L’or bat tous les records et séduit un public de plus en plus large, des jeunes aux particuliers fortunés. Faut-il privilégier les lingots ou les petites pièces ? Les ETF sont-ils une alternative sécurisée ? Comment les épargnants belges peuvent-ils profiter de cet engouement, sans succomber à l’excès ? Gros plan sur une irrésistible ascension.
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C’était un lundi d’octobre, en après-midi, rue du Midi à Bruxelles. Dans la boutique de Gold & Forex International (GFI), une bonne vingtaine de clients attendent patiemment leur tour devant le guichet. Quelques mots s’échangent derrière la vitre, des gestes précis s’exécutent, des formulaires se signent. Si certains sont venus pour vendre de vieux bijoux, la plupart sont là pour acheter des pièces, des lingotins, parfois quelques grammes d’or.
La scène, en apparence banale, ne l’est pourtant pas. Autrefois réservé aux investisseurs avertis, acheter de l’or est devenu une démarche presque ordinaire. Chacun, à sa mesure, cherche à se protéger, à transformer une part de son épargne en placement sûr, mettre de côté quelque chose de tangible, à l’abri des soubresauts du monde.

Rallye spectaculaire
C’est que, depuis plusieurs mois, le métal jaune affole les marchés. Rien ne semble pouvoir arrêter sa course. Son prix ne fait que grimper. Inlassablement, il s’affiche en hausse, battant un nouveau record presque chaque jour. Après avoir progressé de plus de 50% depuis le début de l’année, les prix de l’once (31 grammes) sont passés pour la première fois au-dessus de la barre symbolique des 4.000 dollars au début du mois d’octobre, un niveau inédit dans l’histoire du métal précieux. Pour mémoire, début 2024 encore, l’once tournait autour de 2.000 dollars.
À l’origine de ce spectaculaire rallye, on retrouve la peur et la méfiance. Si le cours de l’or profite de son statut de valeur refuge, c’est en effet à cause du roi dollar qui perd de plus en plus le sien, miné par la politique du président américain Donald Trump (dette publique qui explose, shutdown, etc.). On le sait, l’or gagne du terrain quand le dollar se déprécie, c’est mécanique. Quand la monnaie américaine perd de sa valeur, l’or, qui est coté en dollars, grimpe. Ensuite, l’or ne rapporte rien. Et donc, quand les taux sont à la baisse, comme c’est le cas aujourd’hui, l’or devient aussi de manière mécanique plus attractif.
Le “debasement trade”
En parallèle, il y a aussi la rivalité croissante entre les États-Unis et la Chine. Cette dernière ravive l’attrait pour les valeurs refuges. Mais l’envolée est également révélatrice d’une réorganisation géopolitique plus profonde, ce que les spécialistes appellent le “debasement trade”.
Face à l’hégémonie des États-Unis et au surendettement des pays riches, les économies émergentes (Chine, Russie, Inde…) se méfient des grandes monnaies internationales (dollar, euro) et défendent de plus en plus leurs propres intérêts.
Ce qui pousse les banques centrales de ces pays émergents à accroître leurs réserves d’or au détriment des actifs libellés en dollars, bons du Trésor américain en tête. Après avoir ajouté à leurs réserves plus de 1.000 tonnes d’or durant l’année 2024, elles ont acquis 166 tonnes supplémentaires au deuxième trimestre 2025, portant le total depuis le début de l’année à 415 tonnes.
Un Belge sur quatre
Dans le même temps, les investisseurs, de plus en plus nombreux à miser sur l’or, alimentent également la flambée. En Belgique, la tendance est nette. Selon le dernier baromètre des investisseurs de la banque ING, un investisseur belge sur quatre détient aujourd’hui de l’or, sous une forme ou une autre : lingots, pièces, ETF ou actions de sociétés minières. Une proportion en forte hausse par rapport à juin 2023, où ils n’étaient encore que 16%. Et s’ils devaient investir dans la vieille “relique barbare”, comme l’appelait Keynes, près de la moitié d’entre eux choisiraient de l’or physique, des lingots ou des pièces (Krugerrand, Maple Leaf…).
