Comment “gagner en bourse sans se fatiguer” ? 

Yoran Brondsema (crédit : Getty Images, Yoran Brondsema)

Selon un nouveau livre, investir de manière passive serait la meilleure stratégie pour faire fructifier son capital sur le long terme. De quoi s’agit-il, et dans quoi faut-il investir ? Entretien avec l’un des auteurs, Yoran Brondsema.

Avec 15.000 exemplaires vendus en Flandre et aux Pays-Bas, le “guide pratique des ETF” de Yoran Brondsema et Tim Nijsmans est désormais disponible en français. Le co-fondateur de l’application d’investissement Curvo et le conseiller financier indépendant expliquent dans leur ouvrage que la clé de la réussite en bourse, c’est l’investissement passif.

De quoi s’agit-il ? En résumé, il serait très difficile de choisir tout le temps les bonnes actions, c’est-à-dire celles qui vont exploser et surperformer le marché. Même des investisseurs professionnels ne peuvent pas y parvenir à répétition. Alors, autant suivre l’évolution du marché global, sans se fatiguer à chercher la prochaine Nvidia. Les auteurs conseillent ainsi de miser sur les ETF (des fonds dont les parts se négocient en bourse, comme des actions), aussi appelés fonds indiciels ou trackers.

Quelles sont les bases d’un ETF ? Qu’est-ce que c’est, et pourquoi est-ce que cela marcherait ?

Yoran Brondsema : “Un ETF est un peu comme un fonds classique que l’on peut acheter en banque. Mais la particularité est que la plupart des ETF suivent un indice. On parle alors plus de fonds passifs. Et un indice est une mesure qui suit la performance d’un marché : le BEL 20 mesure par exemple la performance du marché des actions belges, avec les 20 plus grosses entreprises cotées en Belgique. En France, c’est le CAC40 ou aux États-Unis le S&P 500.

Si on achète un fonds auprès d’une banque, il sera géré activement. Des gestionnaires de fonds et des analystes essayent d’être plus intelligents que les autres et d’acheter certaines actions au bon moment ou d’en vendre d’autres avant qu’elles baissent. Un ETF suit un indice : ce fonds comprend donc juste les entreprises qui sont dans cet indice. Les données montrent que les performances d’un tel ETF sont en moyenne supérieures au rendement d’un fonds actif. Une raison de cette différence est notamment le coût. Chez une banque, le gestionnaire de fonds est bien payé, les analystes aussi, il y a tous les bâtiments des banques qui doivent être payés, avec leurs escaliers en marbre (rires). Au final, c’est le consommateur qui paie cela. Alors que pour le fonds indiciel, comme l’ETF est aussi appelé, c’est super simple. Il y a toutes les actions qu’il y a dans l’indice. Il y a régulièrement une mise à jour de l’indice, avec certaines boîtes qui sortent et d’autres qui rentrent, et la pondération change avec les variations de la valorisation, et c’est tout. Les frais sont donc beaucoup plus bas que pour les fonds actifs, et le rendement est donc nettement supérieur.

Il y a d’autres avantages, comme la diversification, qui est énorme. Surtout si on investit dans les fonds qui suivent des indices mondiaux. Comme le MSCI All Country World Index ; on investit alors dans des milliers d’entreprises présentes dans une cinquantaine de pays. Grâce à cette diversification, il y a un meilleur rendement, et on minimise les risques.”

Dans le livre vous recommandez notamment des ETF qui suivent le MSCI World et le S&P 500, mais vous déconseillez les ETF qui suivent des indices sectoriels ou des marchés plus petits, comme le BEL 20 et le CAC40 par exemple.

“Oui, le problème des marchés plus petits, c’est le manque de diversification. Si on investit par exemple que dans le Bel 20… La Belgique ne représente que 0,4% de l’économie mondiale, ou même moins. On laisse alors de côté plus de 99% de la potentielle croissance de l’économie mondiale. Ensuite, on s’expose aux dangers d’une crise qui toucherait uniquement la Belgique, par exemple. Elle toucherait très fortement notre portefeuille. Alors que si on est diversifié à travers le monde, s’il y a une crise dans un pays spécifique, cela n’aura pas trop d’impact sur l’ensemble du portefeuille.

Pour ce qui est sectoriel… Les émetteurs de fonds jouent beaucoup là-dessus, parce que c’est bon pour le marketing (rires). Mais pour moi c’est de l’investissement actif en fait. Dire que tel secteur va surperformer les autres, c’est une opinion active. Je trouve que c’est dangereux. On l’a souvent vu par le passé, par exemple avec les compagnies aériennes dans les années 50-60. On se disait que c’était le futur. Les vols civils allaient exploser… Et c’était effectivement le cas. Aujourd’hui c’est tout à fait possible pour tout le monde de prendre un vol, notamment avec les compagnies low cost… Mais au final, la plus-value qui a été créée est revenue aux consommateurs, sous forme de prix bas des billets. Mais si on regarde le cours des compagnies, ce n’était vraiment pas un bon investissement. La valeur n’est pas allée du côté des investisseurs. C’est quelque chose que les gens oublient. On le voit à chaque fois qu’il y a une hype, par exemple aujourd’hui avec l’intelligence artificielle. Évidemment qu’elle va encore grandir et qu’elle va devenir de plus en plus importante. Mais cela ne veut pas nécessairement dire qu’elle va être un bon investissement.”

