Donald Trump représente-t-il la dernière chance pour Meta?

Pour Mark Zuckerberg et Meta, les enjeux d’un rapprochement avec le 47e président des États-Unis sont considérables.
© Montage Getty Images

Rompant avec sa relative neutralité politique, Mark Zuckerberg s’est nettement rapproché de Donald Trump, qui sera amené à statuer sur plusieurs dossiers cruciaux pour Meta. Cependant, cette stratégie ne résout en rien les problèmes structurels du géant, et pourrait même les exacerber à moyen terme.

Fondateur de Facebook et PDG de Meta, Mark Zuckerberg a amorcé un virage radical ces derniers mois. Sa décision la plus médiatisée a été la suppression du système de fact checking sur Facebook, Instagram et Threads, justifiée par une volonté affichée de “donner la priorité à la liberté d’expression”. Désormais, la modération des contenus reposera sur un système de “notes de communauté”, une approche qui rappelle la direction empruntée par Elon Musk avec X (anciennement Twitter).

Dans le même temps, Meta a substantiellement assoupli sa politique de gestion des discours haineux. Désormais, il n’est plus interdit, par exemple, de qualifier une personne transgenre de “chose” ou une femme d’ “objet domestique”.

Virage trumpiste

Cette réorientation n’est toutefois qu’une pièce du puzzle traduisant un rapprochement de Mark Zuckerberg avec les cercles trumpistes, voire conspirationnistes. En début d’année, Meta a ainsi annoncé la nomination de Dana White, dirigeant de la ligue d’arts martiaux mixtes UFC et proche de Donald Trump, à son conseil d’administration. Par ailleurs, Joel Kaplan, ancien cadre républicain connu pour ses positions conservatrices, a pris la relève de Nick Clegg en tant que responsable des Affaires internationales du groupe.

Autre signal fort, Mark Zuckerberg a choisi de s’exprimer pour la première fois après ces annonces dans un podcast animé par Joe Rogan, figure emblématique de l’anti-politiquement correct et versant régulièrement dans le complotisme. Au cours de cet entretien, il a évoqué sa volonté de favoriser davantage “l’énergie masculine”, ce qui s’est concrétisé par l’abandon des politiques internes de diversité et un plan de restructuration visant les 5% des employés les moins performants.

En parallèle, Zuckerberg a également complètement changé son image personnelle. Le patron de Meta a longtemps été adepte du minimalisme vestimentaire avec son combo t-shirt gris et jeans bleu, afin de se concentrer sur l’essentiel de son propre aveu. Désormais, le jeune quadragénaire affiche un look bien plus affirmé: entraînements intensifs aux arts martiaux, t-shirts oversize personnalisés, chaîne en or et crinière bien fournie.

Échec du métavers

Beaucoup spéculent sur l’origine de ce revirement : crise de la quarantaine, désir de rivaliser avec les autres géants de la tech ou encore personnalité refoulée. Quoi qu’il en soit, la direction est claire, Mark Zuckerberg met tout en œuvre pour se rapprocher de Donald Trump, espérant sans doute bénéficier des largesses du nouveau président.

Les enjeux pour Meta sont considérables : promesses de dérégulation, encadrement de l’intelligence artificielle à définir, procès antitrust lié à l’acquisition d’Instagram et de WhatsApp, interdiction potentielle de son concurrent TikTok aux États-Unis. L’agence Bloomberg rappelle également que “sous son premier mandat, Donald Trump avait menacé de bloquer un important budget de défense si le Congrès ne supprimait pas la ‘section 230’, une loi cruciale qui protège les plateformes comme Meta contre la majorité des litiges liés au contenu”.

Mark Zuckerberg met tout en œuvre pour se rapprocher de Donald Trump, espérant sans doute bénéficier des largesses du nouveau président.

Sur le plan stratégique, le groupe a vu sa crédibilité écornée ces dernières années en raison notamment du cuisant échec subi dans le métavers. Meta y a consacré 54 milliards de dollars en quatre ans, quasiment en pure perte, avant de changer de priorité pour l’IA dans le sillage du succès fulgurant de ChatGPT.

Meta a consacré 54 milliards de dollars en quatre ans au métavers, quasiment en pure perte.

Investissements dans l’IA

Meta a notamment acquis quelque 350.000 processeurs graphiques (GPU) H100 de Nvidia pour une somme estimée entre 9 et 10 milliards de dollars. Et ce n’est qu’un début : le groupe a également commandé les derniers GPU Nvidia, surnommés Blackwell, encore plus puissants et encore plus coûteux.

En parallèle, Meta a annoncé en décembre le lancement d’un ambitieux projet de centre de données dédié à l’IA en Louisiane. Cette infrastructure, estimée à 10 milliards de dollars, s’étendra sur une surface impressionnante de 370.000 m² et sera alimentée par une nouvelle centrale à gaz d’Entergy.

Sur le plan technologique, les équipes de Meta saluent déjà les progrès obtenus grâce à l’IA. L’amélioration du ciblage publicitaire et des recommandations figure parmi les réussites les plus notables. Toutefois, cela ne suffit pas à rentabiliser les énormes investissements consentis.

