Bourse : qui sera le prochain Lotus Bakeries?
A mille lieues des innovations technologiques, Lotus Bakeries et Monster Energy ont basé leurs extraordinaires performances boursières sur un produit courant et apprécié des consommateurs. Leur potentiel de marché est toutefois plus réduit aujourd’hui.
Quelles ont été les meilleures actions européennes des 20 dernières années? D’instinct, beaucoup répondraient le leader du luxe LVMH ou le groupe biopharmaceutique danois Novo Nordisk, désormais première capitalisation boursière européenne. Vous pourriez aussi penser à ASML, rare entreprise européenne à disposer d’un leadership mondial dans le secteur technologique. Ces trois géants sont pourtant largement supplantés par une entreprise bien belge n’ayant même pas (encore) reçu sa place dans le Bel 20: Lotus Bakeries.
L’action du biscuitier a progressé de 12.845% depuis 2003, son cours étant passé de 55 à plus de 7.000 euros. “Ce succès s’est dessiné dès les années 1990 et 2000, pointe Kris Kippers, analyste chez Degroof Petercam. A l’époque, la famille fondatrice décide de créer une marque globale pour s’imposer dans le secteur des snacks.” Ce qui passe par plusieurs décisions comme le regroupement de l’ensemble de la gamme sous la marque Lotus. Cette dernière opération avait même fait basculer les comptes du groupe dans le rouge en 2001.
Parallèlement, Lotus Bakeries multiplie aussi les initiatives visant à accélérer son développement à l’international. “Les accords conclus avec des compagnies aériennes étaient certes peu, voire pas rentables, mais lui ont assuré une grande visibilité” et des clients très fidèles. Au point que quand United Airlines décide en février 2020 de remplacer les Biscoff (spéculoos) par des Oreo, la compagnie fait face à un déluge de clients mécontents. “You can take my leg room, but you can never have my Biscoffs (vous pouvez réduire l’espace pour mes jambes, mais pas toucher mes Biscoff)”, titra même Leslie Suter, une célèbre journaliste culinaire aux Etats-Unis.
Sur un nouveau marché, Lotus Bakeries recourt d’abord à des distributeurs indépendants. Mais dès que les volumes écoulés sont suffisants, il développe une structure interne.” Kris Kippers (Degroof Petercam)
En 2008, Lotus Bakeries a profité de l’expo universelle de Shanghai pour faire découvrir le spéculoos aux Chinois en en distribuant à chaque visiteur de l’expo et dans les supermarchés de la plus grande mégalopole chinoise (en termes d’habitants).
Evidemment, un succès entrepreneurial ne se construit pas uniquement sur la croissance, mais nécessite aussi de générer des bénéfices. “Pour améliorer sa rentabilité, Lotus Bakeries a commencé par spécialiser ses usines dès les années 2010, pointe Kris Kippers. Ce qui en améliore l’efficacité.”
Au niveau commercial, le biscuitier de Lembeke a arrêté la production pour tiers (marques de distributeurs, etc.) aux marges nettement plus réduites et a également fait évoluer son réseau de distribution à l’international. “Sur un nouveau marché, Lotus Bakeries recourt dans un premier temps à des distributeurs indépendants. Mais dès que les volumes écoulés sont suffisants, il développe une structure interne, ce qui lui permet de conserver une part plus importante du prix de vente et mieux gérer sa stratégie commerciale locale”, poursuit l’analyste.
Enfin, Lotus Bakeries a pu générer peu à peu des économies d’échelle (prix d’achat, réseaux, etc.), qui se sont encore amplifiées avec les rachats du spécialiste néerlandais du pain d’épices Peijnenburg (2006) et du biscuitier suédois Pepparkakor (2008).
Deux pôles de croissance
Ces acquisitions n’ont toutefois pas stimulé la croissance selon Kris Kippers. “Au contraire, les volumes écoulés ont même plutôt tendance à baisser.” La très forte croissance des ventes, qui a de nouveau atteint 20% au premier semestre, est basée sur deux autres pôles.
“Historiquement, le premier vecteur de croissance de Lotus Bakeries est l’internationalisation du spéculoos, devenu Biscoff, et de tous les produits dérivés (pâte de spéculoos, glaces, etc., Ndlr). Le deuxième est plus récent. En 2015, le groupe flamand a repris deux jeunes entreprises britanniques actives dans les encas naturels, ce qui lui a permis de mettre la main sur des marques comme Nākd, Trek ou Bear. Leurs ventes étaient alors encore assez limitées, mais la forte croissance des années suivantes a entièrement dissipé les doutes sur le potentiel élevé de ce nouveau segment naturel.”
Ces deux pôles sont véritablement à l’origine du succès de Lotus Bakeries en Bourse, la combinaison d’une forte croissance, d’un bilan sain et de marges bénéficiaires en amélioration ayant aiguisé l’appétit des investisseurs.