Mais est-ce que de tels ETF plus spécifiques pourraient être intéressants, s’ils représentent une partie plus petite du portefeuille, par exemple, et qu’on l’ajuste en fonction de l’évolution du marché et de l’économie ?

“Oui, tout à fait, et c’est aussi une approche dont on discute dans le livre. Elle s’appelle la stratégie du “noyau-satellite”. En tant qu’humain, on a vraiment une nécessité d’être actif… être 100% passif et ne suivre que les fonds indiciels n’est pas forcément dans notre nature. Donc oui, laisser une petite partie dans son portefeuille pour faire ce qu’on veut et acheter ce qu’on pense va nous ramener plus de rendement, on peut le faire. Cela permet de satisfaire ce côté actif sans que cela impacte trop la valeur totale du portefeuille.”

Comment est-ce qu’on construit alors un portefeuille diversifié avec des ETF ?

“L’erreur que font beaucoup de gens, c’est d’achèter leur premier ETF sans vraiment savoir quoi acheter. La première question à se poser est donc : pour combien de temps est-ce que je veux investir ? L’horizon de placement va en fait définir le risque qu’on peut prendre, et donc la proportion d’actions et d’obligations. Les ETF d’actions sont la partie du portefeuille qui va donner du rendement. Mais le rendement est lié au risque, donc il y a plus de volatilité. Les actions peuvent plus facilement se casser la figure, mais aussi plus facilement remonter de manière extraordinaire. Si on a un horizon de placement très long, par exemple dix ans ou plus, et qu’on a une tolérance psychologique au risque, on peut se dire qu’on va investir dans un seul ETF. Dans le livre, on appelle cela la stratégie “globetrotteur”, parce qu’on achète un ETF qui suit le MSCI All Country World Index.

Mais si on veut investir pendant moins longtemps, et si on ne veut pas trop se stresser avec les risques, on peut également investir dans un ETF obligataire. Le ratio dépend du risque qu’on veut prendre. Si on est prêt à prendre du risque, on peut opter pour 70% dans un ETF d’actions et 30% dans un ETF obligataire. Ou si on ne veut vraiment pas de volatilité, on peut faire l’inverse. La réflexion doit commencer là. Une fois qu’on a défini cette proportion, on peut aller acheter des ETF pour implémenter cette stratégie. On donne plusieurs modèles dans le livre, et l’idée c’est qu’il n’y a pas qu’une seule manière d’investir passivement. Chacun doit trouver le portefeuille qui lui convient le mieux selon sa personnalité, sa psychologie et ses objectifs.”

Pourriez-vous résumer ces différents types d’investisseurs ?

“Il y a le “globetrotteur”, comme on vient de dire, qui est le portefeuille le plus simple. C’est juste un ETF d’actions, très diversifié. C’est pour quelqu’un qui a un long horizon de placement, comme des jeunes, et qui a une tolérance au risque. Après, on a le “duo dynamique”, avec une partie actions et une partie obligations. Un autre encore est le portefeuille “engagé”, c’est une version durable du globetrotteur. La durabilité et l’investissement, c’est encore tout un autre sujet, mais en gros, on a retenu des fonds où certains secteurs sont exclus, comme les constructeurs d’armes, le pétrole et les jeux d’argent.”

A quoi faut-il faire attention en matière de fiscalité quand on investit dans les ETF ?

“En Belgique, il y a plusieurs taxes qui sont pertinentes pour les investisseurs. La plus importante est la taxe boursière. Il faut la payer à chaque fois qu’on achète ou qu’on vend un ETF. C’est un pourcentage de la transaction qui varie entre 0,12 et 1,32%. Les règles sont très complexes et vagues… à tel point que pour un même ETF, différents courtiers affichent une taxe différente. A la belge, quoi (rires). Mais en gros, il faut opter pour les ETF qui ne sont pas domiciliés en Belgique (la plupart sont domiciliés à l’étranger, NDLR), car ils ont d’office le taux bas de la taxe. Ce qui peut paraître contradictoire, mais c’est comme ça.

L’autre taxe importante, c’est la taxe sur les dividendes, ou précompte mobilier. Elle est de 30%. Cela impacte le choix des ETF. Parce qu’il y a deux variantes : les fonds distribuants, où les dividendes sont versés à l’investisseur directement. Là, cette taxe s’applique. Puis, il y a la variante capitalisante, où le fonds réinvestit les dividendes. Il ne faut pas payer la taxe. Opter pour les ETF capitalisants peut donc être important, et c’est aussi plus adapté à la philosophie passive.

