Le tourisme passe au luxe
Alors que le tourisme de masse plafonne après la reprise post-covid, les perspectives demeurent au beau fixe pour les acteurs des voyages haut de gamme. Sur quelles entreprises miser pour en profiter ?
Très en vue après la fin des mesures covid, le secteur du tourisme marque le pas ces derniers temps. L’espoir d’une solide croissance structurelle s’est heurté au ralentissement de l’économie chinoise et à un contexte géopolitique tendu. L’Organisation mondiale du tourisme (OMT) a dénombré 1,3 milliard d’arrivées internationales en 2023, 88% du niveau de 2019.
Normalisation sans croissance
Pour cette année, l’organisation table sur une nouvelle croissance du tourisme mondial, mais essentiellement grâce à un mouvement de rattrapage. Alors que les dernières restrictions liées au covid ont été levées l’année dernière, le nombre de touristes internationaux devrait en effet plafonner 3% sous le niveau de 2019.
Des perspectives qui semblent confirmer que la pandémie, les tensions géopolitiques, les préoccupations environnementales ou encore la numérisation en matière de tourisme d’affaires (visioconférences…) ont marqué un coup d’arrêt à la croissance du tourisme international de masse. Au cours des 10 années ayant précédé le covid, le nombre d’arrivées internationales augmentait en moyenne de 5% par an.
Sur cette base, le nombre de touristes aurait atteint près de 1,9 milliard en 2024, 32% de plus que ce que prévoit l’OMT actuellement. Un coup d’arrêt que l’on peut observer pour toutes les destinations à l’exception du Moyen-Orient.
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Part du PIB en hausse
Financièrement, la croissance est pourtant bel et bien au rendez-vous. L’OMT évalue ainsi que les recettes du tourisme international ont atteint 1.504 milliards de dollars en 2023, dépassant le niveau de 2019. Même en tenant compte de l’inflation, les recettes de 2023 sont quasiment comparables à 2019 (97%). Idem au niveau de l’impact économique du tourisme. La part du secteur dans le PIB mondial est ainsi revenue à 3,3% l’année dernière, comme en 2019.
Autant dire qu’avec le rattrapage attendu cette année, le secteur du tourisme devrait confirmer son profil de croissance supérieure à la moyenne de l’économie malgré la stagnation des arrivées internationales sur cinq ans. Cette différence peut évidemment s’expliquer par les hausses de prix (sur fond de pressions salariales) et par le tourisme interne, mais pas seulement. L’écart (grandissant) entre nombre d’arrivées et revenus est aussi lié au développement du tourisme de luxe. Un segment que McKinsey définit comme les voyageurs dépensant au moins 500 dollars par nuit pour leur hébergement.
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De plus en plus d’adeptes
Selon un récent rapport du cabinet de conseil, “la demande de tourisme et d’hôtellerie de luxe devrait croître plus rapidement que n’importe quel autre segment” grâce notamment à une clientèle de plus en plus importante. “Cette croissance est en partie alimentée par une forte augmentation du nombre de personnes dont le patrimoine net est compris entre 1 et 30 millions de dollars”, la clientèle traditionnelle des voyages de luxe. “Mais elle résulte également d’une base importante et croissante d’aspirants touristes de luxe disposant d’un patrimoine net compris entre 100.000 et 1 million de dollars, dont beaucoup sont plus jeunes et de plus en plus disposés à consacrer une part plus importante de leur fortune à des options de voyage haut de gamme.”
Ce second type de clients a dépensé au total 84 milliards en frais d’hébergement en 2023, 35% du total pour le tourisme de luxe (239 milliards de dollars). Au total, McKinsey évalue que le secteur de l’hôtellerie de luxe devrait croître de 10% par an pour atteindre 391 milliards de dollars en 2028. Ce qui offre des opportunités, d’autant plus que les clients aspirants se fient tout particulièrement aux grandes marques.
Le secteur de l’hôtellerie de luxe devrait croître de 10% par an pour atteindre 391 milliards de dollars en 2028.
Ce marché attire ainsi tant les groupes hôteliers traditionnels que les acteurs du luxe comme Bulgari qui a annoncé l’ouverture d’une douzaine d’hôtels dans des destinations aussi variées que Rome, Bodrum, Miami ou Bali en partenariat avec le géant Marriott. Elle ou Louboutin ont également des projets hôteliers.
Outre l’hôtellerie, le développement du tourisme de luxe offre aussi d’autres opportunités. Selon une enquête de McKinsey, ce segment de marché est notamment bien plus favorable aux croisières et aux vacances en mer (voile, yachts).
