Pixar vu par son patron
De passage en Belgique quelques semaines avant la sortie d’”Elementaire”, nouveau long métrage des studios Pixar, le producteur et réalisateur Jim Morris est revenu pour nous sur le fonctionnement de son immense usine à rêves…
A moins d’être un cinéphile averti, le nom de Jim Morris ne vous dira sans doute pas grand-chose. L’homme est pourtant une légende dans le monde de l’animation 3D et des effets spéciaux. Le producteur derrière The Abyss, la saga Harry Potter, Star Wars, Forrest Gump, La Liste de Schindler, Jumanji, Men in Black, Titanic ou encore, sous la bannière de Pixar, Wall-E, Là-haut ou Vice-versa… c’est lui. Et ce ne sont là qu’une poignée de productions sur la centaine qu’il a à son actif.
Après avoir œuvré durant plus de 17 ans chez Industrial Light & Magic aux côtés de George Lucas, il a rejoint Pixar en 2005 où, depuis 2014, il officie en tant que président et directeur. Proche du Belge Jean-Yves Arboit, expert en imagerie numérique, en charge de la coordination pédagogique de la section Animation 3D et effets spéciaux à l’HELHa, c’est à l’invitation de ce dernier qu’il est venu délivrer à Mons en mai dernier une série de conférences autour de son métier. Nous avons eu la chance de nous glisser dans son planning…
– TRENDS-TENDANCES. De quoi rêviez-vous lorsque vous étiez enfant? Vous imaginiez- vous évoluer dans le monde du cinéma?
– JIM MORRIS. Non, gamin, je voulais être un cow-boy (rires). J’ai commencé à m’intéresser au cinéma vers l’âge de 13 ans. Je me suis mis à visionner des tas de films, américains mais aussi européens. J’adorais les films italiens et Fellini, par exemple, la nouvelle vague française, le cinéma suédois, Ingmar Bergman… Cela me fascinait mais là où je vivais (dans le Delaware, Ndlr), il n’y avait pas vraiment d’industrie du cinéma. C’est un prof du lycée qui m’a incité à m’inscrire dans une école de cinéma. Je suis donc allé à l’université de Syracuse où, en parallèle, pour payer mes études, j’ai commencé à travailler comme caméraman pour des télés locales. J’ai ensuite réalisé des documentaires qui ont été achetés par une filiale de la NBC, puis je suis parti tenter ma chance sur la côte Ouest où j’ai enchaîné différents jobs, notamment dans le monde de la pub. Jusqu’à ce que je sois embauché chez LucasFilm, dans la division commerciale. Dès que j’en ai eu l’occasion, j’ai rejoint la partie cinéma, et j’y ai gravi les échelons: de producteur, je suis devenu chef de production, directeur général, puis président d’ILM et de Skywalker Sound. Puis j’ai rencontré Ed Catmull, président de Pixar à l’époque, qui m’a demandé de venir chez eux pour faire Wall-E. C’est avec lui que mon aventure chez Pixar a démarré, il y a plus de 18 ans.
– Dans quelle mesure l’enfant en vous peut-il influencer vos décisions?
– Quand Andrew Stanton, qui développait Wall-E, m’a présenté l’idée de départ, il m’a dit: que se passerait-il si tous les êtres humains quittaient la Terre mais qu’on oubliait d’éteindre le dernier robot? J’ai tout de suite pensé à Robinson Crusoé et aux films de science- fiction sur lesquels j’avais travaillé. Pour le coup, c’était totalement mon enfant intérieur qui réagissait. Soit dit en passant, j’aime toujours les cow-boys (rires).
– Quand savez-vous que l’on vous soumet une bonne idée de film?
– C’est très instinctif. Quand j’entends les pitchs, je choisis d’abord ceux qui font résonner quelque chose en moi. Et j’ai généralement raison. Parfois, cela demande plus de temps et de développement pour que je sois convaincu. Il arrive aussi que je sois pris par surprise – et là, je salue le travail des artistes – et lorsque le projet prend forme, je me dis “OK, cette fois, c’est bon!”. Je pense que je réfléchis avant tout comme un spectateur. Je me demande simplement: “Est-ce que j’ai envie de voir ce film?”
– Une fois l’idée approuvée, combien de temps faut-il jusqu’à ce qu’un film arrive en salles?
– Il faut compter en moyenne cinq ans. On mise sur une sortie en salles environ tous les huit mois. Nous menons généralement six projets de front. Et quand je dis six, il y en a réalité un peu plus, mais tous ne voient pas le jour. Chez Pixar, il y a donc toujours plusieurs projets en cours mais à des stades différents.
– Comment déterminez-vous le budget à allouer pour un film d’animation?
– Chaque film coûte, à quelques variations près, à peu près la même chose (Wall-E avait coûté 180 millions de dollars ; Rebelle, 185 millions ; Toy Story 3, 200 millions, Ndlr). Pour chaque film, on doit tout créer. L’un de nos points forts, c’est que la majorité des gens qui travaillent sur nos films sont des employés. Ce qui coûte, c’est le temps. On a donc appris à resserrer les plannings. Si on a beaucoup de personnages et de décors à créer, cela prend plus de temps et donc plus d’argent. Certains facteurs technologiques peuvent influencer également les coûts. Dans notre nouveau long métrage, Elementaire, les personnages sont faits d’eau et de feu. Technologiquement, c’est très complexe à réaliser.
– Vous qui avez produit également des films “live action”. En quoi produire un film d’animation diffère-t-il?
