Vous voulez savoir pourquoi les Européens s’appauvrissent et les Américains s’enrichissent ?
Le vieillissement, le retard technologique, la fragilité face aux chocs expliquent que depuis des années, l’écart de prospérité s’élargit entre les deux côtés de l’Atlantique.
C’est sur un ton teinté de perfidie que, voici quelques jours, le Wall Street Journal titrait que longtemps enviés par les autres, aujourd’hui, « Les Européens s’appauvrissent ».
Car c’est vrai, que lorsque l’on compare l’évolution des salaires moyens dans l’Union européenne et aux États-Unis depuis 2008, on ne peut que constater un fossé qui s’élargit. Le WSJ observe que les salaires réels ont baissé de 3 à 6 % dans l’Union, alors qu’ils ont progressé de 6% aux USA. L’écart est encore plus inquiétant lorsque l’on se reporte à une étude publiée en ce mois de juillet par l’ECIPE, le Centre européen d’économie politique internationale, un groupe de réflexion basé à Bruxelles. Selon cette étude, lorsque l’on calcule la richesse par habitant, l’Union européenne historique (celle des douze premiers pays – Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Danemark, Irlande, Royaume-Uni, Grèce, Espagne, Portugal -, est en moyenne plus pauvre que tous les États américains, à l’exception de l’Idaho et du Mississippi.
Cette différence Europe-Etats-Unis se marque, entre autres, dans la consommation des ménages. Selon l’OCDE, depuis la fin 2019, la consommation privée, ajustée de l’inflation, a baissé d’environ 1 % dans la zone euro, alors qu’aux États-Unis, elle a augmenté de près de 9 %. L’Union européenne représente aujourd’hui environ 18 % de l’ensemble des dépenses de consommation mondiales, contre 28 % pour l’Amérique. Il y a quinze ans, l’Union et les États-Unis représentaient chacun environ un quart du total.
Notre côté cigale
« Quelle que soit la mesure utilisée pour comparer les niveaux de PIB et de croissance économique, la différence de prospérité entre l’UE et les États-Unis s’est considérablement accrue, souligne l’ECIPE. Si la tendance se poursuit, l’écart de prospérité entre l’Américain et l’Européen moyens en 2035 sera aussi important qu’entre l’Européen et l’Indien moyens aujourd’hui ».
Alors, pourquoi l’Europe est-elle à la traîne ? Le Wall Street Journal met en avant notre côté cigale. « Le vieillissement de la population et l’importance qu’elle accorde à son temps libre ont ouvert la voie à la stagnation économique. Puis sont arrivés le covid et la guerre en Ukraine », explique le quotidien financier américain.
Le vieillissement européen s’observe par exemple lorsque l’on compare l’âge médian aux États-Unis (38,8 ans) et dans l’Union (44,4 ans). Cette différence s’explique à la fois par un taux de fécondité plus faible en Europe, mais aussi, et cela le Wall Street Journal l’oublie, une espérance de vie plus longue en Europe.
Fragile face aux chocs
La fragilité européenne face aux chocs est également évidente : les États-Unis grâce notamment au gaz de schiste profitent encore d’une énergie bon marché. Et par ailleurs, leur économie est plus résiliente, car elle repose davantage qu’en Europe sur le dynamisme du marché intérieur, alors que l’Union, et surtout l’Allemagne, a une économie davantage tournée vers les exportations. Or, quand le monde se ferme, en raison du covid, puis de l’émergence de tendances plus protectionnistes, l’Europe souffre davantage. On le voit avec l’économie allemande, entrée en récession.
L’ECIPE estime en outre que la réaction des pouvoirs publics européens n’a pas été optimale. Trois quarts de mille milliards d’euros de subventions, d’allègements fiscaux et d’autres formes d’aide ont été accordés aux consommateurs et aux entreprises pour compenser la hausse des coûts de l’énergie, qui alimente elle-même l’inflation.
La dynamique fiscale est par ailleurs différente entre les deux zones. Comme les gouvernements européens doivent augmenter leurs dépenses de défense et que les coûts d’emprunt augmentent, on s’attend à une hausse des impôts, ce qui accentuera la pression sur les consommateurs. Les impôts en Europe sont déjà élevés par rapport à ceux des autres pays riches, équivalant à environ 40-45 % du PIB contre 27 % aux États-Unis. On peut cependant rétorquer que la situation budgétaire des États-Unis n’est pas reluisante non plus.
CROISSANCE DU PIB PAR HEURE DE TRAVAIL – comparaison entre les douze premiers pays historiques et les États-Unis
La « productivité globale des facteurs »
Cependant, ce que les économistes de l’ECIPE mettent en avant, c’est notre retard en technologie et en formation. « La croissance de la productivité en Europe – en particulier au cours des 20 dernières années – a été largement alimentée par le renforcement du capital, ce qui signifie que la quantité de capital par travailleur a augmenté. Toutefois, la croissance de la productivité globale des facteurs dans l’Union européenne, qui peut être considérée comme une référence pour le taux de croissance de la technologie et de l’innovation dans l’économie, a été plus forte dans les années 1990 qu’aujourd’hui, même si elle s’est quelque peu redressée après 2015 ».
Ce que les économistes appellent « la productivité globale des facteurs » (PGF) est un moteur particulièrement puissant de l’économie. Cette PGF est une notion mal définie, mais, en gros, elle mesure la manière dont une économie, grâce à la formation et à l’usage des meilleures techniques, agence le plus efficacement possible les facteurs de production que sont le capital et le travail. Et à ce petit jeu, les Américains sont plus forts que nous.
Cependant, ce retard ne doit pas nous faire baisser les bras. « Si les États américains ont réussi à maintenir des taux de croissance économique élevés, les États membres de l’UE peuvent le faire aussi, observe l’ECIPE. Toutefois, pour y parvenir, l’UE doit replacer la croissance économique et la compétitivité au centre de sa politique économique. Si l’Europe veut relever les défis posés par le changement climatique et la transition numérique, le fardeau croissant d’une société vieillissante et des budgets de défense, une croissance économique plus forte n’est pas une option, mais une nécessité » concluent les économistes.
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