Vente: Michaël Aguilar explique comment vraiment faire la différence

Michaël Aguilar “Vendre repose sur deux piliers: donner envie et inspirer confiance. C’est immuable!” © PHOTOS PG

Fondateur du cabinet de conseil français Vendeurs d’élite, Michaël Aguilar est invité dans le monde entier pour donner des conférences publiques et privées sur l’art de la vente au temps du digital. Il nous livre ses dernières réflexions.

La pandémie a engendré ce que certains ont appelé le business de la flemme. Il est désormais possible de tout acheter depuis son canapé et de tout se faire livrer. Une couche supplémentaire dans la révolution que le digital a induite dans la vente: commerce en ligne et vendeurs mondiaux, magasins sans caissiers et showrooms sans humains, applications de revente, banques sur smartphone, etc. Plus le temps passe et plus la vente d’aujourd’hui ne ressemble plus à celle d’hier. Ou si quand même?

“En fait, tout a changé et rien n’a changé, sourit Michaël Aguilar, fondateur du cabinet de conseil et de formation en développement commercial Vendeurs d’élite et conférencier à plein temps depuis quasi 20 ans. J’ai pour habitude de faire l’analogie avec la préhistoire. Autrefois, l’homme préhistorique n’avait que ses mains pour chasser et manger. Le silex est arrivé et la chasse s’en est trouvée facilitée. Tout comme la découpe de la viande. Après, il a imaginé la fourchette et la cuillère, nettement plus pratique pour absorber du liquide. Oui, mais les outils ne chassent pas tous seuls et le silex ne va pas se planter tout seul dans le mammouth. Il faut un cerveau. Dans la vente, c’est pareil. Les outils digitaux sont à la vente ce que la fourchette fut à la nutrition. En 30 ans, nous avons vu arriver le téléphone mobile, les mails, les datas et, aujourd’hui, l’intelligence artificielle. Plus on rajoute d’outils, plus il est facile de se nourrir. En revanche, le côté humain demeure prépondérant. Vendre repose sur deux piliers: donner envie et inspirer confiance. C’est immuable! Si je n’ai pas confiance, tu as beau avoir la plus belle appli digitale du marché, je n’achèterais pas chez toi. Et ce n’est pas le mail quotidien pendant un mois qui me fera changer d’avis. Donner envie à l’heure du digital n’est pas si simple puisqu’il faut sortir du lot et émerger dans l’incessant bruit ambiant.”

De nos jours, un bon vendeur est un expert qui challenge et analyse les choix.

Les bonnes questions

A l’heure où le phygital s’impose à tous, même aux pure players digitaux qui ont fini par ouvrir des magasins physiques (Amazon, etc.) et où l’omnicanal est devenu la règle, une bonne partie du parcours d’achat se déroule d’abord en ligne. Un bon exemple? L’achat d’un nouveau véhicule.

“Je donnais il y a peu une conférence à des commerciaux de Renault, raconte Michaël Aguilar qui dispose de 330.000 suiveurs sur LinkedIn. Il suffit de deux chiffres pour convaincre. Dans les années 1980, le client visitait quatre ou cinq concessions avant de se décider. Aujourd’hui? Une seule. Il a tout étudié sur le web et déjà paramétré son futur véhicule. De nos jours, le savoir a changé de camp: il est dans celui du client. Je dis toujours aux vendeurs: si votre pouvoir, vous le tirez de votre savoir, votre avenir, c’est le mouroir! C’est le problème de tous les vendeurs de commodités. Ces gens-là vont disparaître s’ils ne s’adaptent pas. Chez Renault, je leur ai demandé de se poser une question: à quel point le client a-t-il besoin de vous? Auparavant, on parlait de couleur du véhicule, de la motorisation essence ou diesel, du nombre de portes, etc. Il y a d’autres questions à poser aujourd’hui. La valeur ajoutée, c’est un vendeur intelligent qui va poser les bonnes questions et challenger le choix du client. A-t-il opté pour le bon modèle? N’y-a-t-il pas une option qui convienne mieux à son mode de vie? De nos jours, un bon vendeur de voitures est un expert qui challenge et analyse les choix.”

