Fret maritime: entre turbulences de marché et opportunités géopolitiques

Le fret maritime
ne manque pas d’atouts structurels, même dans un monde marqué par un ralentissement des échanges internationaux.
© Getty Images

Ralentissement économique, tensions commerciales et routes maritimes perturbées créent une volatilité accrue sur le fret. Mais pour l’investisseur, ces déséquilibres pourraient bien offrir des points d’entrée attractifs dans un secteur stratégique et vieillissant.

Démondialisation, guerre commerciale, ralentissement économique… L’environnement apparaît déprimant pour le secteur du fret. En début d’année, les principaux indices de référence pour le transport maritime étaient ainsi clairement orientés à la baisse. Dans le vrac sec (minerais, charbon, céréales…), l’indice des tarifs d’affrètement Baltic Dry avait rechuté à des niveaux comparables à la période de confinement en 2020 et insuffisants pour couvrir le coût opérationnel des navires.

Dans le fret pétrolier, le Baltic Dirty affichait une chute de 45% depuis le pic de la mi-janvier 2024. Et le segment des conteneurs ne se portait pas beaucoup mieux, le Freightos Baltic Index ayant chuté de 35% depuis le sommet d’août 2024.

Les porte-conteneurs en mer Rouge ?

Et la dégringolade s’est poursuivie, les tarifs d’affrètement de porte-conteneurs ayant atteint un plus bas en avril après l’annonce des droits de douane dits “réciproques” par l’administration Trump, avec notamment un taux d’imposition allant jusqu’à 145% sur les produits en provenance de Chine. De quoi désorganiser un marché dominé par les exportations chinoises.

Depuis, Washington a sensiblement adouci sa rhétorique protectionniste, l’activité dans les ports chinois ayant même atteint un plus haut historique après l’annonce d’un accord commercial sino-américain le 10 juin. Le Freightos Baltic Index est ainsi reparti à la hausse, revenant à un niveau comparable à décembre 2024. Si les tarifs d’affrètement de porte-conteneurs restent sensiblement inférieurs à ceux de l’été dernier – en pleine crise de la mer Rouge – ils sont désormais deux à trois fois plus élevés qu’entre 2016 et 2020.

Par ailleurs, même si le canal de Suez a accueilli le 18 juin, après le cessez-le-feu entre les États-Unis et les Houthis début mai, son premier grand porte-conteneurs depuis mars 2024, toute normalisation du trafic apparaît encore lointaine. Comme l’illustre le fait qu’en 40 jours, un seul navire a profité de la ristourne de 15% accordée par l’Autorité du canal de Suez pour les porte-conteneurs de plus de 130.000 tonnes.

Vincent Clerc, CEO du géant AP Moller-Maersk, a d’ores et déjà exclu tout retour par le canal de Suez cette année, estimant que les conditions de sécurité étaient encore loin d’être réunies. Ce qui peut aussi être perçu comme une manœuvre de protection, alors que le carnet de commandes de porte-conteneurs atteint un niveau record.

Les tankers au milieu du jeu de quilles géopolitique

Le marché du fret pétrolier est encore plus exposé aux tensions géopolitiques actuelles, l’Iran ayant déjà menacé de fermer le détroit d’Ormuz, où transite 22% du pétrole mondial. Le tarif d’affrètement d’un supertanker VLCC (plus de 250.000 tonnes) a ainsi bondi en moyenne de 133% entre le 11 et le 23 juin pour atteindre 60.560 dollars par jour, selon Greg Miller de Lloyd’s List Intelligence. Sur la route TD3C allant du Moyen-Orient à la Chine, des contrats à plus de 100.000 dollars par jour ont même été répertoriés.

À titre de comparaison, CMB Tech évaluait que son seuil de rentabilité pour sa flotte de tankers était de 25.469 dollars par jour (pour ses VLCC et Suezmax un peu plus petits). Une envolée des tarifs au-delà de ce niveau est donc synonyme d’une nette amélioration de la rentabilité.

Et les tensions au Moyen-Orient ne sont pas le seul facteur géopolitique susceptible de stimuler les tarifs. Le second est la flotte fantôme russe, qui représente 17% de la capacité mondiale de tankers selon S&P Global. Alors que les sanctions se multiplient, interdisant l’accès aux ports et l’offre de services annexes (assurance, financement, etc.), cette flotte s’enfonce dans la pénombre avec des voyages à rallonge et des transbordements en mer qui réduisent son efficacité. Avec son 17e paquet de sanctions, l’UE a porté le nombre de tankers sanctionnés à 342 et, au niveau mondial, ce sont plus de 700 navires, représentant 10% de la flotte mondiale, selon Lloyd’s List Intelligence.

Le vrac sec en phase de reprise

Le troisième segment important du fret maritime est le vrac sec. Signe des difficultés du secteur, les commandes de nouveaux vraquiers ont atteint un plus bas depuis 30 ans en ce début d’année, avec une absence totale de commandes en février. Ce qui reflétait la chute des tarifs d’affrètement, l’indice Baltic Dry ayant flirté avec ses plus bas historiques, sur fond notamment de ralentissement de l’économie chinoise (grande consommatrice de minerai de fer, de charbon, de blé ou encore de soja). L’indice a toutefois plus que doublé depuis le creux de février. Outre une cyclicité saisonnière, cela reflète notamment les tensions au Moyen-Orient (qui représente plus de 10% du commerce mondial de vrac sec).