Stratégie open source

Meta a également développé son propre grand modèle de langage (LLM), Llama, dont la quatrième version est attendue au début de l’année 2025. Mark Zuckerberg promet une IA plus autonome, capable de s’adapter à des situations complexes et évolutives.

Mais contrairement à OpenAI avec ChatGPT, le géant des réseaux sociaux n’en retire aucun revenu, Llama étant une IA open source. L’utilisateur peut la télécharger sur simple demande, mais doit disposer de l’infrastructure informatique et des connaissances nécessaires pour l’exploiter.

Les principaux bénéficiaires de Llama devraient ainsi être les géants du cloud (surnommés “hyperscalers”), à savoir AWS (Amazon), Google Cloud (Alphabet) et Azure (Microsoft), qui fournissent les ressources nécessaires à son utilisation. Llama serait également apprécié des cybercriminels, qui peuvent l’adapter à leurs besoins sans entraves, selon l’entreprise de cybersécurité Crowdstrike ou le groupe Intel471.

Pistes de monétisation

Pour Meta, la question de la monétisation reste donc entière. Parmi les pistes envisagées figure l’intégration de Llama à des outils destinés aux annonceurs sur Facebook ou Instagram, leur permettant de générer des images par IA ou de déployer des chatbots intelligents dans leurs campagnes publicitaires. Toutefois, ces innovations offrent un potentiel limité, permettant tout au plus d’augmenter le prix des encarts publicitaires.

Abandonner le modèle open source pour Llama pourrait être une autre option. Cependant, une telle transition poserait des défis majeurs, tant sur le plan de la crédibilité que sur celui des investissements nécessaires à cette transformation.

Mark Zuckerberg nourrit également l’espoir que l’intelligence artificielle puisse accélérer le développement du métavers, notamment grâce à des progrès dans les lunettes de réalité augmentée et les casques de réalité virtuelle. Toutefois, les perspectives, à ce stade, semblent aussi lointaines qu’aléatoires.

Recettes publicitaires

À l’heure actuelle, le modèle économique du groupe repose presque exclusivement sur la publicité en ligne, qui représente pas moins de 98% de ses revenus. Pour soutenir sa croissance, Meta s’est récemment appuyé sur une augmentation significative du prix de ses annonces, une stratégie dont l’essoufflement à long terme est inévitable.

De plus, l’adoption d’un modèle de modération plus permissif, inspiré de celui de X, n’est pas sans risque. L’exemple d’Elon Musk est édifiant : selon une enquête d’eMarketer, les revenus publicitaires de X ont chuté de plus de moitié entre 2022 et 2024, à la suite du départ de nombreuses marques inquiètes de voir leur image associée à des contenus problématiques ou haineux. Musk, qui a dénoncé ce qu’il considère comme un “boycott illégal”, est même allé jusqu’à engager des poursuites contre certaines entreprises et organisations ayant déserté le réseau.

Trop d’incertitudes ?

Les analystes de BNP Paribas Exane considèrent ainsi le rapprochement de Meta avec Donald Trump “comme un pari politique complexe, offrant un potentiel de retombées positives à court terme, mais comportant également des risques à moyen terme”.

Outre l’impact sur les revenus publicitaires, la question du potentiel d’utilisateurs conservateurs se pose également. Truth Social, le réseau de Donald Trump, végète à environ 5 millions d’utilisateurs mensuels. X en revendique 600 millions, mais ce chiffre est gonflé selon différentes sources comme Sensor Tower qui l’évaluait à 318 millions en octobre dernier. En comparaison, Instagram compte plus de 2 milliards d’utilisateurs et Facebook, 3 milliards.

Combiné aux interrogations structurelles concernant les investissements dans le métavers et la monétisation de ses avancées dans l’IA, le titre combine de nombreuses incertitudes pour les cinq prochaines années.

Alternatives dans l’IA

Au printemps dernier, Mark Zuckerberg affirmait que les “investisseurs intelligents” étaient conscients des opportunités offertes par l’IA et le métavers, même si les retours financiers ne se concrétisent que dans plusieurs années.

Aujourd’hui, ces mêmes investisseurs intelligents pourraient s’interroger sur la pertinence d’abandonner une certaine forme de neutralité politique, Meta se contentant par le passé de réajuster sa stratégie de manière incrémentale pour s’adapter à l’état de la société et à l’administration en place. Alors que le second mandat de Donald Trump vient à peine de débuter, Mark Zuckerberg semble avoir considérablement complexifié toute éventuelle réorientation vers une future administration démocrate.

En résumé, bien d’autres entreprises permettent aujourd’hui de miser sur le potentiel de l’IA sans encourir tous les risques propres à Meta. Les plus connus sont évidemment Amazon, Microsoft, Alphabet et Nvidia. Mais d’autres titres méritent d’être épinglés, comme les géants des semi-conducteurs TSMC (fonderies), ASML (équipements de production) et Broadcom (puces d’IA). Ainsi que Marvell Technology, Arista Networks et Micron Technology qui vendent respectivement des accélérateurs, commutateurs réseaux et puces mémoire indispensables aux centres de données IA.

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