Et il y a une troisième taxe, ou non-taxe : il n’y a pas de taxe sur les plus-values des ETF d’actions en Belgique. C’est assez unique. Cela veut dire que si on investit aujourd’hui dans un ETF qui vaut 100 euros, et qu’on le vend dans 30 ans quand il en vaudra 1.000, on ne doit pas payer de taxes sur les 900 euros qu’on a gagné. C’est un des seuls avantages très positifs en ce qui concerne la fiscalité en Belgique. Cela rend donc l’investissement dans les ETF d’autant plus intéressant.”

Vous parlez d’investir tous les mois… Mais l’ETF est un produit vendu en bourse, donc on doit aller soi-même l’acheter en bourse tous les mois. Est-ce que cela peut alors être difficile de placer le même montant tous les mois, sachant que la valeur peut augmenter et dépasser le montant qu’on veut investir par mois ?

“Il y a certains courtiers qui offrent des plans d’épargne, où l’investissement est semi-automatisé. Mais pour la plupart des courtiers, peut-être même tous en Belgique, on est obligé de faire ses achats soi-même, manuellement. Mais on peut faire un ordre permanent vers son compte investissement. Pour ce qui est du prix qui change, certains courtiers commencent à proposer des fractions d’ETF, donc on peut acheter des parts d’un ETF, si le prix total dépasse notre budget. Mais tous ne le font pas. Dans ce cas-là, on n’a pas d’autre choix que d’attendre et d’accumuler des fonds. Au lieu d’investir tous les mois, on investit une fois tous les deux mois ou une fois par trimestre.

Beaucoup de gens font cela d’ailleurs, pour minimiser les frais de transaction. Les courtiers prennent des commissions pour les achats, et il y a souvent un seuil minimum. Cette commission a donc un plus grand impact sur le rendement si on investit de plus petites sommes. Espacer les investissements à tous les trimestres ou semestres peut donc être une bonne stratégie pour minimiser les coûts, et sur le long terme cela n’a pas de grand impact sur la valeur même de l’investissement.”

Le rendement dépend alors également du courtier qu’on choisit. Certains ont des frais plus bas, mais d’autres sont beaucoup plus chers.

En effet, et ce qui est embêtant aussi c’est que la plupart des courtiers à bas prix sont étrangers. Donc ils ne retiennent et ne déclarent pas les impôts pour vous, et ne déclarent pas votre compte étranger à la Banque nationale. C’est bon marché, mais on s’expose à un risque. Si on ne fait pas les bonnes démarches, qu’on ne remplit pas les bons formulaires et qu’on ne fait pas les bons calculs, le fisc pourrait venir toquer chez vous.

Comment investit-on durablement, avec un ETF ?

“C’est quelque chose qui gagne en ampleur, ces dernières années. Pour moi c’est positif, essayer de minimiser les investissements dans des entreprises qui ne sont pas durables pour les inciter à opérer d’une manière qui est meilleure pour la planète. Mais l’efficacité n’est pas encore claire : pour chaque euro que vous n’investissez pas, quelqu’un d’autre n’aura peut-être pas de problème à en investir deux. L’autre problème c’est que pour les émetteurs de fonds c’est quasiment que du marketing. Il y a des milliers de variantes d’ETF durables qui sont sortis… et il y a pas mal de greenwashing qui se fait aussi.

C’est une zone grise en fait, les définitions de la durabilité restent très subjectives. Si on demande à cinq personnes différentes ce qu’est une entreprise durable on aura cinq réponses différentes. Les agences de rating qui donnent des scores de durabilité aux entreprises ont des avis très différents aussi. Une entreprise peut par exemple recevoir un A d’une agence, mais un C ou un E d’une autre.

Puis l’investissement passif rime un peu moins avec l’investissement durable. L’investissement actif un peu plus, parce que si on a de très fortes convictions de durabilité, on ne va pas laisser un indice prendre les décisions pour nous. Il faut commencer à zéro et choisir les entreprises avec lesquelles on est d’accord. Finalement, de ce qu’on voit, la plupart des investisseurs aiment d’ailleurs bien une touche de durable, mais ce n’est pas super important pour eux non plus.”

Quand on est investisseur passif, comment faut-il s’y prendre pour ne pas se laisser tenter par tout le bruit autour de la bourse, comme les fluctuations dans son portefeuille ou encore des avis des commentateurs qui voient tel ou tel actif exploser ou s’effondrer ?

“Une chose qu’on recommande, c’est de désinstaller l’application du courtier et de faire ses achats uniquement sur le pc. Parce que c’est tellement facile d’ouvrir son application quand on attend les transports par exemple, et de se laisser tenter pour vendre parce qu’on a lu que le marché pouvait chuter et qu’il fallait vendre. Ou d’acheter. C’est dans ces moments-là qu’on réagit fort émotionnellement, et les décisions seront plus basées sur les émotions que sur la raison. Enlever l’application de son téléphone peut déjà être un bon conseil. Et essayer de regarder le cours de notre portefeuille au minimum, parce que les évolutions au jour le jour ne sont que du bruit et de la volatilité. Les gains se font vraiment sur le long terme.”

Pour en savoir plus

“Gagner en bourse sans se fatiguer. Le guide pratique des ETF”

Auteurs : Yoran Brondsema, Tim Nijsmans

Éditions Racine

Prix : 24,95 euros

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