– Les différences ne sont en réalité pas si grandes. Le travail d’un producteur consiste à aider à orienter le scénario et la création dans la bonne direction, puis à embaucher les personnes chargées de faire le travail. La différence chez Pixar, c’est que les personnes travaillent déjà sur place. Et ils sont très nombreux: quelque 1.450 employés de 37 nationalités différentes, dont des Belges. Il est rare que l’on doive embaucher de nouvelles personnes. On travaille avec le personnel et le matériel dont on dispose déjà.
Pour un film en prise de vue réelle, par contre, vous devez engager tout le monde. Cela implique beaucoup d’entretiens en amont et un tout autre calendrier de production. Un gros film peut représenter 100 jours de tournage. C’est long et cela implique une sacrée logistique avec des tas de lieux de tournage, parfois très éloignés les uns des autres. En animation, le rythme est plus mesuré. J’aime comparer l’animation à l’écriture d’une musique classique alors que la prise de vue réelle est plus proche du jazz. Vous rassemblez tous les morceaux et vous essayez de les faire fonctionner le jour même, alors que pour l’animation, vous recommencez encore et encore. Les étapes du processus sont donc différentes. Et j’adore les deux façons de fonctionner.
– Cela veut-il dire qu’au sein de Pixar, chacun effectue toujours le même travail quel que soit le film?
– Non. Nous avons pour politique de laisser chaque collaborateur postuler pour les projets qui l’intéresse. Après quoi, il passe des entretiens et les équipes se forment. Maintenant, il n’est pas rare qu’un réalisateur aime toujours s’entourer des mêmes personnes, mais la porte est ouverte à tous.
– Vous travaillez en somme comme les studios hollywoodiens de l’âge d’or?
– C’est tout à fait exact, comme dans les années 1930 ou 1940. Nous faisons appel à différents acteurs pour travailler sur les projets, mais pour le reste, tout le monde est employé.
– Pour un film en prises de vue réelles, le choix d’un acteur peut considérablement influencer le budget du projet. Qu’en est-il avec le doublage d’un film d’animation? Est-ce important d’avoir une star, enfin sa voix, à l’affiche?
– Nous essayons de ne pas trop nous en préoccuper. Nous cherchons avant tout la voix la plus juste, qu’il s’agisse d’une personne peu connue ou d’une star. En fait, cela intervient plus au stade de la promo: avoir une star au générique nous permet, par exemple, de faire parler du film dans un talk-show. Pour être honnête, nous n’avons pas constaté que le fait d’avoir des stars aide beaucoup à faire avancer le film.
– Diriez-vous que Pixar fonctionne comme une grosse entreprise familiale ou est-ce une vision naïve?
– C’est bien le cas. Les gens travaillent ensemble, longtemps. On retrouve donc les bons et les mauvais côtés d’une grande famille (rires). Avec des relations fortes et bien sûr, quelques dysfonctionnements, mais peu. C’est une grande équipe, où tout le monde travaille ensemble et réalise de grandes choses. Ce sont des gens tellement talentueux. En fait, je dois bien avouer que j’ai eu énormément de chance dans ma carrière: j’ai travaillé pour George Lucas et Lucasfilm, et depuis 18 ans, pour Pixar ; deux environnements de travail uniques!
– Quels sont les plus grands concurrents de Pixar?
– Chez Pixar, nous essayons de faire des films à grand spectacle qui s’adressent à tout le monde mais que les adultes apprécieront. Notre public est traditionnellement composé à 40% d’adultes, à 60% de familles, alors que la plupart des films d’animation attirent 90% de familles. Commercialement, notre plus grand concurrent, c’est notre société sœur, Disney Feature Animation, mais elle fait des films très différents des nôtres, avec des contes de fées, des histoires de princesses… Sinon, je citerais Illumination, à qui l’on doit la série de Moi moche et méchant et, récemment, Super Mario Bros. De bonnes choses, comme The Sea Beast, ont été réalisées par Netflix également, même si les films ne sortent pas en salles. Je trouve ça positif que d’autres films d’animation connaissent du succès parce qu’au final, cela fait avancer tout le secteur. Nous sommes concurrents, mais surtout confrères.
– Que pensez-vous de l’animation japonaise et de l’essor des “animes”?
– C’est particulier. Dans le milieu, nous nous intéressons tous à l’animation japonaise et en sommes fans. Ce qui est paradoxal, c’est que malgré la fascination qu’elle exerce sur les jeunes – je le vois bien chez Pixar, les jeunes réalisateurs et artistes adorent! –, leurs longs métrages fonctionnent peu en salles, en tout cas, aux Etats-Unis. Je dirais que le streaming lui a donné une plus grande visibilité… mais cela reste une niche.
– Quel est votre plus grand défi aujourd’hui?
– Je suis de nature optimiste. Je pense que les gens veulent toujours voir le type de films que nous produisons, qui ne jouent pas la carte de la comédie pure mais qui tendent à être plus ancrés dans l’émotion. Notre succès tient à cet équilibre. Mais on doit rester attentifs à l’évolution des goûts du public, à celle du streaming et à la solidité du marché des salles.
– En tant que président de Pixar, quelle est votre plus grande fierté?
– Je suis fier d’aider tous les réalisateurs et producteurs à faire leurs films chez Pixar, de veiller à créer un environnement où ils peuvent faire le meilleur film, leur apporter le soutien et la confiance nécessaires pour faire quelque chose d’un peu différent… en espérant évidemment que ça marche. Ce n’est hélas pas toujours le cas, mais je veux poursuivre dans cette voie. Je ne veux pas commencer à jouer la carte de la sécurité. Je veux continuer à proposer des histoires différentes, inattendues, qui surprennent le public d’une bonne manière et le ravissent. Je pense que c’est là que je trouve ma plus grande joie!
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