L’été qui a tout changé: les sources d’inquiétude se multiplient pour les marchés boursiers

Il y a encore à peine quelques mois, la direction des marchés boursiers était extrêmement facile à appréhender. Si les chiffres de l’inflation étaient supérieurs aux prévisions, la crainte de tensions inflationnistes plus durables et d’un maintien des taux d’intérêt à un niveau élevé pesait sur la tendance. Inversement, tout indicateur confirmant l’avancée du processus de désinflation renforçait le scénario idéal d’un atterrissage en douceur de l’économie.

Récession et “carry trade”

La situation a bien évolué depuis lors. La dégradation du marché de l’emploi américain, avec la hausse du taux de chômage à un plus haut depuis la pandémie, a ravivé les craintes de récession. Pour être bien accueilli, un indicateur économique doit désormais être ni trop bon (au risque de ranimer les tensions inflationnistes) ni trop mauvais. Un véritable jeu d’équilibriste, a fortiori sachant que de nombreux indicateurs très suivis et très influents sont des sondages. Par exemple, le chiffre des créations d’emplois mensuelles aux États-Unis, rendez-vous incontournable chaque premier vendredi du mois, affiche une marge d’erreur de 130.000 unités.

En outre, les marchés blêmissent à tout éternuement du yen après l’épisode des carry trades de début août. Pour rappel, ces opérations consistent pour des hedge funds à emprunter des capitaux en yens à taux très bas afin de les investir dans des actifs plus rémunérateurs (devises offrant des taux plus élevés, obligations, actions ou même bitcoin). La hausse de la monnaie nippone cet été, après la décision de la Banque du Japon de relever ses taux, a provoqué un dénouement massif de ces positions qui a fait vaciller les marchés mondiaux.

“Aujourd’hui, au regard des cours du prix du baril, le risque d’embrasement au Moyen-Orient n’est pas intégré par les marchés.”

Delphine Wykes

BNP Paribas Fortis

Un épisode qui a également ramené à l’avant-plan toute une série de tensions géopolitiques, allant de la guerre en Ukraine au conflit commercial avec la Chine. Ces dernières sont même accentuées par la perspective des élections de début novembre aux États-Unis, les Américains devant choisir entre deux candidats diamétralement opposés : l’égérie d’une Amérique ouverte Kamala Harris et le sulfureux businessman Donald Trump.

Donald Trump ou Kamala Harris

“Les marchés sont historiquement assez nerveux en septembre-octobre dans une année d’élections”, précise Delphine Wykes, responsable de l’allocation d’actifs chez BNP Paribas Fortis. “Les discours et les programmes peuvent influencer les tendances boursières. Par exemple, Donald Trump est un fervent défenseur d’une plus grande déréglementation, notamment du secteur bancaire, et des baisses d’impôts des sociétés instaurées lors de son premier mandat. Il veut également s’affranchir des engagements de production d’énergie propre et se montre particulièrement virulent en matière de commerce international, risquant d’accentuer la guerre commerciale avec la Chine et d’en ouvrir une avec l’Europe.”

À l’opposé, “Kamala Harris ambitionne de gonfler le pouvoir d’achat de la classe moyenne et des faibles revenus. Elle ne prolongerait pas les baisses d’impôts des sociétés et devrait proposer d’augmenter les taxes sur les rachats d’actions et les plus fortunés.”

Etienne de Callataÿ © Belga images

Pas si différents ?

Etienne de Callataÿ, cofondateur et économiste en chef d’Orcadia Asset Management, estime toutefois que la victoire de l’un ou l’autre candidat ne devrait pas avoir d’impact majeur sur les Bourses. “Si Donald Trump et Kamala Harris sont foncièrement différents en matière de droits humains, leurs programmes économiques ne sont pas si éloignés. La candidate démocrate s’inscrit dans le sillage de Joe Biden qui a repris à son compte les thématiques trumpiennes en matière de commerce international. Les entreprises sont également choyées par l’administration Biden, bénéficiant de tombereaux de subsides dans le cadre de la transition vers une économie décarbonée.”

Vincent Juvyns, stratégiste des marchés mondiaux chez JP Morgan Chase, épingle également qu’aucun des deux candidats ne devrait réellement porter préjudice aux deux secteurs clés de l’économie américaine : les technologies et l’énergie. “Les républicains sont plus clivants, mais les directions des deux partis ne sont pas différentes en ce qui concerne les thèmes économiques. De plus, le contexte international a également un impact prépondérant comme en témoigne l’évolution du secteur de l’énergie. Durant le premier mandat de Donald Trump, les énergies renouvelables se sont illustrées en Bourse grâce aux engagements de nombreux pays en faveur d’une réduction des émissions. A contrario, la production de pétrole aux États-Unis a bondi à de nouveaux records sous Joe Biden.”

Les Sept Fantastiques

Il serait toutefois prématuré d’en conclure que les marchés sont à l’abri de mauvaises surprises. Etienne de Callataÿ souligne ainsi que de nouvelles secousses ne sont pas à exclure dans le secteur bancaire. “Certains établissements ont octroyé massivement des crédits hypothécaires grâce à une épargne abondante et bon marché. Ils risquent désormais de se retrouver confrontés à un problème de rentabilité maintenant que leurs passifs (financements) leur coûtent plus cher mais que leurs actifs (crédits octroyés) sont basés sur des taux historiquement bas.”

