Technologie et diversité se rencontrent à Atlanta

Atlanta, Georgia, USA Downtown Skyline Aerial. © Getty Images/iStockphoto

Une nouvelle génération d’entreprises belges découvre les atouts d’Atlanta comme base de départ 
pour attaquer le marché américain. Quatrième pôle technologique des Etats-Unis, la capitale 
de la Géorgie est dans une spirale ascendante. Elle joue sur sa diversité comme atout.

Sensolus, Cyberwolf et Presso. Une nouvelle génération d’entrepreneurs belges débarque à Atlanta. Ce faisant, ils suivent les traces de leurs prédécesseurs. Les liens entre la capitale de l’Etat de Géorgie, au sud des Etats-Unis, et la ­Belgique sont étroits. Des entreprises belges de premier plan telles que UCB, Barco, Syensqo (fruit de la scission de Solvay) et Bekaert y sont présentes depuis des décennies. Saviez-vous que la première compagnie aérienne étrangère autorisée à desservir Atlanta fut la Sabena en 1978? Depuis 1983, Atlanta et Bruxelles sont d’ailleurs des villes jumelées. Avec la mission commerciale The Future of Digital de la fédération technologique Agoria en décembre dernier, une importante délégation commerciale belge a visité pour la deuxième année consécutive la ville qui a accueilli les Jeux olympiques de 1996.

Après la disparition de la Sabena, Delta Air Lines a repris la liaison régulière entre Atlanta et Bruxelles, jusqu’à ce qu’elle soit supprimée il y a quelques années. Il s’agit d’une perte importante pour les entrepreneurs belges. La Géorgie compte en effet plus d’entreprises belges que tout autre Etat américain, avec plus de 50 sociétés employant quelque 5.000 personnes. En 2021, les échanges commerciaux entre la Géorgie et la Belgique ont représenté 3,2 milliards de dollars, soit une hausse de 157 % par rapport à 2017. La Géorgie et la Belgique ont une population à peu près équivalente et jouent toutes deux de leur situation géographique pour attirer les entreprises. Depuis Atlanta – la base d’opérations de Delta Air Lines – vous pouvez atteindre 80 % des Etats-Unis en moins de deux heures de vol.

L’écosystème belge

La société Sensolus, basée à Gand, qui utilise l’intelligence artificielle (IA) et des capteurs intelligents pour améliorer les chaînes d’approvisionnement des entreprises, a ouvert un bureau à Atlanta l’année dernière. Le CEO Kristoff Van Rattinghe, l’un des quatre fondateurs, s’est envolé pour les Etats-Unis il y a un an et demi, à la recherche d’un bon emplacement pour leur premier bureau américain.

“Nous recevions de plus en plus de demandes en provenance des Etats-Unis. Nous avons d’abord pris l’avion pour New York. C’était trop cher et nos clients ne s’y trouvent pas. A Detroit, nous ne nous sentions pas très bien. A Atlanta, nous avons en revanche ressenti une énergie positive et nous nous sommes retrouvés dans un excellent écosystème belge, où les gens s’entraident. Il ne faut pas sous-estimer cela. Nous travaillons avec un modèle de partenariat pour les ventes. Il est donc important de se trouver à une plaque tournante. De plus, il y a beaucoup d’entreprises manufacturières dans cette région, et c’est notre marché cible.”

“Pour pouvoir offrir notre logiciel, nous devons également fournir un matériel, poursuit Kristoff Van Rattinghe. Ce matériel provenait de Taiwan, mais nous l’avons confié à une entreprise irlandaise dont le siège se trouve à Detroit. Le fait que nous puissions maintenant dire que notre matériel est produit par une entreprise américaine nous aidera certainement aux Etats-Unis. On connaît en effet la tension qui existe entre la Chine et Taiwan. On remarque que les Européens et les Américains sont beaucoup plus attentifs à la sécurité et à l’origine du matériel.

Georgia Tech

Atlanta est l’une des villes américaines qui profitent le plus de “l’inabordabilité” de la Silicon Valley. Pendant des années, la vallée technologique californienne a été une base évidente pour les entrepreneurs européens qui s’installaient aux Etats-Unis ou pour les géants américains de la technologie, mais les prix de location d’un bureau ou d’un appartement y sont devenus exorbitants et il est extrêmement difficile d’y trouver du personnel.

De plus en plus d’entreprises ont donc déménagé, vers Austin, la capitale texane, mais aussi vers Atlanta. Des géants de la technologie comme Google et Microsoft s’y sont développés de manière sensible. Atlanta est ainsi passée depuis longtemps du statut de ville où est née Coca-Cola Company à celui de quatrième pôle technologique des Etats-Unis. Même une partie de l’industrie cinématographique d’Hollywood s’est déplacée à Atlanta.

