Le fonds de placement le plus cher n’est pas souvent le meilleur

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Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

La FSMA, notre gendarme des marchés, a réalisé une étude sur les frais des fonds de placements et leur performance. Et ses résultats sont surprenants.

Cela fait déjà un petit moment que les autorités européen­nes se préoccupent du niveau de frais qui peut sérieusement grever le rendement des produits financiers. Voici un peu plus d’un an, en mai 2023, la Commission européenne a adopté un paquet de mesu­res, baptisé dans le jargon Retail Investment Strategy Package, qui vise à protéger le petit investisseur. “L’objectif est de donner aux investisseurs de détail (c’est-à-dire les investisseurs consommateurs) les moyens de prendre des décisions d’investissement en adéquation avec leurs besoins et leurs préférences, tout en veillant à ce qu’ils soient traités équitablement et dûment protégés”, explique la Commission.

“Value for money”

Une des conséquences de cette réglementation est d’améliorer l’information des épargnants afin de leur permettre de prendre de meilleures décisions d’investissement. Et c’est pourquoi, par exem­ple, on parle de plus en plus de la value for the money d’un produit d’épargne.

Value for money, si on voulait traduire ça en français, ça devrait être quelque chose qui ne serait pas loin du concept de retour sur investissement ou du rapport qualité-prix”, explique Jean-Paul Servais, qui pré­side la FSMA, le gendarme belge des marchés. Dans le cas des sicav et des fonds, c’est aux producteurs et aux distributeurs d’un fonds de démontrer que les produits qui sont proposés à des investisseurs non sophistiqués offrent une value for money suffisante. Il faut pouvoir expliquer que la hauteur des frais est appréciée en fonction des perspectives de rendement espéré.” C’est pour cela d’ailleurs que la FSMA a développé divers comparateurs, pour les comptes à vue, les comptes d’épargne, les produits d’assurance, etc.

En ce qui concerne les fonds d’investissement, un des éléments auxquels l’épargnant devrait faire particulièrement attention est la hauteur des frais de gestion et des frais d’entrée.

Lors de la présentation du rapport annuel de la FSMA voici quelques jours, Benjamin Leroy, économiste au sein du service de contrôle des fonds d’investissement auprès de la FSMA, a détaillé toute l’importance de cet élément dans le rendement final qu’un fonds procure à l’investisseur. “Vous investissez 1.000 euros dans, par exemple, un fonds d’actions européennes. Vous payez des frais d’entrée de 2,5%. Il reste donc 975 euros. Ce fonds réalise une performance annuelle de 5%. Vous avez 1.024 euros. Et des frais de gestion et autres frais administratifs et d’exploitation de 2% sont déduits chaque année de l’investissement. Ces 1.024 euros vont donc devenir 1.004 euros. Sur la mise de départ de 1.000 euros, après un an, l’investisseur aura 1.004 euros.”

Evidemment, on investit rarement dans un fonds pour ne le garder qu’une année en portefeuille. Le plus intéressant est de voir ce qui se passe sur le long terme.

Des rendements rongés par les frais

Prenons l’hypothèse d’un investissement de 10.000 euros qui est réalisé en une fois pour 10 ans. “Gardons l’hypothèse d’un rendement annuel de 5%, avec des coûts moyens des fonds publics belges, soit des frais d’entrée de 2,1% et des frais de gestion et autres de 1,4% par an, poursuit Benjamin Leroy. Ces 10.000 euros de départ vont devenir 13.850 euros, cet inves­tissement va donc générer une plus-­value nette de 3.850 euros. L’impact cumulé des frais sur les 10 ans représente 2.439 euros. Dans cet exemple, l’investisseur va capter pour lui 61 % de la plus-value globale qui est générée, alors que 39 % vont partir en coûts divers.” Et le rendement annuel du fonds, qui était de 5%, tombe à 3,3% en tenant compte des frais. “Cette différence entre rendement brut (hors frais) et rendement net (avec les frais), ici de 1,7 %, porte un nom. C’est ce qu’on appelle l’incidence des coûts annuels et c’est un élément que vous allez retrouver systématiquement dans les KID.” Le KID (Key Information Document) est la fiche d’information standardisée qui doit être remise à l’épargnant quand il investit dans un tel produit.

“Ce qu’il faut retenir ici, c’est que le niveau des frais a une incidence considérable sur le rendement final et il est indispensable de comparer ces frais avant d’investir”, note encore Benjamin Leroy.


