Traversée du désert
En période d’inflation élevée, la stratégie de la garantie des prix les plus bas se révèle plutôt désastreuse pour les actionnaires. Difficile pourtant d’en changer, même si les dégâts sont beaucoup plus importants que prévu. Au premier semestre de l’exercice 2022/23 (du 1er avril au 30 septembre), le bénéfice opérationnel a chuté de 41,6% et le bénéfice par action, de 42,7%. La marge opérationnelle sur chaque chariot est de 2,2%, contre 4-5%, facilement, par le passé, et 4% actuellement pour un concurrent comme Ahold Delhaize. La direction s’attend à ce que les bénéfices restent orientés à la baisse sur l’ensemble de l’exercice.
Le bilan n’est pas plus réjouissant. Le recul des résultats, les investissements et les rachats d’actions feront plonger le cash-flow disponible dans le rouge au cours de cet exercice. La dette nette a atteint 709 millions d’euros, soit plus de deux fois le cash-flow opérationnel ; ce n’est pas encore alarmant, mais c’est très atypique pour une entreprise allergique à l’endettement. Cela montre en tout cas que la direction maîtrise peu la situation. La vente prévue d’une partie des participations dans le secteur énergétique (groupées au sein de la filiale Virya Energy) pourrait permettre d’alléger la dette et de créer de la valeur pour l’actionnaire.
Le problème est que les prix de Colruyt n’augmentent pas aussi vite que l’inflation, de sorte que les revenus sont inférieurs aux dépenses. L’indexation des salaires est particulièrement douloureuse, et le sera plus encore au cours de la seconde moitié de l’exercice, notamment parce que Colruyt externalise peu et n’a que peu recours à des exploitants indépendants. Hors vente de carburant, le groupe a achevé le premier semestre de son exercice décalé sur un chiffre d’affaires en hausse de 3,4% à peine. Sa stratégie des prix bas l’empêche de répercuter intégralement la hausse des coûts et des prix d’achat: dès qu’un de ses nombreux concurrents lance une promotion ou baisse ses étiquettes, Colruyt est contraint de lui emboîter le pas. Déjà féroce, la concurrence sur le marché belge de la vente au détail est intensifiée par la présence de multinationales plus importantes, comme Ahold Delhaize, qui disposent d’un plus grand pouvoir d’achat et peuvent faire davantage d’économies d’échelle.
La croissance du chiffre d’affaires est également freinée par la baisse des volumes de vente. Bien que les clients fassent attention à leurs dépenses, la stratégie du groupe échoue à générer de nouvelles parts de marché (part de marché stable, à 30,9%). Si des volumes et un chiffre d’affaires plus élevés sont pour les chaînes de magasins le moyen par excellence de défendre leurs marges, le potentiel de croissance de Colruyt en Belgique est limité. Le groupe investit dans ses activités françaises, une aventure pour l’heure déficitaire. Son extension récente au vélo, aux vêtements et au fitness, n’est pas encore convaincante elle non plus.
Conclusion
Il ne reste rien du statut d’action du bon père de famille dont pouvait se prévaloir Colruyt. La chute brutale du cours est la conséquence logique de l’effondrement des bénéfices. A 17 fois le bénéfice escompté pour cet exercice et 8 fois le cash-flow opérationnel, la valorisation est plutôt élevée, plus en tout cas que celle de la concurrence. Aussi longtemps que l’inflation sévira et que la concurrence sur le marché belge restera acharnée, sa stratégie empêchera le groupe de remonter la pente. Le recul du cours ne justifie donc pas que nous relevions notre conseil.
Conseil: conserver
Risque: moyen
Rating: 2B
Paru sur initiedelabourse.be le 6 janvier
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