Robots-taxis: une vitrine technologique oui, la réalité? Pas encore!

Pour le moment, le robot-taxi est beaucoup plus efficace en tant que symbole qu’en tant que service. © REUTERS
Amid Faljaoui

Entre narration séduisante, enjeux réglementaires et modèle économique incertain, les voitures sans chauffeur sont aujourd’hui davantage une vitrine technologique qu’un marché de masse en formation.

Alors que les géants américains et chinois multiplient les annonces sur les robots-taxis et promettent une révolution de la mobilité, la réalité progresse beaucoup plus lentement que les communiqués de presse. Derrière les démonstrations maîtrisées et les vidéos futuristes, le déploiement reste limité, coûteux et fragile. Entre narration séduisante, enjeux réglementaires et modèle économique incertain, les voitures sans chauffeur sont aujourd’hui davantage une vitrine technologique qu’un marché de masse en formation.

Depuis plusieurs jours, une nouvelle vague d’articles venus des États-Unis et de Chine traverse la presse européenne et promet de bouleverser la mobilité urbaine grâce aux robots-taxis. Les images se ressemblent toutes : voitures élégantes, circulant sans chauffeur, glissant dans des rues propres comme des décors de cinéma. La Silicon Valley s’empresse d’y voir la preuve d’une révolution en marche, tandis que les constructeurs chinois s’en servent pour démontrer leur dynamisme technologique et leur capacité à dépasser les acteurs occidentaux.

Une série d’incidents

Pourtant, lorsque l’on quitte le terrain du récit pour celui de l’observation, on constate un écart profond entre l’ambition affichée et les faits, un écart qui interroge autant la solidité technique du modèle que la réalité économique qu’il prétend incarner. Dans les villes où ces véhicules sont effectivement en service, la réalité est infiniment plus nuancée que ce que suggère la communication.

San Francisco, qui sert de laboratoire à Waymo depuis plusieurs années, a connu une série d’incidents qui n’ont rien du futur lisse présenté dans les vidéos promotionnelles. Des robots-taxis immobilisés au milieu d’une intersection parce qu’ils ne comprennent pas un geste de policier, des véhicules qui tournent en rond sur un parking, ou encore des files de voitures humaines contraintes d’attendre qu’un téléopérateur, situé à des centaines de kilomètres, reprenne discrètement la main pour extraire la machine de l’impasse.

Ces épisodes ne relèvent pas du drame ou de la catastrophe industrielle, mais ils montrent que l’autonomie totale ne fonctionne que dans un environnement parfaitement maîtrisé, balisé, cartographié à l’extrême, et qu’au moindre écart entre le réel et le modèle statistique, la machine se fige.

Récit vs volumes réels

La communication, elle, ne se fige jamais. Waymo et ses homologues évoquent régulièrement une “flotte mondiale” de véhicules autonomes, un terme qui laisse entendre une présence massive alors que Waymo, par exemple, exploite environ 2.000 voitures. Uber, de son côté, parle de partenariats historiques et laisse parfois deviner qu’une bascule industrielle serait proche, alors qu’il ne déploie que quelques centaines de véhicules dans quelques zones pilotes. Le chinois Baidu, souvent présenté comme l’acteur le plus agressif, atteint à peu près ce même niveau.

Cette disproportion entre le récit et les volumes réels constitue l’un des premiers angles morts du discours autour des robots-taxis : quelques milliers de véhicules dispersés dans le monde ne peuvent pas prétendre représenter autre chose qu’une phase d’expérimentation étendue. Or, dans les discours, cette réalité s’efface au profit d’un imaginaire où la mobilité autonome serait déjà un marché établi, en pleine croissance, et presque prête à remplacer les centaines de millions de conducteurs qui assurent encore, chaque jour, le fonctionnement des villes.

Security first!