La FSMA a réalisé un tableau en prenant en compte divers scénarios. Un épargnant qui investirait 10.000 euros dans un fonds réalisant un rendement annuel de 5% a, après 10 ans, une plus-value nette de 6.289 euros s’il ne paie pas de frais. Cette plus-value tombe cependant à 2.975 euros s’il a investi dans un fonds dont les frais se trouvent dans la moyenne haute. “Au final, sur 10 ans, l’épargnant aura payé un peu plus de 3.300 euros de frais”, souligne Benjamin Leroy. Les gestionnaires dans ce scénario captent davantage de la plus-value que l’épargnant. “A l’inverse, poursuit l’économiste de la FSMA, si l’investisseur se tourne vers un fonds qui est dans la moyenne basse des frais, ses 10.000 euros vont se transformer en 15.215 euros et il aura payé des frais d’un peu plus de 1.000 euros. En choisissant le fonds le moins cher, il aura 2.000 euros en plus que s’il avait choisi le fonds plus cher.”

Les fonds structurés sont les plus chers

Voilà pour la théorie. Mais en pratique, quels sont les frais demandés à l’épargnant belge ? Parlons d’abord des frais d’entrée. Pour les fonds d’actions, en moyenne, ces frais sont de 2,1 %. C’est une moyenne : dans le groupe des fonds les plus chers, le ticket d’entrée est de 3%, alors que dans le groupe des fonds les moins chers, il n’est que de 1%. “Il y a un rapport de 1 à 3 entre la moyenne basse et la moyenne haute, ce qui est assez important”, note Benjamin Leroy.

Les frais d’entrée diffèrent aussi selon le type de fonds dans lesquels on désire investir. Les fonds les plus chers sont les fonds structurés, avec un ticket d’entrée moyen de 3,3%, avec les moins chers à 2,5% et les plus chers à 3,5%. Les frais d’entrée pour les fonds d’épargne pension vont de 0 à 3%, ceux des fonds obligataires de 0,5% à 3%, ceux des fonds mixtes de 0 à 3,5%.

“Vous allez avoir dans la catégorie des fonds les plus chers des fonds plus petits parce qu’il y a moins d’économie d’échelle.” Jean-Paul Servais (FSMA) © BELGA

Même disparité pour les frais de gestion, qui sont retenus chaque année. “Les fonds d’investissement de type actions prélèvent en moyenne des frais de gestion et autres frais administratifs et d’exploitation de 1,3% par an, précise Benjamin Leroy. La moyenne haute se situe à 1,9% par an, et la moyenne basse à 0,6%. Ici, on a aussi un rapport de 1 à 3 entre les fonds les moins chers, ceux de la moyenne basse, et ceux de la moyenne haute.” Et ici aussi, les frais diffèrent selon le type de fonds. “Si l’on regarde les chiffres en absolu, les fonds mixtes sont relativement chers, avec en moyenne 1,6% de frais de gestion, alors que les fonds actions retiennent en moyenne 1,3% et les fonds obligataires 0,65%.”

Le rapport qualité-prix

“On pourrait penser intuitivement que si l’on paie des frais élevés, la performance délivrée sera par définition meilleure. Mais nos analyses, qui rejoignent en fait les conclusions de nombreuses recherches académiques, mon­trent que ce n’est pas toujours le cas”, observe le président de la FSMA Jean-Paul Ser


Le gendarme des marchés a en effet comparé pour chaque catégorie de fonds (actions européennes, obligations souveraines, etc.) les performances, en déduisant les frais, des 20% des fonds les plus chers avec celles des 20% des fonds les moins chers. “La performance dont on parle ici est évaluée sur la base d’une comparaison avec des fonds ayant des caractéristiques similaires et prend en compte le risque. La performance ajustée du risque d’un fonds qui investit dans des actions européennes va être comparée avec ce qu’on appelle la performance ajustée au risque des autres fonds possédant les mêmes caractéristiques, c’est-à-dire une politique d’investissement axée sur des investissements dans des actions européennes. On établit ensuite un classement qui permet de déterminer si les performances d’un fonds sont moyennes, bonnes ou faibles par rapport à la concurrence”, précise Jean-Paul Servais.

“Et ce qui apparaît de manière saisissante est que pour les 20 % de fonds belges les plus chers, dans 66 % des cas, vous avez droit à des prestations moyen­nes à faibles, alors que pour les fonds les moins chers, vous avez une proportion importante, c’est-à-dire 61 %, de bonnes et très bonnes performances, observe-t-il. Ce n’est pas le cons­tat auquel on pourrait intuitivement s’attendre.”

“Ces résultats ne comportent pas d’appréciations fermes et définitives sur la qualité de la gestion d’un asset manager, tempère Jean-Paul Servais. Ils ne tien­nent pas compte du volume de la masse de l’actif net investi dans ces fonds. Vous allez avoir par définition dans la catégorie des fonds les plus chers des fonds plus petits parce qu’il y a moins d’économie d’échelle.”

Mais s’il y a une leçon à retenir pour l’épargnant de tout ceci, c’est qu’il doit porter une attention particulière aux frais que comportent les fonds dans lesquels il désire investir. Et il doit aussi savoir que ces frais peuvent faire l’objet d’une discussion avec son banquier ou son gestionnaire. “Le message est de cons­cientiser les investisseurs”, conclut Jean-Paul Servais.

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