Ces tendances se reflètent d’ailleurs dans l’actualité du secteur. Alors que Lufthansa a émis un avertissement sur résultats, le croisiériste Carnival a déjà relevé ses prévisions à deux reprises cette année.
Les croisières séduisent
Le segment des croisières constitue ainsi un des meilleurs moyens de miser sur le développement du tourisme de luxe. Complètement délaissé durant la pandémie, il affiche aujourd’hui des perspectives très favorables.
Carnival a enregistré des versements de clients de 8,3 milliards de dollars au cours du deuxième trimestre de son exercice, pulvérisant son précédent record de 1,1 milliard. Outre des résultats et prévisions supérieurs aux attentes pour 2024, son CEO, Josh Weinstein, a également indiqué que les premières réservations pour 2025 étaient aussi très favorables tant en volumes qu’en prix. Cette amélioration des résultats peut permettre à Carnival de sortir du piège des dettes héritées de la pandémie. A la fin du premier trimestre 2023, l’ardoise atteignait 35,1 milliards de dollars. Depuis, le croisiériste anglo-américain a remboursé (anticipativement) près de 6 milliards de crédits. Fin 2023, S&P avait déjà relevé son rating de deux crans (de B à BB-), contribuant à alléger le fardeau.
Ce levier financier pourrait booster le potentiel de l’action alors que Carnival vaut aujourd’hui 40% de moins que Royal Carribean en Bourse malgré des revenus bien supérieurs (21,6 milliards vs 13,9 milliards en 2023). Coté en Bourses de Londres et de New York (ticker CCL), Carnival s’échange aujourd’hui à moins de 16 fois les bénéfices prévus pour 2024 (1,18 dollar par action), une valorisation raisonnable au vu du potentiel de hausse des bénéfices.
Une autre option possible est Viking (Cruises), récemment entré en Bourse de New York sous le ticker VIK. L’opérateur basé en Suisse est davantage spécialisé dans les croisières de luxe (avec des navires accueillant moins de passagers) et d’aventure (notamment en Antarctique). Le titre présente une valorisation assez tendue de 26 fois les bénéfices prévus, ce qui s’explique essentiellement par la forte croissance et le développement rapide de la flotte.
Hôtels de luxe
Du côté des groupes hôteliers, le mieux positionné est Hyatt (Bourse de New York, ticker H), spécialiste des enseignes de luxe dans les lieux touristiques. Le groupe connaît de plus une croissance rapide avec une hausse de 73% des chambres de son réseau (essentiellement en franchise) et de 95% de ses revenus entre 2017 et 2023. Le titre est toutefois assez chèrement valorisé à 38 fois les bénéfices prévus pour 2024.
Hilton Worldwide (ticker HLT sur la Bourse de New York) a également des atouts. D’une part, le géant américain est largement actif dans le haut de gamme – à l’exception notable de Hampton (28% des revenus). D’autre part, Hilton nourrit d’importants projets de croissance. Selon Morningstar, il représente 5% des chambres d’hôtels en activité dans le monde (exploitées en propre ou en franchise) et 21% des chambres en construction. Le titre est toutefois assez cher à 30 fois les bénéfices prévus pour 2024.
Le géant français Accor présente une valorisation bien plus abordable à 17 fois les bénéfices. Actuellement, il demeure très dépendant du bas et milieu de gamme (58% de ses revenus 2023), mais il développe rapidement son segment luxe et lifestyle (Sofitel, Fairmont, Hyde, Mondrian, etc.) comme l’illustre la croissance de 32% enregistrée l’année dernière. Plus récemment, Accor s’est allié à LVMH pour redynamiser Orient Express et négocierait le rachat de la marque d’hôtels de luxe Habitas.
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Vacances à la montagne
Dans le segment des vacances d’hiver, l’acteur incontournable est Compagnie des Alpes (Euronext Paris, ticker CDA). Le groupe français est le numéro un mondial des domaines skiables grâce à ses 10 sites de premier ordre dans les Alpes françaises. Combiné au pôle Distribution & Hospitality (hébergement et services), les vacances à la montagne représentaient 53% des revenus du groupe durant son exercice 2022-2023 – le solde provenant de l’exploitation de parcs de loisirs.
Cette part devrait encore augmenter alors que les domaines skiables ont enregistré une croissance de 14% au cours du premier semestre de son exercice 2023-2024. En termes de valorisation, le titre est très bon marché à 7,6 fois les bénéfices réalisés en 2022-2023 et avec un rendement de dividende brut de 6,7%.
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