L’autre pilier narratif souvent mis en avant est celui de la sécurité. Les robots-taxis seraient, selon leurs promoteurs, mille fois plus sûrs qu’un conducteur humain. On aime citer la fatigue, la distraction ou l’erreur humaine, qui restent, il est vrai, des causes majeures d’accidents. Mais cette promesse repose surtout sur un déficit de transparence qui affaiblit la démonstration : aucune autorité indépendante n’a accès aux données complètes, aucun audit externe n’est réalisé, et l’on ignore totalement la fréquence des interventions humaines à distance. La confiance ne peut pas se construire sur un récit unilatéral ni sur des données verrouillées.

Le cœur du sujet se situe toutefois ailleurs : dans la difficile équation économique que représente un robot-taxi. Car contrairement à ce que sous-entend la communication bien rodée de la Silicon Valley, remplacer un chauffeur n’équivaut pas à supprimer un coût. Un véhicule autonome d’aujourd’hui vaut largement plus de 150.000 dollars, tant la technologie embarquée est lourde : capteurs, radars, ultrasons, caméras multiples, calculateurs haute performance, puces spécialisées, refroidissement renforcé. À cela s’ajoute la maintenance spécialisée, le nettoyage, le recalibrage fréquent des capteurs et, surtout, les centres de supervision où des humains – eh oui – qui suivent en permanence les véhicules pour intervenir à distance en cas de besoin.

Dans les rares villes où les robots-taxis sont facturés au public, le prix des trajets est strictement identique à celui d’un VTC classique, et même parfois supérieur. Si la suppression du chauffeur représentait réellement une rupture de coût, cela se verrait immédiatement sur la facture de l’utilisateur, ce qui n’est manifestement pas le cas.

Contrairement à ce que sous-entend la communication bien rodée de la Silicon Valley, remplacer un chauffeur n’équivaut pas à supprimer un coût.

La prudence de l’Europe

Face à cette réalité, l’Europe adopte une attitude prudente que certains médias interprètent comme un retard technologique. C’est plutôt un choix collectif : tolérance zéro pour les accidents mortels, exigence de transparence totale sur les systèmes de sécurité, obligation de définir précisément les zones d’expérimentation et les responsabilités associées.

Les États-Unis et la Chine ont choisi une philosophie inverse, où l’expérimentation précède la régulation. L’Europe considère que la régulation doit encadrer l’expérimentation et non la suivre. Dans un domaine où les erreurs se mesurent en vies humaines, cette divergence n’a rien d’anecdotique. Ce qui apparaît clairement, c’est que le robot-taxi n’est pas encore une solution de mobilité. En réalité, c’est un démonstrateur, une vitrine, un produit de communication destiné à symboliser l’avance technologique de ceux qui l’exhibent.

La promesse d’un futur en marche

La Silicon Valley connaît parfaitement le pouvoir des images et des récits : un véhicule qui roule “seul” incarne immédiatement la promesse d’un futur en marche, même si ce futur reste largement incomplet et profondément dépendant d’une infrastructure humaine invisible. Au final, le robot-taxi permet d’attirer les capitaux, de signaler une position de leadership dans la course mondiale à l’IA et de maintenir l’idée d’une rupture permanente. Il est, pour le moment, beaucoup plus efficace en tant que symbole qu’en tant que service.

Bien entendu, il ne s’agit pas de nier que la technologie progresse, ni d’affirmer qu’elle n’aboutira jamais. Elle finira sans doute par trouver sa place, d’abord dans des environnements où l’incertitude est faible, comme les campus, les zones industrielles ou les navettes aéroportuaires. Mais à l’inverse, prétendre qu’elle est déjà en train de transformer la mobilité urbaine revient à confondre une expérimentation ambitieuse avec une réalité économique établie. Tant que les coûts resteront aussi élevés, tant que les données resteront inaccessibles, et tant que la ville réelle continuera de déjouer les scénarios préprogrammés, la révolution annoncée restera surtout un récit. Et ce récit, pour l’instant, circule beaucoup plus facilement que les voitures autonomes qui sont censées l’incarner.

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