Le joyau de la couronne technologique de l’Etat est l’université de recherche de renommée mondiale The Georgia Institute of Technology – “Georgia Tech” dans le langage courant. Pour préparer l’industrie et la société américaines à l’évolution rapide de la technologie de l’IA, la National Science Foundation (NSF) du gouvernement fédéral a investi 220 millions de dollars dans 11 instituts de recherche aux Etats-Unis. Trois d’entre eux sont affiliés à Georgia Tech et un institut est dirigé par un Belge.

Georgia Tech

Pascal Van Hentenryck est le directeur de la NSF of Electrical and Computer Engineering, un institut d’IA axé sur l’ingénierie. Le professeur y dirige une équipe de 30 chercheurs et 50 étudiants, qui ne cesse de s’agrandir. Né à Bruxelles, ce Belgo-Américain a une mère wallonne et un père flamand. Après avoir obtenu son diplôme d’ingénieur en informatique à l’université de Namur et un doctorat en Allemagne, il s’est installé aux Etats-Unis à la fin des années 1980. C’est là qu’il a entamé une carrière universitaire internationale. “Nous vivons une période passionnante, déclare Pascal Van Hentenryck. Je travaille dans le domaine de l’IA depuis longtemps et, de temps en temps, il se passe quelque chose de magique. Lorsque j’ai commencé, c’était l’essor du machine learning. Aujourd’hui, il y a un autre moment magique. La puissance de calcul des ordinateurs, de l’internet et de la technologie de l’IA converge. Cette convergence nous fait vivre un moment unique.”

Réunir des partenaires

La présence de grandes entreprises technologiques, d’universités solides et les atouts d’Atlanta en tant que base pour les entrepreneurs belges ont convaincu la fédération technologique Agoria de choisir Atlanta pour son premier voyage d’inspiration – et Miami pour la deuxième partie de la semaine.

Miami, lieu de rencontre

Outre Atlanta, Miami s’impose également comme un centre technologique. Pour les entreprises, c’est une base pour l’Amérique latine. L’homme d’affaires Moishe Mana joue un rôle clé à cet égard. Moishe Mana a grandi dans la pauvreté à Tel-Aviv, ses parents étant des immigrés irakiens. Il a lui-même émigré aux Etats-Unis en 1983. L’homme a d’abord dormi sur les bancs des parcs new-yorkais puis a trouvé un emploi, économisé pour acheter une camionnette et créé une entreprise de déménagement. Ce sera le début d’un empire commercial prospère qui a fait de Moishe Mana un milliardaire.

Au fil du temps, ce dernier a en effet commencé à acheter de grands entrepôts vacants dans plusieurs villes, dont Miami. Il a transformé ces bâtiments et quartiers délabrés en centres animés pour les artistes et les entreprises. Moishe Mana a donc non seulement joué un rôle important dans le développement urbain de Miami mais aussi dans l’émergence de la ville en tant que centre technologique.

L’homme d’affaires veut faire de Miami plus qu’une attraction touristique. L’un de ses bâtiments est Mana Tech, où la délégation commerciale belge d’Agoria était invitée à assister à la présentation de Chris Umé, le fondateur belge de Metaphysic.ai, qui peut créer des images de personnes comme si elles étaient réelles. Moishe Mana a accueilli les Belges et leur a présenté les plans ambitieux de son accélérateur technologique Mana Tech. En raison de la situation géographique de Miami, proche des Caraïbes, du Mexique et de l’Amérique centrale, Moishe Mana souhaite que la ville devienne un lieu de rencontre pour les entreprises latino-américaines qui cherchent à pénétrer le marché américain et vice-versa, mais aussi vers ou depuis l’Asie.

Quelque 70 chefs d’entreprise, d’une société cotée en Bourse comme EVS à des PME en passant par des start-up, ont fait le déplacement. Le thème central était le Web3, l’évolution technologique qui est en train de changer le visage de l’internet.

Qu’est-ce que le web3?

Ne vous inquiétez pas si vous n’arrivez pas à trouver une définition de Web3. Même les plus grands experts ne sont pas d’accord. Il s’agit d’un ensemble de technologies qui changeront le visage de ­l’internet dans les années à venir. “Le Web3 comprend plusieurs technologies”, explique Els Meyvaert, fondatrice de Web3 Women ­Belgium.

