Après Google, Microsoft: ce que cache “la colonisation numérique” des géants de la tech en Belgique

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Microsoft vient d’inaugurer le premier de ses trois centres de données en Belgique, un investissement d’un milliard d’euros. Quelques semaines plus tôt, Google annonçait un projet de 5,5 milliards pour renforcer ses infrastructures cloud et IA dans le pays. Pourquoi un tel engouement soudain pour la Belgique ?

Notre plat pays n’est, en réalité, pas le seul à attirer les dollars américains. Depuis plusieurs mois, les Big Tech multiplient les annonces de projets colossaux en Europe : 10 milliards de dollars au Portugal pour Microsoft, 5,5 milliards d’euros en Allemagne pour Google. À première vue, ces investissements répondent à la demande croissante en services cloud et IA, tout en soutenant les ambitions technologiques des géants du secteur. Avec, en prime, des retombées économiques potentielles importantes – notamment en matière d’emploi – qui incitent à accueillir ces projets avec enthousiasme.

Mais pour Nicolas Petit, professeur de droit et directeur du département de droit de l’Institut universitaire européen, ces annonces cachent une réalité bien plus complexe.

Un bras de fer juridique

Profiter d’infrastructures stables, d’énergies renouvelables en ligne avec leurs engagements écologiques, ou encore améliorer l’expérience utilisateur grâce à des services plus proches : les arguments en faveur d’un renforcement de leur présence en Europe ne manquent pas. Et il est probable que ces éléments aient pesé dans les décisions de Google et Microsoft.

Mais selon Nicolas Petit, l’enjeu principal est ailleurs : démontrer leur conformité avec les règles européennes de protection des données. Depuis l’entrée en vigueur du RGPD, certaines catégories de données sensibles doivent impérativement être stockées sur le sol européen.

Problème : les géants américains ne peuvent garantir une protection totale conforme aux exigences de l’UE en raison de la Section 702 du Foreign Intelligence Surveillance Act (FISA). Cette disposition permet aux agences américaines d’accéder, sans mandat, aux données de personnes non américaines situées hors des États-Unis. « Il est donc impossible d’assurer que les données européennes sont complètement à l’abri des autorités américaines », souligne le professeur.

Cette contradiction expose les Big Tech à des risques majeurs : sanctions, contentieux, invalidations répétées des mécanismes de transfert transatlantiques, et perte de confiance des entreprises européennes. Les investissements massifs dans la localisation des données ou dans l’isolation juridique des filiales européennes ne sont que des parades imparfaites : aucune ne permet réellement d’échapper au FISA.

Un enjeu stratégique : la « colonisation numérique »

Le second moteur est plus offensif : poursuivre la conquête du marché numérique européen estimé à plusieurs centaines de milliards de dollars par an. Multiplier les data centers « s’inscrit dans la colonisation numérique de l’Europe », avance Nicolas Petit. « Et la Belgique apparaît comme un terrain particulièrement favorable : position centrale, proximité des institutions européennes et des utilisateurs très dépendants des services Google et Microsoft. »

« Les Belges resteront de gros utilisateurs, à moins que les responsables politiques belges ne suivent l’exemple de l’Allemagne ou de la France pour réduire leur dépendance et regagner en souveraineté », estime-t-il. Nos deux pays voisins, ainsi que l’Italie et les Pays-Bas, ont récemment créé l’EDIC Digital Commons, afin de reprendre la main sur leurs infrastructures numériques et de construire un modèle technologique fondé sur les valeurs européennes, à savoir l’ouverture, la transparence et la souveraineté.

Une démarche qu’il défend, car sans cela, l’Europe s’expose à des risques importants : « Sans indépendance numérique, les États-Unis garderont la main et continueront de nous espionner. Mais plus grave encore, en cas de tensions, Washington pourrait contraindre les Big Tech à couper leurs services en Europe. Les conséquences seraient dramatiques : des écoles jusqu’aux armées, tout en dépend aujourd’hui. C’est pourquoi nous devoir agir aujourd’hui. »

« L’histoire de Karim Khan, procureur en chef de la Cour pénale internationale (CPI), privé de l’accès à sa messagerie Outlook – propriété de Microsoft – à la suite des sanctions américaines imposées par l’administration Trump, illustre à quel point la dépendance aux services américains est réelle et peut être dangereuse », conclut le professeur.

Bref, une bonne nouvelle sur le plan de l’investissement peut en cacher d’autres beaucoup moins favorables.

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