Ce qui se joue derrière la menace de TotalEnergies de déménager à Wall Street
La semaine dernière, le volubile Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, a lancé un énorme pavé dans la mare du CAC40, en annonçant la possibilité, pour le géant pétrolier français, de déménager à New York. Depuis, l’Élysée et Bercy sont en ébullition. Le PDG accuse les normes ESG qui envoient un mauvais signal aux actionnaires européens.
“Est-ce que l’intérêt suprême de la nation est de garder le siège social et la cotation principale de Total en France ? Oui, et donc je me battrai pour ça.” La réaction sur BFMTV de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, en dit long sur le sérieux avec lequel cette question est traitée par l’exécutif français. Emmanuel Macron n’a pas encore réagi directement à la sortie de Patrick Pouyanné, la semaine dernière, mais dans l’entourage du président, il est clair que ce changement de cotation en bourse doit rester au stade de la simple menace. Dans Les Echos, une source proche du président rappelle d’ailleurs subtilement le rôle des pouvoirs publics dans l’obtention d’un certain nombre de contrats pour TotalEnergies. Entre les lignes, on comprend que l’énergéticien fait partie de ces entreprises qui sont trop stratégiques que pour filer à l’étranger. “Too big to move“, à l’instar d’ASML aux Pays-Bas, qui s’est résolue à y rester, à la suite d’une danse du ventre à 2,5 milliards d’euros des pouvoirs publics.
Précision importante : l’intention de TotalEnergies n’est pas de déplacer son siège aux États-Unis et d’y profiter du plantureux IRA. On parle ici d’un déménagement de place boursière, à Wall Street, où TotalEnergies est par ailleurs indirectement présente, via un certificat de dépôt. Pourquoi ? “Ce n’est pas une question d’émotion, a répondu Pouyanné sur Bloomberg, mais une question d’affaires”. Par rapport à ses concurrents du secteur, en particulier américains, TotalEnergies est largement sous-cotée. De 50% face à ExxonMobil, par exemple.
Normes ESG et ISR
La tendance est également à un sous-investissement en Europe, là où l’actionnariat américain de TotalEnergies gagne en importance. Les chiffres sont sans appel : la part de l’actionnariat nord-américain est passée de 34% à 47% entre 2012 et 2023, tandis que celle de l’Europe (hors Royaume-Uni) est passée de 45% à 34%. La part des actionnaires français a aussi baissé de 7% sur les quatre dernières années.
Les normes ESG et le label ISR (Investissement socialement responsable, en France) expliqueraient cette “frilosité” des actionnaires européens pour TotalEnergies, dont deux tiers des investissements restent liés aux hydrocarbures, soit 10 milliards d’euros, contre 5 milliards d’euros pour l’électricité décarbonée. C’est en tout cas le reproche qui est mis sur la table par le PDG. Le message des autorités publiques européennes nuirait aux intérêts de TotalEnergies : “En Europe, au lieu de soutenir les entreprises européennes qui veulent faire cette transition, même si c’est difficile, ils nous regardent et nous disent : regardez, vous continuez à produire du pétrole et du gaz.”
L’investisseur américain est lui beaucoup moins regardant sur la question des hydrocarbures. De plus, il a les poches relativement pleines. L’économie américaine se porte à merveille, et l’Américain épargne peu et investit beaucoup. “Préfèrent-ils des actions dont la cotation principale est à New York ou en Europe ? Je crois que quand vous posez la question, vous avez la réponse”, a ajouté le patron de TotalEnergies.
Taxes et audition
Le moment choisi par Pouyanné pour effectuer sa sortie ne peut pas être le fruit du hasard. Des discussions sont en cours concernant deux taxations qui touchent directement l’énergéticien. D’abord, la taxe sur les rachats d’action, largement usités par TotalEnergies, qui rien que l’année dernière a racheté pour 8,2 milliards d’euros d’actions. Ensuite, la taxe sur “les surprofits” qui pourrait se limiter aux producteurs d’électricité.
Enfin, en début de semaine, Patrick Pouyanné était auditionné par une commission sénatoriale menée par l’écologiste Yannick Jadot. En place depuis quatre mois, cette commission vise à savoir si les politiques publiques menées par l’État français sont suivies par TotalEnergies, en identifiant les efforts réellement fournis par le géant énergétique en faveur de la transition énergétique.
Le patron de TotalEnergies a clairement indiqué que la croissance future de l’entreprise se situait dans l’électricité, mais que pour le moment, les profits qui sont réalisés sont le fruit des hydrocarbures, dont la demande est toujours en croissance, soutient-il. En résumé, l’un doit financer l’autre.
À propos d’une éventuelle cotation à Wall Street, le PDG affirme regarder “la réalité du marché” et “constate que les entreprises énergétiques européennes sont très largement décotées par rapport aux entreprises américaines, c’est le patron de Shell qui l’a affirmé en premier. Nous avons exactement les mêmes résultats que Chevron au premier trimestre. Sa valorisation est de 330 milliards quand elle est de 200 milliards pour TotalEnergies. C’est la différence entre le marché américain et européen”.
“Si j’observe un nouvel engouement des actionnaires européens, je serais ravi de garder la cotation à Paris, mais ce n’est pas ce que je vois actuellement”. Pour Pouyanné, le coupable ne fait aucun doute : “Ce sont les normes ESG qui envoient un mauvais signal et mettent la pression sur les actionnaires européens.”
Le patron de TotalEnergies prendra sa décision finale au mois de septembre.
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