Souvent qualifié d’or numérique ou de réserve de valeur du 21e siècle, le bitcoin présente certaines similitudes avec le métal jaune. Sur les marchés, son évolution est toutefois bien éloignée de celle d’une valeur refuge.
Premier cryptoactif lancé en 2009, le bitcoin a, dès son origine, été conçu avec une offre strictement limitée à 21 millions de jetons. En théorie, ce plafond pourrait être relevé avec l’accord des intervenants du réseau. En pratique, cela paraît hautement improbable puisqu’ils n’ont aucun intérêt à saborder la rareté qui fait précisément la valeur du bitcoin. Notamment par rapport à d’autres cryptoactifs.
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Domination renforcée
Contrairement à ce que beaucoup prédisaient lors de l’essor de l’ethereum ou du ripple (XRP) en 2017-2018, l’univers des cryptoactifs ne s’est en effet pas réellement diversifié. Le bitcoin a même renforcé sa position dominante, passant de 35% de la valeur totale des cryptoactifs début 2018 à près de 60% aujourd’hui.
Une performance d’autant plus remarquable que les stablecoins – ces cryptoactifs adossés à une monnaie classique, le plus souvent le dollar, et servant de passerelle – se sont multipliés. Selon CoinMarketCap, ils totalisent désormais 317 milliards de dollars. En comparaison, les quelque 20 millions de bitcoins déjà “minés”, selon le jargon du secteur, atteignent une valeur totale avoisinant 2.200 milliards de dollars. À titre de comparaison, c’est à peu près autant que la capitalisation boursière d’Amazon ou que le PIB annuel du Canada.

Génération Z
Le succès du bitcoin tient en grande partie à l’enthousiasme des technophiles et des jeunes investisseurs. Selon un sondage YouGov réalisé en début d’année aux États-Unis, 42% des investisseurs de la génération Z (18-27 ans) détiennent déjà des cryptomonnaies, et 65% prévoient d’y investir davantage en 2025.
Pour ces jeunes, les cryptos sont aussi courantes qu’un compte d’épargne (46%) et constituent même le premier actif d’investissement, loin devant les actions (26%). L’engouement décroît toutefois avec l’âge : 36% des milléniaux détiennent des cryptoactifs et à peine 8% des baby-boomers.
Actif de réserve
La tendance se vérifie aussi en Belgique. Le baromètre mensuel d’ING publié en septembre révèle que, chez les investisseurs de moins de 35 ans, 45% considèrent le bitcoin comme un élément essentiel d’un portefeuille diversifié, tandis que 25% l’imaginent un jour devenir un actif de réserve pour les banques centrales.
Une conviction nourrie par deux caractéristiques fondamentales du bitcoin. D’une part, son offre est strictement limitée, et d’autre part, sa nature décentralisée, puisque la création de nouveaux bitcoins dépend de la puissance de calcul informatique, un processus qui rappelle – dans une autre dimension – l’extraction physique d’or.
De Strategy à Oxurion
Les entreprises cotées sont aussi très actives sur le marché du bitcoin. La chaîne de jeux vidéo (et action mème) GameStop a par exemple émis pour 2,25 milliards de dollars d’obligations en juin afin d’accélérer ses achats de bitcoin initiés en mai. La société de logiciels MicroStrategy, rebaptisée Strategy, est pour sa part avant tout devenue un holding de bitcoins, ayant notamment présenté au printemps un plan de financement de 84 milliards de dollars à cette fin.
D’après Simon Peters, analyste crypto chez eToro, ces sociétés ont plus que doublé leurs avoirs entre juillet 2024 et juillet 2025, atteignant 859.000 bitcoins, soit 4,3% des jetons en circulation.
Même sur Euronext Bruxelles, le phénomène se fait sentir : Oxurion (ex-Thrombogenics), biotech devenue une coquille vide après l’échec de ses traitements expérimentaux, a annoncé en juillet investir 10 millions d’euros en bitcoin et ethereum, avec le soutien de son principal actionnaire. Une décision qui a suffi à faire doubler – temporairement – son cours de Bourse.
Investisseurs institutionnels
Ces dernières années, les investisseurs institutionnels ont eux aussi rejoint le mouvement. Selon une étude conjointe de Coinbase et EY, 86% d’entre eux détenaient déjà des actifs numériques début 2025, et 59% prévoyaient d’y allouer au moins 5%.
Sans surprise, le bitcoin reste de loin l’actif le plus populaire, cité par 97% des répondants, devant l’ethereum (86%). En termes de volumes, l’écart est encore plus marqué. Par exemple, les ETF indexés sur le bitcoin représentaient la semaine dernière une valeur totale de 150 milliards de dollars, contre à peine 23 milliards pour ceux liés à l’ethereum.
Les investisseurs institutionnels n’achètent toutefois pas de cryptoactifs pour les mêmes raisons que les particuliers. Selon l’étude de Coinbase et EY, leur première motivation est le rendement supérieur aux autres classes d’actifs, cité par 59% des répondants. Vient ensuite la volonté d’investir dans des technologies innovantes (49%).