Acteur en vue sur le marché belge, détenu par le holding coté Whitestone, GFI confirme le mouvement. Son CEO, Sandro Ardizzone, observe une hausse marquée des transactions. “Depuis 2021, on voit un véritable engouement pour l’or, qui a été accentué par la pandémie et la guerre en Ukraine. Les clients manifestent une certaine inquiétude face aux risques géopolitiques et aux dynamiques de ‘dédollarisation’. Si les opérations se font dans les deux sens, les flux restent majoritairement acheteurs. L’effet FOMO (pour Fear Of Missing Out, la peur de rater quelque chose, ndlr) joue fort : certains clients achètent lorsque le cours grimpe, alors que d’autres achètent quand le marché est plus calme”, note Sandro Ardizzone.
“Depuis 2021, on voit un véritable engouement pour l’or, qui a été accentué par la pandémie et la guerre en Ukraine.” – Sandro Ardizzone (GFI)
Ce dernier constate également que l’or séduit désormais un public beaucoup plus large qu’auparavant. “Nous gagnons environ 6.000 nouveaux clients par an, avec une base totale dépassant désormais les 60.000 clients. Cela va des particuliers qui investissent quelques milliers d’euros à ceux qui achètent plusieurs centaines de milliers d’euros, avec un intérêt croissant des femmes et des jeunes.”
Pièces et petits lingots

Pour faciliter le stockage et la transmission, les acheteurs privilégient les petites fractions : pièces d’une once (Krugerrand, Maple Leaf), petits lingots (de 5, 10 ou 20 grammes). “Ces formats, explique Sandro Ardizzone, sont pratiques à transporter, à utiliser et à transmettre, notamment pour des donations. Les lingots plus grands sont plus avantageux en termes de coût unitaire, mais moins pratiques pour l’usage immédiat.”
Du côté des fournisseurs, cette demande accrue se traduit par des délais de livraison qui s’allongent. Il faut désormais compter quatre semaines au lieu de quinze jours pour les petits lingots achetés auprès de raffineurs tels Metalor ou Valcambi en Suisse, ou encore Umicore en Belgique. Des fournisseurs qui assurent à GFI la qualité ainsi que la traçabilité de ses produits grâce à la certification LBMA (London Bullion Market Association), la référence mondiale du secteur. D’ailleurs, la confiance est telle que l’engouement se manifeste aussi en ligne : un tiers des ventes de GFI s’effectuent désormais via son site, à toute heure du jour ou de la nuit, et parfois pour des montants significatifs. “Même les clients plus âgés, après une phase d’adaptation, se convertissent à l’achat en ligne, rassurés par le fait qu’ils peuvent fixer le cours et payer en toute sécurité avant la livraison”, observe Sandro Ardizzone.
De Londres à Zurich
Sur le plan fiscal, hormis la nouvelle taxe sur les plus-values, la Belgique favorise cette approche puisque l’achat d’or physique est exempté de TVA. Mais cette liberté a un coût. Détenir de l’or implique en effet des frais et soulève des questions de sécurité. Aujourd’hui, un kilo d’or vaut environ 118.000 euros, rendant le stockage particulièrement crucial. C’est pourquoi certains acteurs, comme GFI, proposent un service de dépôt sécurisé via des prestataires externes tels que Brinks, permettant aux clients d’acheter, déposer et vendre leur or sans se déplacer.
Mais les particuliers qui souhaitent profiter de la bonne forme des cours ne doivent toutefois pas se rendre en boutique. Outre les fonds aurifères diversifiés qui comprennent à la fois de l’or physique et des mines, ils peuvent aussi s’exposer au métal jaune au travers d’ETF sur l’or, ces produits financiers qui permettent d’investir à moindre frais. En acheter est possible en quelques clics au travers d’applis d’investissement (Bolero, Rebel, etc.). La solution attire d’ailleurs de plus en plus d’investisseurs particuliers : selon le baromètre ING, près de 20% des répondants envisagent d’y recourir pour diversifier leur portefeuille. Parmi les ETF plus connus figurent notamment l’iShares Physical Gold de BlackRock, un poids lourd de 32 milliards de dollars.