L’économiste d’Orcadia AM s’avoue aussi mal à l’aise avec les valorisations très élevées des géants technologiques. Les Sept Fantastiques (Apple, Meta, Nvidia, Tesla, Amazon, Alphabet et Microsoft) cotent actuellement 35 fois les bénéfices prévus pour cette année en moyenne, plus du double des 493 autres entreprises de l’indice américain élargi S&P 500.

“Les marchés tablent sur une poursuite de la croissance de ces géants, combinée au maintien de leurs marges élevées alors qu’historiquement on observe plutôt l’inverse, analyse Etienne de Callataÿ. Quand un marché se développe, de nouveaux acteurs apparaissent, renforçant la concurrence et limitant la rentabilité.”

Un constat que Vincent Juvyns tempère quelque peu. “Les Sept Fantastiques sont valorisés pour la perfection, mais ils sont parvenus à atteindre cette perfection jusqu’à présent avec une croissance bénéficiaire de 30% cette année, des bilans extrêmement solides gonflés de cash et une poursuite de leurs investissements destinés à soutenir leur croissance future.” Dans l’absolu, ces sept géants devraient générer plus de 420 milliards de dollars de profits cette année

Les marchés tablent sur une poursuite de la croissance de ces géants, combinée au maintien de leurs marges élevées alors qu’historiquement on observe plutôt l’inverse”

Etienne de Callataÿ.


Dette publique

Le spécialiste de JP Morgan Chase se montre plus inquiet de l’évolution des finances publiques. “Depuis 2008, les pouvoirs publics sont intervenus à plusieurs reprises pour soutenir les ménages et les entreprises, que cela soit lors de la crise financière, de la pandémie de covid ou de l’envolée des prix de l’énergie en 2022. Aujourd’hui, les risques se concentrent ainsi davantage sur les finances publiques alors que le secteur privé apparaît assez solide.”

Même si les dettes publiques n’ont pas trusté l’actualité ces derniers temps, Delphine Wykes rappelle que la “dissolution de l’Assemblée nationale en France et le risque de dérapage budgétaire ont fait grimper le coût de financement du pays”. Et “n’oublions pas que sept États membres de l’Union européenne font aujourd’hui l’objet d’une procédure pour déficit excessif”, poursuit Vincent Juvyns.

Banques centrales

Etienne de Callataÿ se montre plus rassurant par rapport à l’endettement public. “Les marchés se détournent assez largement du problème à raison. Les banques centrales ont démontré à plusieurs reprises qu’elles maintiendraient le coût du crédit à des niveaux supportables pour les États. Ce qui explique d’ailleurs que le taux réel (taux diminué de l’inflation, ndlr) demeure structurellement très bas.”

D’aucuns pourraient arguer que les États sont ainsi devenus accros à l’argent bon marché, mais “pour les banques centrales, cela n’aurait pas de sens de tuer l’économie pour guérir les États” de leur addiction. “Mario Draghi, ancien président de la BCE, a d’ailleurs proposé un plan d’investissement paneuropéen de 800 milliards d’euros par an pour financer l’innovation, la transition verte et la défense.”

L’économiste en chef d’Orcadia AM précise toutefois que cette rhétorique s’applique uniquement aux gouvernements nationaux. “Les banques centrales ont fait le nécessaire pour sauver la Grèce ou aider les États à maintenir l’économie sous perfusion lors de la pandémie, mais elles n’ont pas bougé le petit doigt pour les entités locales comme Porto Rico ou quelques comtés américains et villes britanniques. Une différence que la Wallonie ou la fédération Wallonie-Bruxelles ne doivent pas perdre de vue chez nous.”

Menaces à long terme

Delphine Wykes, responsable de l’allocation d’actifs chez BNP Paribas Fortis.

Outre ces risques bien présents, les spécialistes que nous avons interrogés épinglent également d’autres menaces à long terme. “La polarisation du monde est certainement un game changer, notamment pour la gestion des chaînes d’approvisionnement, pointe ainsi Delphine Wykes. Aujourd’hui, au regard des cours du prix du baril, le risque d’embrasement au Moyen-Orient n’est pas intégré par les marchés si ce n’est l’évolution de l’or qui a atteint un plus haut historique.” “Un autre point d’attention structurel est l’évolution du marché du travail en parallèle des nouvelles technologies afin de garder un équilibre entre offres et demandes d’emplois”, ajoute la responsable de l’allocation d’actifs chez BNP Paribas Fortis.

Etienne de Callataÿ retient pour sa part surtout la menace d’un “racrapotement” de l’économie mondiale du fait du dérèglement climatique et de la perte de biodiversité. Comment évoluera le PIB mondial avec un réchauffement de 3 °C, synonyme de catastrophes naturelles en série, de difficultés de production de denrées agricoles, de manque d’eau pour refroidir les centrales électriques ? Plus que jamais, ne rien faire est l’option la plus coûteuse”.


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