Autrement dit, le rendement prime largement sur l’idée de valeur refuge ou de réserve. Les atouts supposés du bitcoin – rareté, décentralisation, indépendance – n’ont d’ailleurs pas encore convaincu les banques centrales. Au printemps, la Banque nationale suisse (BNS) a ainsi réaffirmé son refus d’intégrer le bitcoin dans ses réserves officielles, en réponse à une initiative citoyenne.
Son président, Martin Schlegel, justifie cette position par la forte volatilité du bitcoin et son manque de liquidité. Une autre critique souvent formulée concerne le manque de recul historique : le bitcoin n’a encore traversé aucune grande crise financière ni récession mondiale – la récession covid n’a duré que deux mois aux États-Unis. Son comportement dans de telles circonstances demeure l’objet de nombreuses spéculations.
Corrélé au Nasdaq
Par ailleurs, 36% des institutionnels interrogés par Coinbase et EY citent la “faible corrélation avec les autres actifs” comme motif d’investissement dans les cryptoactifs. Cette justification est toutefois remise en question par l’évolution récente du bitcoin, comme l’illustre le graphique intitulé “Le Nasdaq avec un levier de 7,5”.

Depuis cinq ans, il suit une trajectoire très proche de celle de l’indice Nasdaq, le marché historique des valeurs technologiques américaines. Il a ainsi chuté lors de la remontée des taux d’intérêt en 2022 ou après l’annonce des droits de douane par Donald Trump début avril, des mouvements contraires à ce que l’on attend d’une valeur refuge ou d’un actif faiblement corrélé.
À noter que le graphique ci-contre utilise deux échelles distinctes : le bitcoin suit les mêmes variations que le Nasdaq, mais avec un levier d’environ 7,5. En d’autres termes, il monte et descend 7,5 fois plus vite que l’indice américain.
Revers de la médaille
Ces dernières semaines, le graphique du bitcoin montre toutefois un léger décrochage par rapport au Nasdaq, à la suite de la chute brutale du 10 octobre, le bitcoin ayant perdu 9% en seulement 12 heures.
Cette baisse semble être le revers de la médaille de la percée du bitcoin sur les marchés traditionnels et auprès des investisseurs institutionnels. L’intérêt ouvert sur les contrats à terme Bitcoin sur les principales plateformes d’échange a en effet soudainement chuté de 94 à 70 milliards de dollars, selon les données compilées par Coinglass. Ce qui s’est répercuté sur le cours.
Cette évolution rapide de nombreuses positions qui rappelle “à quel point les positions peuvent se dégonfler rapidement sur un marché encore régi par des appels de marge automatiques et une liquidité fragmentée”, souligne l’agence Bloomberg.
Taux et Trump en soutien
S’il apparaît hasardeux de qualifier le bitcoin d’or numérique ou de valeur refuge, cela n’en fait pas pour autant un mauvais investissement. De nombreux crypto-enthousiastes ont même réussi à faire fortune en acquérant des bitcoins à quelques milliers de dollars, voire à quelques centaines pour les plus précoces.
S’il apparaît hasardeux de qualifier le bitcoin d’or numérique ou de valeur refuge, cela n’en fait pas pour autant un mauvais investissement.
D’ailleurs, l’environnement actuel reste relativement favorable. D’une part, les taux d’intérêt sont plutôt orientés à la baisse, ce qui, comme pour l’or, réduit le coût d’opportunité – c’est-à-dire les intérêts que vous auriez pu percevoir en plaçant votre capital dans des obligations d’État, par exemple.
D’autre part, l’administration Trump a contribué à légitimer et soutenir les cryptoactifs, notamment à travers des réglementations relativement souples (déjà votées ou en cours). Elle a aussi autorisé les plans de pension à investir dans les cryptoactifs et annoncé la création d’une réserve souveraine de bitcoins notamment. Dans un autre registre, Donald Trump a gracié plusieurs figures controversées du secteur, dont Changpeng Zhao, fondateur de Binance, ou Ross Ulbricht, condamné à la prison à vie en 2015 pour son rôle dans Silk Road, un marché noir en ligne utilisant le bitcoin pour le commerce de substances illicites.
Il est également indéniable que Donald Trump a un intérêt financier personnel marqué dans le secteur des cryptoactifs. La famille Trump est impliquée dans plusieurs projets récents, notamment World Liberty Financial, dont elle détient 22,5 milliards de jetons, pour une valeur actuelle de 3,2 milliards de dollars, ou encore plus de 7,5% d’American Bitcoin, un mineur de bitcoin fondé en mars 2025 et déjà coté sur le Nasdaq.
Quelle place ?
Même si la conjoncture demeure globalement favorable aux cryptoactifs, la question de la place du bitcoin dans le paysage financier mondial reste centrale à long terme. En effet, le bitcoin ne génère ni revenus, ni dividendes, et ne peut à l’heure actuelle prétendre au statut d’or numérique ou d’actif contracyclique capable de résister ou de prospérer lorsque les marchés traditionnels fléchissent.
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