En termes de perspectives, les livraisons de nouveaux vraquiers seront faibles les prochaines années alors que débuteront les opérations (en novembre 2025) de l’important projet de minerai de fer Simandou en Guinée. À pleine capacité, il doit atteindre 120 millions de tonnes par an, qui prendront essentiellement la direction de la Chine (des entreprises chinoises en contrôlent 75%), nécessitant 170 vraquiers géants de type Capesize, selon Clarkson Securities, d’ici 2028. Ce qui dépasse le carnet de commandes total actuel.

Nombreuses perturbations

D’un point de vue purement arithmétique, les tarifs de fret devraient s’orienter à la baisse cette année et la prochaine. Les commandes de porte-conteneurs ont atteint un niveau record, alimentant l’offre alors que BIMCO table sur une baisse de la demande en 2026 avec la normalisation en mer Rouge. Du côté des pétroliers, un retour des navires sous sanction dans la flotte classique pourrait stimuler l’offre, comme la livraison des nombreux pétroliers commandés en 2023-2024. Et même dans le vrac sec, l’impact de Simandou ne se fera pleinement sentir que dans quelques années, si tout va bien vu la situation politique en Guinée. Mais les multiples tensions géopolitiques troublent les calculs, et les perspectives apparaissent toujours tendues avec des cessez-le-feu fragiles au Moyen-Orient. Les Houthis ont par exemple déjà menacé de relancer des attaques sur les intérêts américains en mer Rouge dans le sillage des frappes en Iran.

Le deuxième élément à prendre en ligne de compte est le vieillissement des flottes. Selon Xclusiv, la part de navires de 21 ans ou plus atteint 18% pour les tankers, 13% pour les vraquiers et 13% pour les porte-conteneurs. Et en 2030, cela sera le cas pour respectivement 48%, 30% et 49% de la flotte actuelle. Un navire plus vieux est moins performant, comme l’épingle le courtier Gibson pour les tankers. “Les navires âgés de plus de 20 ans passent en moyenne 17% de temps en plus à l’ancre ou amarrés par rapport aux navires de moins de 20 ans. La différence la plus marquée est observée chez les (supertankers) VLCC, avec une augmentation de 32%.”

Renouveler les navires

Les armateurs doivent donc renouveler leur flotte. Dans les porte-conteneurs, Maersk, deuxième armateur mondial derrière MSC, a ainsi commandé 20 porte-conteneurs à double carburant (LNG – fioul) fin 2024, mais ne prévoit pas d’augmenter sa capacité globale. Par ailleurs, sachant qu’un navire marchand a une durée de vie classique de 25 ans, les armateurs seront davantage tentés de vendre leurs vieux navires pour la ferraille en cas de baisse des tarifs d’affrètement.

Enfin, le troisième élément perturbant l’équilibre entre l’offre et la demande de fret maritime est l’allongement des files dans les ports. L’Europe occidentale était particulièrement touchée en mai avec une hausse des délais de 37% à Anvers ou de 49% à Hambourg. Mi-juin, pas moins de 663 navires étaient au mouillage en attente d’entrée ou de sortie du port de Singapour, selon Everstream Analytics. Si le phénomène est aggravé par les volte-face de Washington en matière de droits de douane, il trouve aussi des racines structurelles comme la pénurie de dockers, avec des mouvements sociaux dans de nombreux pays, ou le niveau bas du Rhin limitant le trafic de barges fluviales.

Comment investir ?

Outre qu’il profite des multiples tensions géopolitiques, le fret maritime ne manque donc pas d’atouts structurels, même dans un monde marqué par un ralentissement des échanges internationaux.

Pour miser sur ce secteur, vous pouvez opter pour la référence belge, à savoir CMB.tech, à la fois important acteur dans le vrac sec (Bocimar + rachat partiel en cours de Golden Ocean) et les tankers pétroliers (Euronav), et disposant aussi de quelques porte-conteneurs (Delphis). Sa flotte est, de plus, assez jeune. Toutefois, le titre pâtit d’une importante illiquidité depuis l’OPA de la famille Saverys (qui n’a pas réussi à réunir 95% du capital pour retirer l’action de la Bourse).

Pour miser sur ce secteur, vous pouvez opter pour la référence belge, à savoir CMB.tech.

À l’international, les actions incontournables sont le géant danois AP Moeller Maersk (porte-conteneurs), Frontline (tankers pétroliers) et Golden Ocean (vrac sec), actuellement contrôlés par le milliardaire norvégien John Frederiksen et cotés sur la Bourse de New York, Hafnia (division tankers de BW Group) sur les Bourses d’Oslo et de New York, Star Bulk (numéro 4 mondial du vrac sec) sur le marché américain ou le groupe grec coté aux États-Unis Navios Maritime (vrac sec, tankers et porte-conteneurs de plus petite taille), qui dispose d’une flotte plus jeune que la moyenne. De nombreux acteurs asiatiques et/ou non cotés restent inaccessibles à l’investisseur particulier.
Il n’existe malheureusement pas de fonds indiciel sur le secteur maritime disponible en Europe, l’ETF SonicShares Global Shipping n’y étant pas enregistré.

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