Pour Grégory Guilmin, expert en placements et spécialisé dans l’éducation financière, ces produits constituent une alternative efficace et rassurante. “Ils répliquent fidèlement le cours de l’or et sont adossés à des lingots qui sont réellement conservés dans des coffres sécurisés, souvent à Londres ou Zurich, ce qui réduit considérablement le risque de contrepartie”, explique-t-il.
Pas trop tard

Bien sûr, une question revient sur toutes les lèvres : jusqu’où l’or peut-il encore grimper, et n’est-il pas déjà trop tard pour monter dans le train ? “Certes, il aurait mieux valu acheter il y a 12 mois”, reconnaît l’économiste d’ABN Amro Erik Joly, en référence à la récente correction de plus de 5% subie le lundi 20 octobre. Une correction qui était prévisible, selon Vincent Juvyns, chief investment strategist chez ING Belgique. “Des positions spéculatives ont été débouclées par des investisseurs à court terme qui ont préféré prendre leurs bénéfices, mais cela ne remet pas en cause la tendance de fond. Les conditions restent réunies pour que la demande structurelle des banques centrales émergentes perdure à l’avenir”, assure-t-il.
“Les conditions restent réunies pour que la demande structurelle des banques centrales émergentes perdure à l’avenir.” – Vincent Juvyns (ING Belgique)
Même avis du côté de la banque privée Puilaetco, qui ne parle pas d’un “renversement de tendance”, mais d’une “pause salutaire”, et reste également positive sur l’or. Au même titre d’ailleurs que nombre de spécialistes de part le monde qui estiment que le prix du métal précieux a encore du potentiel. Ainsi, Lombard Odier a relevé son objectif à 12 mois de 3.900 à 4.600 dollars l’once. “Les fluctuations ne remettent pas en cause sa trajectoire à long terme ni la solidité de ses fondamentaux”, notent les experts de la banque suisse. Fondateur du fonds spéculatif Bridgewater, Ray Dalio a, lui, récemment jugé réaliste un prix de 5.000 dollars l’once. Quant à Jamie Dimon, CEO de la grande banque américaine JP Morgan, il a pour sa part déclaré dernièrement que le prix du métal précieux pourrait même toucher les 10.000 dollars.
“Il aurait mieux valu acheter il y a 12 mois.” – Erik Joly (ABN Amro)
Merci la Chine !
Exagération ou pas, Vincent Juvyns estime qu’il n’est en tout cas pas trop tard pour investir dans le métal jaune, même si le cours a déjà atteint des sommets. Selon lui, les tensions sino-américaines et la volonté des pays émergents de se désensibiliser au dollar restent des moteurs puissants, et il n’existe pas d’autre instrument aussi efficace que l’or pour cette stratégie.
“La genèse du rallye sur l’or vient principalement des décisions prises par les banques centrales émergentes, soutient l’analyste de la banque ING. Les achats d’or, notamment par la banque centrale chinoise, sont particulièrement significatifs : les réserves d’or de la Chine ont doublé en l’espace d’une décennie, ce qui est énorme. Et la Chine n’est pas seule, c’est un peu ‘l’arbre qui cache la forêt’ : les banques centrales émergentes ont fortement augmenté leur détention d’or, poursuit Vincent Juvyns. Les États-Unis peuvent interdire à tout moment à un pays de traiter en dollars dans le cadre de sanctions économiques. Les banques centrales émergentes cherchent donc à posséder des réserves qu’on ne peut ni confisquer ni empêcher d’utiliser, et qu’elles peuvent contrôler physiquement. L’or répond parfaitement à cette exigence”, prolonge-t-il.

Sécurité oui
Malgré le récent trou d’air, l’or semble donc promis à un brillant avenir. Pour les Belges qui souhaitent en acheter, les outils sont là, les conditions fiscales sont plutôt favorables et les marchés facilement accessibles. Mais, comme toujours, investir dans un actif déjà en forte hausse nécessite du discernement : inutile de transformer son portefeuille en coffre-fort.
Quelle place peut dès lors occuper l’or dans un portefeuille ? Tout dépend de l’objectif, bien sûr. “Il faut aujourd’hui voir l’or comme un élément de diversification structurelle qui a sa place dans les portefeuilles, mais aussi, surtout par les temps qui courent, comme une assurance contre les malheurs qui pourraient arriver en Bourse”, estime Erik Joly (ABN Amro). “L’exposition à l’or dans les portefeuilles des clients tourne actuellement autour de 4%”, ajoute Vincent Juvyns, de chez ING.
