’entreprise.
Une stratégie d’expansion calculée
Cette vague d’investissements révèle une stratégie bien orchestrée de Nvidia pour consolider sa position dominante sur le marché mondial de l’IA. Plutôt que de procéder à des acquisitions massives, le groupe privilégie les alliances stratégiques et les prises de participation ciblées. Le contexte macroéconomique favorable aux valeurs technologiques amplifie cette dynamique. Les marchés américains continuent d’afficher des performances robustes, le S&P 500 et le Russell 2000 atteignant de nouveaux sommets historiques, soutenus par l’optimisme autour de l’intelligence artificielle et les perspectives d’assouplissement monétaire de la Fed.
Défis géopolitiques et concurrence émergente
Cependant, l’expansion de Nvidia ne se fait pas sans obstacles. Les tensions géopolitiques avec la Chine contraignent le groupe à adapter sa stratégie produit. L’interdiction du H20 a contraint Nvidia à déprécier 5,5 milliards de dollars de stocks, et Jensen Huang a récemment révélé que l’entreprise avait également dû renoncer à 15 milliards de dollars de chiffre d’affaires en raison des restrictions d’exportation américaines. Parallèlement, de nouveaux acteurs émergent sur le marché européen de l’IA. La startup britannique Nscale, partenaire privilégié de Nvidia au Royaume-Uni, illustre cette dynamique d’innovation locale soutenue par les investissements américains.
Et si OpenAI et d’autres acteurs comme Anthropic et DeepSeek ont lancé la frénésie du « ordinateur qui parle », cela n’empêche pas que le cœur du business reste le hardware qui se trouve derrière. En clair, si Nvidia parvient à conserver sa position de leader, le groupe pourrait bientôt disposer de toujours plus de liquidités à investir. Un problème de riche en somme.
La stratégie d’emploi des capitaux : vers les “AI Factories”
Mais que compte faire Nvidia de ces milliards investis ? La réponse se trouve dans sa vision révolutionnaire des “AI Factories” – les usines d’IA, un concept qui redéfinit l’infrastructure numérique mondiale. Contrairement aux datacenters traditionnels, ces installations sont spécifiquement conçues pour la création et le déploiement de modèles d’intelligence artificielle à grande échelle.
Selon Bank of America, les dépenses totales d’investissement en IA devraient atteindre 414 milliards de dollars en 2025, soit une augmentation de 44% par rapport à l’année dernière. Nvidia entend capter une part significative de cette manne en développant une infrastructure complète, de la puce aux logiciels, en passant par l’optimisation énergétique.
Le défi énergétique constitue d’ailleurs un enjeu central de cette stratégie. “Chaque datacenter du futur sera limité par sa consommation électrique, et vos revenus seront limités si votre puissance l’est”, souligne Wade Vinson, responsable des datacenters chez Nvidia. Cette contrainte pousse l’entreprise à investir massivement dans l’efficacité énergétique de ses puces et infrastructures.
Diversification sectorielle : l’automobile en ligne de mire
Au-delà des datacenters, Nvidia déploie ses capitaux dans des secteurs émergents. L’automobile représente un axe stratégique majeur : après avoir conclu des partenariats avec Toyota, GM, Aurora, Continental, Gatik et Torc en 2025, le chiffre d’affaires automobile devrait bondir de 1,7 milliard de dollars en 2025 à 5 milliards de dollars en 2026. La roadmap technologique témoigne également de cette approche d’investissement soutenu en R&D. Alors que les GPU Blackwell commencent tout juste à être livrés, Nvidia annonce déjà le Blackwell Ultra B300 pour mi-2025, offrant 50% de performances supplémentaires, illustrant un cycle d’innovation accéléré financé par ces investissements massifs.
Vision à long terme : un marché de plusieurs trillions
Jensen Huang table sur un marché de l’IA à “plusieurs trillions de dollars d’ici 2030”, avec des investissements dans les infrastructures IA qui devraient se chiffrer entre 3 000 et 4 000 milliards de dollars d’ici la fin de la décennie. Pour justifier ces investissements colossaux, le groupe argue qu’il ne multiplie pas les acquisitions, mais tisse un réseau d’alliances stratégiques pour consolider son écosystème et garder son avance technologique. Dans un contexte géopolitique tendu, où la souveraineté numérique devient un enjeu majeur, le contrôle des capacités de calcul s’affirme comme un atout décisif.