Performance monstre
Lotus Bakeries n’est pas le seul exemple d’entreprise active dans un secteur classique parvenant à damer le pion aux leaders de la high-tech. Aux Etats-Unis, le cours du spécialiste des boissons énergisantes Monster Beverage a été multiplié par 1.188 depuis le début de ce siècle. Un investissement de 1.000 dollars vaudrait ainsi près de 1,2 million de dollars aujourd’hui!
Comme le biscuitier belge, Monster Beverage a une longue histoire remontant aux années 1930 et a connu des débuts plutôt modestes. Alors que les trois frères Boone écoulaient leur production artisanale de pain d’épices et de spéculoos, Hubert Hansen et ses trois fils vendaient des jus de fruits frais. Hansen Foods n’est toutefois pas resté dans le giron familial, devant déposer le bilan en 1988. La société change de main et est finalement reprise par un groupe d’investisseurs dont Rodney Sacks, toujours PDG de l’entreprise depuis plus de 30 ans. Initialement centré sur les produits naturels, Hansen Natural lance Monster en 2002, au vu du succès de Red Bull notamment, et change de nom en 2012.
Au premier semestre, la croissance de Monster est restée soutenue à 12%. Mais l’action n’a pas échappé à la correction généralisée et a perdu plus de 20% depuis ses sommets de mai dernier. Ce qui a ramené la valorisation à un niveau un peu plus raisonnable de 30 fois les bénéfices prévus pour 2023. Les analystes sont ainsi plutôt confiants (avis moyen d’achat et objectif de 61,55 dollars). Cependant, les perspectives de développement sont limitées par le ralentissement de la croissance du marché des boissons énergisantes et la domination de Red Bull et Monster (plus de 80% du marché mondial). Monster a certes développé un second pôle de croissance dans les boissons alcoolisées The Beast (hard seltzers dérivés du Monster) et le rachat de CANarchy (bières artisanales et hard seltzers), mais ce segment ne pesait toujours que 3% du chiffre d’affaires au deuxième trimestre.
L’action Lotus Bakeries est pour sa part valorisée à des multiples très élevés selon Kris Kippers (DegroofPetercam) qui a un avis de réduire. “Historiquement, le biscuitier de Lembeke était surtout comparé à Lindt & Sprüngli. Aujourd’hui, Lotus Bakeries cote près de 50 fois le bénéfice prévu et présente une sensible prime par rapport au chocolatier à succès. Ce qui nous semble excessif alors que le groupe doit investir dans une troisième usine en Asie et dans ses réseaux de distribution pour soutenir sa croissance, ce qui va limiter le potentiel de rémunération pour les actionnaires au cours des prochaines années.”
Quelles seront les prochaines pépites?
Même si Monster et Lotus Bakeries restent des actions qualitatives, les deux prochaines décennies ne ressembleront en aucun cas aux deux dernières. Pour rééditer de telles performances, il faut regarder ailleurs et espérer tirer le bon numéro. En voici quelques exemples (parmi tant d’autres).
· Fevertree: fondé en 2005 par deux Britanniques, le spécialiste des tonics haut de gamme a littéralement ouvert un nouveau marché. Le développement a été rapide et le cours multiplié par 20 après son introduction en Bourse en 2014. Le titre a depuis chuté (-70% en cinq ans) sous l’effet d’un plafonnement au Royaume-Uni et d’une concurrence accrue. Fevertree est toutefois en passe de réussir son pari aux Etats-Unis (croissance de 40% au premier semestre, devenu son premier marché). Le groupe compte ainsi nettement améliorer ses marges et étoffe également sa gamme de produits (cola, limonades, ginger ale, etc.) pour couvrir toutes les boissons sans alcool utilisées dans les cocktails.
· Nibe Industrier: dans un édito pour Bloomberg intitulé “Who Wants to Become a Heat-Pump Billionaire?” (Qui veut devenir un milliardaire des pompes à chaleur? ), Chris Bryant soulignait le potentiel de développement considérable de ce marché dont les ventes doivent passer de moins de 3 à plus de 7 millions par an pour atteindre les objectifs 2030 de l’Union européenne. Le spécialiste suédois Nibe Industrier a déjà décuplé en Bourse depuis 2011, mais la récente correction a ramené la valorisation à un niveau raisonnable (24 fois le bénéfice prévu pour 2023). Autre option, l’américain Carrier Global (du nom de l’inventeur du climatiseur Willis Haviland Carrier) a repris les pompes à chaleur de Viessmann et a déjà quadruplé depuis son introduction en Bourse en 2020.
· TreeHouse Foods: c’est un peu l’antithèse de Lotus Bakeries et Monster. Plutôt que de miser sur l’émergence d’une nouvelle marque, cette entreprise américaine vous permet de profiter de la tendance au “sans marque”. TreeHouse Foods propose en effet une large palette de produits alimentaires (snacks, confiseries, céréales, etc.) et de boissons sous marques de distributeur. L’action a stagné ces dernières années alors que l’entreprise a affiné sa stratégie, cédant ses activités plats préparés et se développant dans la torréfaction de café.
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