“L’idée, c’est de considérer l’or comme une assurance, pas comme un placement central.” – Grégory Guilmin
Excès non
Pour Grégory Guilmin, entre 5 et 10% du portefeuille total peut jouer ce rôle de couverture, tandis que pour les plus gourmands, un maximum de 15% est envisageable. “Aller au-delà n’apporte pas nécessairement plus de protection, et cela réduit l’exposition aux actifs réellement créateurs de valeur, précise-t-il. L’idée, c’est de considérer l’or comme une assurance, pas comme un placement central. L’or peut avoir du sens pour diversifier et rassurer, surtout si l’on est sensible aux cycles économiques, à la géopolitique ou à l’inflation. Mais, ajoute-t-il, il faut se rappeler d’une chose : l’or ne produit rien. Il ne verse ni intérêts ni dividendes. Sur le long terme, les actions d’entreprise ont tendance à mieux performer, car elles créent de la valeur réelle. Cela étant, pour un investisseur qui souhaite un peu plus de stabilité dans les périodes de crise, une exposition à l’or peut être pertinente.”
Investissement anti-stress
Manière de dire que l’or n’est pas seulement un investissement alternatif… mais plus que jamais aussi un investissement anti-stress.
Et donc, si le bitcoin est par définition la réponse à la défiance de nombreux compatriotes à l’égard du système financier (euros, dollars), certains préfèrent visiblement miser sur un actif tangible dont le cours semble plus prévisible que celui d’une cryptomonnaie. Dans la petite boutique de la rue du Midi, les clients risquent bien de défiler pour quelque temps encore…
Or physique ou or papier: lequel choisir?
Pour l’or physique, il faut faire attention à plusieurs choses : la qualité du métal (pureté de 99,99% minimum) ; le lieu de stockage (coffre personnel, banque ou société spécialisée) ; les frais cachés (achat, stockage, assurance, revente) ; et surtout la traçabilité. Mieux vaut acheter auprès d’un établissement reconnu pour éviter les contrefaçons ou les marges excessives.Si l’or physique est un bon moyen d’être hors du système financier, il est toutefois moins liquide : vous ne pouvez pas le vendre en un clic comme un ETF (fonds négocié en Bourse). Outre cette facilité d’accès, les ETF présentent également des frais de courtage (et même de stockage) plus faibles que pour le physique.
Mais attention : ce ne sont pas de vrais ETF, mais des ETC (pour Exchange Traded Commodity), c’est-à-dire un titre de créance qui réplique le cours d’une matière première spécifique (comme l’or ou le pétrole). Juridiquement, ce sont des obligations émises par un émetteur. Cela implique un risque de crédit : si l’émetteur fait faillite, il peut y avoir un problème. Il faut donc privilégier les ETC adossés à de l’or physique, où les lingots sont réellement détenus en coffre.
Vos gains bientôt taxés
Prévue pour entrer en vigueur l’année prochaine, la nouvelle taxe sur les plus-values s’appliquera aussi à l’or. Les gains réalisés seront calculés sur la base du prix d’achat historique le plus élevé. Concrètement, la plupart des plus-values seront probablement calculées sur le cours du 31 décembre 2025, et la taxation s’élèvera à 10% sur les gains dépassant 10.000 euros.Contrairement aux plus-values réalisées sur d’autres actifs mobiliers (actions, ETF…), les banques ne sont absolument pas concernées par le prélèvement de la taxe. Il appartiendra à celui qui revend son or de s’en acquitter, du moins si le gain dépasse 10.000 euros. Une nouveauté face à laquelle les investisseurs semblent relativement sereins aux dires des professionnels du secteur. Parce que celle-ci n’est pas jugée suffisamment lourde pour freiner l’achat d’or d’investissement.
À noter que d’autres métaux précieux, comme l’argent ou le platine, qui connaissent également une progression phénoménale, ne sont pas concernés par cette taxe sur les plus-values puisqu’ils sont déjà soumis à la TVA, ce qui évite une double imposition.
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