“Elles ont toutes été conçues et développées à peu près en même temps dans les années 1990, mais la population occidentale n’a commencé à les utiliser que progressivement. D’abord la technologie de l’internet, puis les premiers principes de la réalité virtuelle et de l’intelligence artificielle. Ceux-ci ­commencent enfin à percer, sous la forme du métavers et des applications d’IA générative (qui peuvent générer ­elles-mêmes du texte et des images, Ndlr). Il y a beaucoup d’expérimentation en cours, ce qui est nécessaire pour comprendre les opportunités de chacune de ces technologies séparément et ensemble. Toutes les expériences ne sont pas aussi élégantes les unes que les autres. Prenons l’exemple du battage médiatique au cours duquel des NFT (ces jetons non fongibles, certificats de propriété d’objets numériques de valeur) de singes ont été échangés à des montants hallucinants. Mais les expériences mettent en évidence des mécanismes innovants entre les personnes et les groupes. La blockchain, qui permet de vérifier et de suivre les enregistrements et les transactions de données de valeur, sera la prochaine technologie à percer. Il est urgent que la technologie permette de mieux comprendre l’origine et le traitement des données. En particulier dans les opérations commerciales. Lorsqu’il y a plusieurs parties dans une chaîne de valeur, les données doivent être traçables. Combiné à la cybersécurité, le contenu des données et les processus autour des données seront alors mieux protégés. La marge d’erreur humaine est ainsi réduite, voire inexistante.”

“Nous avions deux objectifs, explique Bart Steukers, CEO d’Agoria. Nous travaillons beaucoup sur les écosystèmes en Belgique, nous travaillons sur un écosystème à Courtrai et sur un écosystème autour de l’industrie manufacturière à Charleroi. Comment réunir tous les partenaires pour réaliser votre ambition ? Nous voulions regarder à l’étranger pour voir comment cela se passe. Ensuite, il y a la technologie. Qu’est-ce qui nous attend en termes d’IA, de cybersécurité et de blockchain, et comment pouvons-nous trouver des applications pratiques autour de cela ?”

A Atlanta, le CEO d’Agoria a vu comment la technologie devient de plus en plus centrale dans le débat public. “Pensez à la présentation de Chris Umé, qui ouvre la discussion sur ce qu’est une image réelle et non réelle, car on ne peut plus distinguer l’une de l’autre.” Bart Steukers fait référence au discours de Chris Umé, originaire du Limbourg, qui a atteint la demi-finale de l’émission America’s Got Talent aux Etats-Unis grâce à des animations informatiques hyperréalistes d’Elvis Presley et d’autres personnages. “La technologie est au cœur d’un débat social, déclare Bart Steukers. Nous devons également examiner comment Agoria peut adapter ses services à l’impact de l’IA sur les entreprises, afin de pouvoir les conseiller grâce à notre solide équipe juridique.”

Diversité

Le premier atout qu’Atlanta met généralement sur la table est sa diversité. Si des entreprises comme Google et Microsoft s’y sont développées, c’est aussi parce qu’elles peuvent encore facilement y trouver du personnel bien formé. Ces nouveaux employés viennent d’horizons divers. Le maire de la ville, André Dickens, semble personnifier cette symbiose entre technologie et diversité. Il a étudié à Georgia Tech, a été un entrepreneur prospère et est aujourd’hui un homme politique. De tels modèles pour la jeunesse noire sont nombreux à Atlanta.

Jay Bailey, CEO du Russell Innovation Centre for Black Entrepreneurs, en est un autre exemple. Il s’agit d’un centre de 80.000 m2 destiné aux entreprises appartenant principalement à des Noirs. “Qu’il s’agisse d’Atlanta ou de Bruxelles, si vous voulez rester productif et faire croître votre PIB, vous ne pouvez pas vous passer de la diversité. Sinon, on ne peut pas être compétitif dans l’économie de demain”, déclare Jay Bailey, qui insiste sur l’importance des modèles noirs pour la jeunesse locale. “On devient ce que l’on voit. Si en tant que jeune, vous n’avez jamais vu d’entrepreneur, de médecin ou d’avocat, il y a peu de chances que vous le deveniez.” Pourquoi est-il important qu’il existe des lieux comme ce centre d’innovation Russell qui s’adressent spécifiquement aux entrepreneurs noirs ? “Il faut créer un espace sûr, où les gens peuvent échouer et réussir. Ce n’est pas que les autres ne soient pas les bienvenus, mais il faut un lieu central qui soutienne l’estime de soi, la confiance et la foi des gens. Chaque année, nous perdons du PIB parce que des idées brillantes n’atteignent jamais les marchés auxquels elles appartiennent.”

Le fait ­qu’Atlanta soit pionnière en matière de diversité est inscrit dans l’ADN de la ville, explique Jay Bailey. Atlanta est la ville de Martin Luther King et du mouvement des droits civiques qui a lutté pour l’égalité des droits des Noirs américains au siècle dernier. “La société civile et les entreprises d’Atlanta ont toujours entretenu une relation dans laquelle il était clair que le racisme était mauvais pour les affaires. Des entreprises comme Coca-Cola, UPS et Delta Air Lines vendaient leurs produits à une population diversifiée, leur main-d’œuvre était diversifiée. Si elles étaient racistes, ces entreprises ne survivraient pas.”

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