SHOWS “Je conçois mes conférences comme des shows. Certaines marques font pareil.”
SHOWS “Je conçois mes conférences comme des shows. Certaines marques font pareil.” © PHOTOS PG

Mais si certains vendeurs ont du souci à se faire, il en est de même pour les magasins physiques, excepté les alimentaires. Il faut impérativement jouer sur les faiblesses du digital: l’expérience, le contact humain, etc. “Il y a eu une consolidation dans le secteur de l’électroménager, illustre Michaël Aguilar. Quand vous allez dans un magasin Fnac aujourd’hui, la section électroménager ou TV a été fortement réduite. Mais franchement, pourquoi aller s’ennuyer à faire le déplacement pour une nouvelle TV, la sortir du magasin, la mettre dans la voiture, la monter dans l’appartement et l’installer quand on peut l’acheter en ligne et se la faire livrer et installer? Toutes les caractéristiques techniques sont disponibles sur les sites. Le digital oblige les vendeurs à élever leur niveau de jeu. Une bonne librairie est celle où les vendeurs ont lu les livres de leur section et sont capables d’en recommander ou d’en faire des petites fiches de lecture. Ces mêmes vendeurs doivent être à l’écoute de leurs clients pour comprendre leurs goûts et être capables de leur faire des suggestions d’auteurs à leur prochaine visite. Si elles sont pertinentes, ils reviendront! L’omnicanal, c’est une évidence mais pour autant, il faut qu’il soit le plus pertinent possible. Certains ont de bons produits mais ne vendent pas car ils ne sont pas visibles de leurs clients potentiels ou communiquent en direction d’une mauvaise cible. A l’inverse, il existe de nos jours des petits magasins de quartier qui font un tabac car ils ont créé une véritable communauté omnicanale qui recrute d’elle-même.”

Plus c’est complexe, plus l’homme est nécessaire.

Vendre une expérience

A côté de la valeur ajoutée du contact et du conseil humain, il faut donc de nos jours vendre une expérience au client. De l’inédit qu’il ne peut trouver ailleurs et surtout pas en ligne.

“Je conçois mes conférences comme des shows pour cette raison, sourit Michaël Aguilar. Je suis volontairement très provocant pour secouer l’auditoire. Il faut que le spectateur d’un soir sorte de la salle en se disant qu’il a vécu une soirée inoubliable qui valait le déplacement et qu’il a ressenti des émotions qui, jamais, n’auraient transpiré en ligne. Certaines marques font pareil. Regardez le magasin Louis Vuitton sur les Champs- Elysées à Paris, il y a une énorme file sur le trottoir à toute heure. La marque veille à ce que chaque client soit accompagné d’un vendeur qui le guide dans tout le magasin, l’oriente selon ses goûts et, surtout, est capable de raconter une histoire sur chacun des produits. C’est une expérience unique et personnalisée.”

Si les vendeurs de commodités ont du souci à se faire, les centres commerciaux doivent ainsi également devenir des commerces de destination ou un but de promenade avec, à côté du shopping, une offre variée en restauration et en loisirs. Dans la mode où l’intelligence artificielle est déjà capable d’affiner votre choix de taille sur les sites de vente, la clé viendra en outre du turnover rapide des collections face à des acteurs comme Shein qui en change quasiment tous les jours. Primark et Zara l’ont bien compris. D’autres comme Camaïeu ou Pimkie ou Naf Naf l’ont appris à leurs dépens.

Plus fondamentalement, l’avenir des commerciaux se situe dans la vente de produits complexes. “Plus c’est complexe, plus l’homme est nécessaire, conclut Michaël Aguilar. L’immobilier, des avions, les solutions informatiques ont besoin de commerciaux compétents. La vente de solutions globales et de conseils aussi. Et puis vendre de l’humain, comme dans l’intérim, nécessitera toujours un autre humain malgré des outils digitaux performants. Enfin, pour vendre une œuvre d’art, il faut savoir en parler.”

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