Après des années de sous-performance, les géants des produits de consommation de base regagnent l’intérêt des investisseurs. Décote historique, incertitudes économiques et regain d’attention des analystes replacent sur le devant de la scène un secteur qui semblait dépassé.
Ces 12 derniers mois, la tendance boursière a été essentiellement portée par les valeurs de croissance, financières et cycliques. À l’inverse, les valeurs dites de qualité ont clairement été reléguées à l’arrière-plan. L’indice MSCI World Quality, qui regroupe ce type de sociétés à travers le monde, n’affiche ainsi qu’un rendement (en dollars) de 7,2% sur un an, contre une progression moyenne de 16,2% pour le MSCI World. Cette contre-performance est d’autant plus notable qu’elle va à l’encontre de la tendance historique. Depuis sa création en 1994, le MSCI World Quality affiche en effet une surperformance moyenne de plus de 3% par an.
Composante défensive à la traîne
L’indice des actions de qualité ne souffre pourtant pas d’une sous-exposition aux géants technologiques. Les valeurs phares des 12 derniers mois, à savoir Nvidia, Microsoft, Meta ou Netflix, y sont même sensiblement surreprésentées.
Dans le détail, il apparaît que le MSCI World Quality a surtout été freiné par sa composante défensive, essentiellement composée des secteurs de la santé et des biens de consommation de base. Nombre d’entreprises de ces deux segments répondent en effet aux critères qualitatifs, à savoir essentiellement une rentabilité élevée, une croissance pérenne et une situation financière saine (peu ou pas d’endettement).
Le secteur pharmaceutique profite ainsi structurellement d’une demande soutenue (développement de la classe moyenne, vieillissement) et de marges élevées (grâce à la protection des brevets). Mais il est actuellement pris en étau entre l’incertitude réglementaire et les tensions commerciales.
Il est ainsi largement exposé aux aléas de l’administration Trump. Citons notamment la rhétorique anti-science du secrétaire à la Santé, Robert Kennedy Jr., la volonté de Donald Trump de fortement réduire les prix des médicaments aux États-Unis, ainsi que la menace de droits de douane – qui pourraient atteindre jusqu’à 250% selon les propos du président la semaine dernière. Un cocktail qui plonge le secteur dans le brouillard.
Produits de consommation de base
Le secteur de la consommation de base est comparativement bien moins exposé aux aléas de l’administration Trump. Il s’appuie certes sur de longues chaînes d’approvisionnement internationales, soumises aux droits de douane, mais ces groupes disposent d’importantes marges de manœuvre grâce, notamment à leur présence industrielle aux quatre coins du globe.
Pourtant, la tendance boursière reste clairement négative. Même Warren Buffett, le légendaire oracle d’Omaha, n’a pu y échapper. Son holding Berkshire Hathaway a dû enregistrer, au deuxième trimestre, une “dépréciation durable” de cinq milliards de dollars sur sa participation dans Kraft Heinz. La valorisation de cette dernière n’est désormais plus que de 8,4 milliards de dollars, contre 28 milliards de dollars en 2016.
En Europe, la correction n’épargne pas non plus les fleurons du secteur. Lotus Bakeries, par exemple, a chuté de près de 40% depuis son sommet d’octobre 2024, mettant brutalement fin à 20 années de surperformance continue. Et les exemples abondent : Nestlé, valeur incontournable pendant plus de quatre décennies pour les investisseurs européens, affiche un recul de 44% depuis fin 2021.
Même les acteurs positionnés sur le haut de gamme ne sont pas à l’abri. Le chocolatier suisse Lindt & Sprüngli peine à séduire les marchés malgré une croissance annuelle de ses ventes proche de 10% et une rentabilité soutenue. Son action évolue ainsi au même niveau que fin 2021.
Croissance en berne
Ces contre-performances trouvent leur origine dans un ralentissement de la croissance. Les grands noms du secteur sont de plus en plus confrontés à la concurrence de marques locales dans les pays émergents, à l’évolution des préférences des consommateurs vers des produits plus sains, ainsi qu’à la montée en puissance des marques de distributeurs.
La croissance organique de Procter & Gamble est ainsi tombée à 2% lors de l’exercice 2024-2025, portée essentiellement par des hausses de prix. Nestlé, de son côté, affiche aussi une croissance organique de 2% pour 2024, tout en espérant retrouver un rythme de 4% à moyen terme. Reste à savoir si l’objectif sera atteint, alors que le groupe suisse avait déjà dû enterrer avant la crise du covid son fameux “modèle Nestlé”, fondé sur une croissance annuelle de 5% à 6%.
D’une prime à une décote
Le recul des actions du secteur ne s’explique toutefois pas uniquement par une détérioration des fondamentaux. Il reflète également un désintérêt des investisseurs. Longtemps perçues comme des valeurs de qualité, offrant à la fois une croissance soutenue et un profil défensif, des sociétés comme Unilever, Nestlé ou Coca-Cola bénéficiaient autrefois d’une prime de valorisation significative.
Ces dernières années, avec la décélération de la croissance des ventes et des gains de marge plus poussifs, ces valeurs séduisent moins. Les investisseurs ont ainsi privilégié des segments plus dynamiques, en particulier la technologie. La prime historique s’est ainsi peu à peu transformée en décote.
À titre d’exemple, Nestlé se négociait 23 fois ses bénéfices en 2015, contre seulement 18 fois ceux des 12 derniers mois aujourd’hui. L’indice MSCI World a suivi la tendance inverse, passant d’un multiple de 16 en 2015 à 24 actuellement.
Sur la base des prévisions de résultats pour l’exercice en cours, les multiples de valorisation dans le secteur varient globalement de 17 fois les bénéfices pour Unilever et PepsiCo à 23 fois pour Coca-Cola. À noter que Kraft Heinz présente un multiple nettement plus faible de 11 fois les profits.
Revirement des analystes ?
Depuis quelques semaines, cette décote commence toutefois à susciter l’intérêt d’investisseurs en quête de sécurité face aux incertitudes économiques persistantes et aux interrogations sur la durabilité des valorisations dans les technologies, notamment dans l’intelligence artificielle.
La réaction des marchés aux chiffres semestriels rassurants de Danone constitue à ce niveau un signal fort. Le groupe a enregistré une croissance organique des ventes de 4,2%, portée par l’ensemble de ses divisions, tout en améliorant sa marge opérationnelle. Résultat, le titre a bondi de 10% en quatre séances.
Autre signe révélateur, l’opinion des analystes évolue positivement pour plusieurs valeurs du secteur. Sur une échelle de 1 (vendre) à 5 (acheter), la note moyenne d’Unilever est ainsi passée de 3,8 en mai à 4,0 aujourd’hui.
Kraft Heinz, de son côté, a mis fin à une longue série de révisions négatives. En juin, Goldman Sachs a relevé sa recommandation sur le titre, estimant que le groupe pourrait réajuster son périmètre d’activité en cédant certains actifs, dans le but de renforcer la rémunération des actionnaires.
Croissance défensive
Lotus Bakeries bénéficie également d’un regain d’intérêt. Les analystes de Kepler Cheuvreux ont récemment émis un conseil d’achat, soulignant que “le cours de l’action traduit une valorisation de plus en plus attractive, avec un risque baissier limité”. Certes, l’action se paie 36 fois le bénéfice attendu en 2025, un niveau élevé dans l’absolu, mais la prime par rapport au secteur s’est fortement réduite. Dans le même temps, la croissance reste au rendez-vous, tirée par l’internationalisation continue de Biscoff et le succès de sa gamme de snacks sains. La seule limite semble être aujourd’hui la capacité de production de spéculoos, en attendant l’ouverture d’une nouvelle usine en Thaïlande, en 2026, pour desservir l’important marché asiatique.
Le cas de Lindt & Sprüngli est comparable. Le chocolatier suisse reste cher en valeur absolue – 38 fois le bénéfice attendu cette année – mais cette valorisation s’appuie sur une croissance régulière et robuste. Entre 2019 et 2024, le groupe a enregistré une hausse de 36% de son bénéfice par action, malgré l’appréciation du franc suisse, devise de ses comptes, et la multiplication par cinq du prix de la fève de cacao sur les marchés mondiaux.
Diversifier les profils
En résumé, le secteur de la consommation de base offre aujourd’hui des opportunités intéressantes pour les investisseurs souhaitant réduire l’exposition de leur portefeuille au cycle économique et aux valeurs technologiques.
Il n’existe toutefois aucun ETF véritablement ciblé sur ce segment spécifique. Les fonds thématiques dédiés aux produits de consommation de base incluent en effet les distributeurs et les cigarettiers, qui sont confrontés à des dynamiques de marché très différentes.
Il est cependant tout à fait possible de se constituer un portefeuille diversifié en sélectionnant quelques valeurs représentatives des différents profils. Il y a les retardataires, comme Nestlé, Kraft Heinz, PepsiCo ou Unilever, présentant les valorisations les plus attractives. Mais aussi les valeurs de base, telles que Procter & Gamble, Danone ou Coca-Cola, qui affichent des perspectives en nette amélioration. Ou encore les promesses, représentées par Lotus Bakeries et Lindt & Sprüngli, deux entreprises à forte dynamique, bien que chèrement valorisées. À noter que Lindt & Sprüngli propose un certificat de participation équivalant à un dixième d’une action (cotant actuellement autour de 117.000 francs suisses).
Signalons que pour rester dans une perspective belge, des valeurs plus locales comme Spadel ou What’s Cooking sont aussi envisageables, même si leur liquidité reste limitée.
Le secteur de la consommation de base est comparativement bien moins exposé aux aléas de l’administration Trump.
